23.11.2005
http://www.peacepalestine.blogspot.com/2005/11/gilad-atzmon-peace-is-no-shalom-and.html
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Ces
derniers jours, nous lisons des articles flagorneurs consacrés aux
dernières initiatives politiques prises par la toute nouvelle
métamorphose de Sharon en amoureux de la paix. Voici que Sharon, ce
criminel de guerre notoire, cet homme qui a réussi à prouver à de
multiples reprises qu’il est totalement dépourvu de tout
garde-fou moral et de toute considération éthique, vient de
réussir à convaincre les médias occidentaux qu’il est la
« voix responsable » en Israël. Ne vous y trompez
pas : Sharon et le peuple israélien sont, de fait, des
amoureux transis de la « paix ». Cependant, il est
extrêmement important de mentionner que la notion qu’on se fait,
en Israël, de la « paix » est extrêmement éloignée
de toute notion de paix familière au reste de l’humanité. Quand
nous pensons au mot hébreu rendant le sens du mot
« paix », nous faisons traditionnellement référence au
mot « shalom ». Mais, apparemment, « shalom »
et paix n’ont pas exactement le même sens. De fait, ces deux mots
sont très éloignés l’un de l’autre. Alors que ‘shalom’
réfère au soulagement d’être libéré d’un conflit, et de
jouir d’un sentiment général de sécurité, la paix a une
signification beaucoup plus large. La paix, c’est une résolution
sincère. La paix, c’est la recherche de l’harmonie entre les
hommes. La paix, c’est une notion qui a trait, dans une large
mesure, à la réconciliation.
Il est
très triste de devoir avouer que la conscience largement répandue
de la notion de paix, en termes d’harmonie et de réconciliation,
est totalement absente de l’idiosyncrasie israélienne. Pour les
Israéliens, ‘shalom’ signifie la mise en œuvre d’une
stratégie qui soit à même de garantir au peuple juif un refuge,
tant personnel que national. Pour les Israéliens, ‘shalom’
signifie : « vivre en paix », rien de plus, ni rien
de moins. Comment ce ‘shalom’ est-il atteint, ou
entretenu ; c’est là le cadet des soucis, pour les
Israéliens. Le fait que des millions de Palestiniens soient soumis
à un terrorisme d’Etat sous la forme des pires massacres de
guerre perpétrés par les forces israéliennes « de
défense » ne les préoccupe pas vraiment, non plus. En
bref : plutôt que l’harmonie et la réconciliation,
‘shalom’ désigne l’ensemble des manœuvres politiques et
militaires prises afin de réduire au silence l’ennemi du peuple
juif du moment.
C’est
précisément cette philosophie du ‘shalom’ qui représente le cœur
même de l’école sioniste de gauche. C’est cette perception
même qui a amené la gauche sioniste à croire que « deux
Etats, pour deux peuples » serait une option viable.
Clairement, la solution à deux Etat promet le ‘shalom’ :
elle tend toute entière à garantir au peuple juif tant sa
sécurité personnelle qu’un abri. Il y a tout juste un an, dans
les jours précédant le retrait israélien unilatéral de Gaza,
Sharon déclarait : « Nous (autres, les
Israéliens), nous voulons le ‘shalom’, mais à condition que ce
soit nous qui en définissions les termes et les conditions. »
L’idée
de Sharon n’est pas si éloignée que ça de la plate-forme
programmatique de Shalom Akhchav [Shalom Akhshav est le nom d’un
mouvement de ‘shalom’ israélien de gauche, que l’on traduit
abusivement par « La Paix, maintenant ! »].
L’acception sharonienne du terme ‘shalom’ ne diffère pas tant
que ça de la philosophie d’un Shimon Peres, et en termes de
catégories sémantiques, elle n’est pas aussi éloignée que ça
de la perception qu’en a le Gush Shalom d’un Uri Avnery. Les
aspirants israéliens au ‘shalom’ veulent, toujours, (en)
« définir les termes et les conditions ». Il est vrai
que les « termes et conditions » d’Avnery, de Peres et
de Sharon diffèrent entre eux. Toutefois, ils croient, tous, à la
ségrégation entre les gens. Ils sont, tous, partisans de deux
Etats pour les deux peuples. A l’extrême rigueur, ils peuvent se
chamailler au sujet des frontières entre ces deux Etats. Mais,
tous, ils ambitionnent de résoudre la question juive, tant en
termes personnels qu’en termes nationaux. Globalement, le
mouvement de ‘shalom’ est tout entier mobilisé par l’étude
des diverses méthodes possibles permettant d’opérer la
séparation entre les juifs et les goyim. C’est là, d’ailleurs,
la vraie signification du ‘shalom’ israélien. Malheureusement,
tout comme l’exclusivisme est le but fondamental du sionisme,
cette bizarre vision autocentrée du monde est au cœur de la
pensée de la gauche israélienne. C’est la logique qui préside
au rejet collectif de la cause palestinienne par le mouvement
israélien du ‘shalom’, c’est-à-dire, au rejet du
« droit au retour ». On est fondé à se demander
comment il est possible que la gauche israélienne ignore la cause
de ses ennemis, c’est-à-dire la cause des gens avec qui elle est
censée faire le ‘shalom’ ? !La réponse est toute
simple : la gauche israélienne n’est intéressée ni par la
réconciliation, ni par l’harmonie. Ce à quoi elle
s’intéresse, c’est au ‘shalom’. Or, le ‘shalom’, ce
n’est pas la paix.
Voici
environ six mois, Bush a qualifié Sharon d’ « homme de
paix ». Apparemment, Bush ne faisait pas autant erreur qu’on
le pensa ; simplement, il faisait une erreur de traduction.
Sharon n’est pas un homme de paix, mais un homme de ‘shalom’.
Nuance ! En tant que militant juif nationaliste et que
tacticien roué, Sharon a réussi à comprendre le plus grand
paradoxe inhérent à la pensée politique sioniste. Au sein du
discours sioniste, c’est la gauche qui conduit à un Etat
nationaliste pur jus, et raciste pur sucre. Les faucons, d’autre
part, poussent à l’inscription dans les faits d’une réalité
multinationale, au sein d’un « unique Etat ». Aussi
bizarre que cela puisse paraître à d’aucuns, ce sont les colons
juifs qui sont impliqués dans la création de la réalité sociale
indivisible d’un unique Etat, comportant, toutefois, une vaste
majorité de Palestiniens. Ce sont les colons qui sont en train de
fiche en l’air l’Etat national juif. Sharon, lui-même mentor
historique du mouvement colon, a réussi à diagnostiquer cette
faille intrinsèque à la philosophie colonisatrice. Le vieil homme
a désormais compris que le maintien de l’Etat juif et son
sauvetage d’une catastrophe démographique annoncée dépendent
entièrement de son désengagement immédiat d’avec la population
palestinienne. Sharon et le camp du ‘shalom’ veulent un Etat
juif solide, à la majorité juive manifeste. Cette prise de
conscience a mûri récemment, produisant un retrait de Gaza ;
elle devrait, logiquement, conduire à un retrait de la Cisjordanie,
tout aussi bien, dans un futur pas trop éloigné.
Sharon a,
de fait, rejoint le mouvement israélien du ‘shalom’. Mais, bien
entendu, ceci ne signifie en rien qu’il serait devenu un amoureux
de la paix. Apparemment, la véritable signification du mot
« paix » n’a pas de traduction possible en hébreu
moderne. Le sens de la paix ne peut saurait trouver de traduction
dans la réalité israélienne.
Pire
encore : non seulement la paix ne se traduit pas par ‘shalom’,
mais l’aspiration sincère des Israéliens au ‘shalom’
garantit rien moins que la perpétuation de la guerre. Si le
résultat du ‘shalom’ est bien la division de la terre entre
deux peuples, comment pourrait-il apporter l’harmonie et la
réconciliation à la région du Moyen-Orient ? Les raisons de
cette impossibilité sont évidentes. Le ‘shalom’ ne peut
résoudre à la fois les causes sioniste, d’une part et
palestinienne, d’autre part : il ne saurait apporter une
solution au droit au retour des Palestiniens, lequel droit est
fondé moralement. Mais il est tout aussi incapable de satisfaire à
l’exigence nationaliste juive outrancière d’installation dans
la totalité du territoire du Grand Israël, aux dépens des
indigènes palestiniens. Le ‘shalom’, par conséquent, n’est
pas autre chose que la continuation de la guerre. Sharon est, à
n’en pas douter, un aspirant au ‘shalom’. C’est probablement
la raison pour laquelle Blair et Bush sont tellement entichés du
personnage. Avec Sharon au pouvoir, et tout indique que Sharon va
rester aux manettes, le ‘shalom’ continuera à prévaloir. Un
‘shalom’ unilatéral sera imposé aux Palestiniens. Un
‘shalom’ qui ne manquera pas d’autoriser le bombardement
impitoyable des Palestiniens qui insisteraient à retourner chez
eux. Ceux qui décident de vivre en paix ne reculeront pas :
ils procèderont à une tuerie impitoyable, bien dans la ligne du
‘shalom’, en Terre sainte.
Plus
exactement, dans ce qu’il en reste.
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