Haaretz, 12 février 2006
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Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/681518.html
Youval
Diskin, le chef des Services de la Sécurité Générale (Shabak), a
tout à coup surgi des ténèbres pour dévoiler les principes de sa
vision du monde. Dévoiler ? Pas exactement. Youval Diskin ne
projetait pas de dévoiler ses conceptions devant nous tous. Il
s’est exprimé en secret devant les étudiants de l’Institut de
Préparation militaire « Bnéi David » [cf www.bneidavid.org/English/index.htm
- NdT] dans la colonie d’Eli, et ses propos ont été dévoilés
grâce à Canal 10 qui s’est procuré un enregistrement sur
cassette de cet événement. Le département informations
de Canal 10 mérite d’être loué pour cet exploit et Diskin d’être
dénoncé, blâmé. D’abord pour le lieu de la rencontre :
pourquoi les étudiants du rabbin Eli Sadan ont-ils le droit
d’entendre ce qui est refusé au reste du public ? Quel mérite
cet institut de colons a-t-il que nous tous n’avons pas ?
Youval Diskin aurait-il parlé aussi ouvertement devant des
militants de gauche ou des habitants de Oum al-Fahm ? Pourquoi
diable avoir précisément choisi Eli, né dans le péché et vivant
dans le péché ? Youval Diskin a choisi de s’exprimer en un
endroit qui développe les mauvaises herbes des colons, peut-être
pour se les concilier, peut-être par flagornerie.
Le
contenu de ses propos amène lui aussi de sérieuses interrogations.
Youval Diskin a tenu quelques propos justes et courageux, acérés
à la mesure de leur caractère critique – mais il les a tenu
comme s’il n’avait aucune part dans le façonnage de la réalité.
Youval Diskin n’est pas un observateur neutre contemplant la réalité :
il est un des responsables de l’aspect que prend cette réalité.
C’est ainsi qu’il a concrètement étendu la portée de cette idée
nuisible : « on
tire et on pleure » et que nous avons maintenant aussi
« on discrimine et on
pleure » et « on
se trompe et on pleure ».
Un
exemple en est donné par ses propos sur la discrimination dont
souffrent les Arabes d’Israël : « Si
nous prenons un Arabe israélien de Oum al-Fahm avec une carte
d’identité israélienne et un juif en état d’arrestation, je
ne vois pas d’égalité dans la manière dont il sera traité par
le système. La discrimination se fait très nettement au profit des
Juifs plutôt qu’au profit des Arabes ». Nous passerons
sur la formulation balbutiante et demanderons : qui est
exactement ce « système »
qui discrimine les Arabes ? Qui est responsable de ce que le détenu
« Noam » a droit à un traitement différent de celui de
« Naim » ? Il ne s’agit pas seulement des salles
d’interrogatoire. Aucune organisation n’a de responsabilité
plus grande dans la discrimination des citoyens arabes du pays, sous
des prétextes « sécuritaires »
généralement sans fondement, que les Services de la Sécurité Générale
que dirige Youval Diskin. Quand on les humilie dans les aéroports,
quand des gardes de la sécurité leur interdisent l’accès à
divers événements simplement à cause de leur origine, quand on ne
les autorise pas à avoir un travail dans des institutions
officielles ou des sociétés nationales, et quand on leur colle sur
le dos de lourds dossiers touchant à la sécurité mais qui, au
tribunal, se révèlent de peu de valeur : c’est la Sécurité
Générale qui est responsable.
Même
l’aveu fait par Youval Diskin à propos des évaluations stratégiques
erronées d’Israël qui ont entraîné une terrible et inutile
effusion de sang, ne le décharge pas de sa responsabilité. Yasser
Arafat ne fut pas l’initiateur de l’actuelle Intifada ?
Durant des années, on nous a abreuvés de l’affirmation qu’Arafat,
le plus grand des meurtriers, était responsable, du début à la
fin, de toute cette effusion de sang et qu’il n’y avait dès
lors pas à lui parler. Voilà qu’arrive maintenant le chef des
Services de la Sécurité Générale – lequel occupait une
fonction importante aussi au moment où l’Intifada a éclaté –
et qu’il nous dit qu’on nous a fait un lavage de cerveau avec
des évaluations mensongères. Bien qu’à l’époque on ait publié
que Youval Diskin prônait déjà cette position dans le passé, le
fait que les évaluations de notre arafatologue national, Amos Gilad,
dominaient complètement et déterminaient la position officielle
d’Israël, amène à se poser des questions quant au
fonctionnement de la Sécurité Générale. Quand une poignée de
gens appartenant à la Gauche radicale clamaient qu’Arafat était
un partenaire pour la paix, tout était suspendu aux évaluations sécuritaires
des organismes chargés des « évaluations
nationales » qui décrétaient qu’Arafat était
personnellement responsable de chaque autobus qui sautait dans nos
rues. Nous avons été à deux doigts de projeter d’attenter à sa
vie pour ce motif. Il apparaît maintenant, à travers les propos de
Youval Diskin, que c’était pure invention.
Lorsque
les chefs de la Sécurité Générale sortent de l’ombre, la vérité
se retrouve bien des fois exposée dans sa nudité et elle n’est
pas toujours flatteuse. Le prédécesseur de Youval Diskin, Avi
Dichter, est sorti de l’ombre il y a quelques mois et n’a encore
rien dit, mais alors vraiment rien – au point qu’on est effleuré
par le soupçon que tout simplement il n’a rien à dire. Yisrael
Hasson qui fut le concurrent de Youval Diskin à la direction de
l’organisation, est maintenant candidat au Parlement sur la liste
d’extrême droite « Israël Beitenou ». Qu’est-ce
que cela nous apprend des conceptions qui l’ont guidé du temps où
il remplissait une fonction à la Sécurité Générale ? Prônait-il
déjà le « transfert
volontaire » ? Le vrai visage d’un autre haut
responsable de l’organisation, Gideon Ezra, nous a lui aussi été
dévoilé, avec ses déclarations racistes contre les Arabes, une
fois qu’il a quitté ses fonctions.
Youval
Diskin, qui est tenu pour le père de la doctrine perverse des
assassinats ciblés qui refleurit maintenant en l’absence de tout
débat public, a avancé le moment des révélations. Mais cela ne
le décharge pas de sa responsabilité. La Sécurité Générale
placée sous sa direction, comme sous la direction de ses prédécesseurs,
est une organisation qui, à côté de sa guerre opiniâtre contre
le terrorisme, est responsable de plusieurs hypothèses de base
erronées et d’injustices outrageantes qui modèlent notre vie.
Elle maltraite des milliers de Palestiniens soumis à
interrogatoires, elle humilie des Arabes israéliens et tisse, en
jouant sur le chantage, un réseau cruel de collaborateurs qui sont
ensuite rejetés comme des objets usés. Il serait préférable que
Youval Diskin travaille à changer la situation plutôt que de
faire, pour des étudiants colons, une conférence sur la gravité
de la situation.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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