Haaretz, 1er décembre 2005
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=651440
Version anglaise : The village www.haaretzdaily.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=gideon&itemNo=652645
La
vie dans un village syrien dont les habitants sont israéliens et
dont la moitié du territoire est au Liban. Ghajar sans frontière.
Il
n’y a pas deux endroits comme celui-là dans le monde. Dans un
village syrien occupé par Israël, vivent environ 2 000 citoyens
israéliens sur une terre partiellement annexée à Israël, le
reste appartenant au Liban. La semaine passée, lorsque des motards
du Hezbollah ont parcouru les rues du village, tirant des coups de
feu en tous sens, espérant enlever un soldat israélien du poste
situé au cœur du village, s’est une nouvelle fois révélée la
réalité de la vie irréelle de Ghajar dans le nord-ouest des
hauteurs du Golan, sur les rives du Hatzbani.
Depuis
ce jour, la peur s’est abattue sur les habitants du village.
Depuis que les 350 élèves de l’école fondamentale ont été
retenus durant sept heures dans le petit abri de leur école, comme
à l’école de Beslan, tandis que leurs parents rongés
d’angoisse étaient retranchés chez eux, la vie des habitants du
village coupé en deux a versé dans la peur. C’est seulement
dimanche, six jours après l’incident, que les élèves sont
retournés en classe. Maintenant, les habitants ne sortent plus de
chez eux le soir et, même en journée, ils sont très prudents.
Entre eux et le Hezbollah, il n’y a pas de clôture ; la
frontière n’est qu’une ligne imaginaire qui passe par le centre
du village, juste à l’entrée de l’école ; la Ligne Bleue
de 1923 est une ligne de séparation blanche peinte au milieu de la
route, sur le noir de l’asphalte, comme toutes les lignes
blanches, avec les positions du Hezbollah à portée de tir.
Nulle
part dans l’Etat d’Israël il n’y a de village arabe aussi
soigné que celui-là : les emplacements de stationnement sont
marqués par des bordures peintes, et l’école, le bâtiment du
Conseil, la succursale de la caisse maladie et le « Centre de
santé dentaire de la Loterie Nationale » resplendissent de
loin. Mais les deux cliniques sont fermées : depuis le retrait
[du Liban], elles se sont
retrouvées en territoire libanais et il est interdit aux médecins
israéliens de s’y rendre. Les voitures qui circulent dans les
rues du village sont parfaitement israéliennes, pas seulement par
leurs plaques d’immatriculation bleues mais aussi au niveau des
modèles : jeeps argentées et Mercedes à la Ramat Aviv
Guimmel [Quartier nouveaux
riches au nord de Tel Aviv, rendu célèbre par une série télévisée
à l’eau de rose – NdT]. Pourtant un épais nuage
d’amertume couvre Ghajar depuis le retrait de l’armée israélienne du
Liban : pourquoi Elie Yatspan
et Yigal Shilon ne sont-ils pas venus divertir les enfants pris de
panique après l’incident de lundi passé, demandait-on là-bas
cette semaine, comme ils
avaient l’habitude de le faire dans la ville toute proche de
Kiryat Shmona après les tirs de Katiouchas ? Pourquoi
l’inspecteur départemental du Ministère de l’Education
n’a-t-il pas soulevé le téléphone ? Et pourquoi son ministère
n’a-t-il pas dépêché de psychologues pour aider les enfants ?
Questions qui sont sans exemples dans les autres territoires occupés
par Israël et dans notre « secteur arabe ».
Entre
le marteau libanais et l’enclume syrienne, avec l’Etat d’Israël
en bonus, les villageois sont extrêmement prudents dans leurs
paroles. Tout le monde, ici, est diplômé de l’école supérieure
de diplomatie. Ne pas se laisser photographier, ne pas donner son
nom, il est même préférable de ne pas parler du tout. Nous avons
néanmoins réussi à discuter avec quelques-uns d’entre eux. Ils
n’ont pas parlé seulement des drogues qui traversent ce village
sans frontières, mais aussi de la vie de tous les jours et des
services que l’Etat d’Israël leur refuse, habitants alawites, détenteurs
d’un passeport israélien, qui vivent pour partie d’entre eux au
Liban et gagnent leur vie à Kiryat Shmona et Haïfa.
Il
s’agit d’une occupation light,
la plus light qui soit
offerte par l’entreprise israélienne d’occupation, avec
passeport et liberté de mouvement. Tous les villageois avec
lesquels nous avons discuté nous ont dit que tout ce qu’ils
demandaient, c’était la paix et la sécurité, peu importe sous
quel drapeau et sous quelle souveraineté. Sortilège : sur le
poste militaire israélien qui se trouve au milieu du village et qui
a été touché lors de l’attaque du Hezbollah de la semaine passée,
la main d’un soldat a barbouillé : « Souveraineté
1 » comme pour dissiper la grande confusion dans laquelle
vivent ici les habitants depuis cette journée amère et hasardeuse
de mai 2000 où Israël s’est retiré du Liban, laissant Ghajar
exposé de toutes parts, traversé en son milieu par une frontière
imaginaire. Depuis lors, les élèves quittent la jolie école par
deux sorties distinctes : les enfants de la partie sud vers
Israël et les enfants de la partie nord vers le Liban. Les uns
comme les autres sont des enfants très bien soignés, qui rêvent
d’être médecins au Centre Médical Maimonide. Quatre ou cinq médecins
israéliens ont déjà poussé ici. Tous les villageois avec
lesquels nous avons discuté parlaient couramment l’hébreu. Le
conseil local a son agent de la sécurité et la photo de l’ancien
ministre Eli Yishaï est accrochée au mur.
Il est interdit de tourner à droite, seulement
à gauche. L’agent de la police des frontières au barrage placé
à l’entrée du village vous accueille comme il ne viendrait à
l’esprit d’aucun soldat des barrages de Cisjordanie de le faire.
On laisse nos cartes d’identité, on s’engage à repartir avant
22h et à ne pas dévier à droite de la rue principale pour ne pas
(Dieu nous préserve) pénétrer en pays ennemi. C’était comme ça
aussi dans Sarajevo assiégé : à l’hôtel des journalistes,
il était interdit de s’aventurer dans la cage d’escalier de
droite, seulement celle de gauche, à cause des Serbes. A la fin de
la journée, nous avons découvert que nous avions par erreur garé
la voiture au Liban : il n’y avait pas de place en Israël.
Rien de nouveau, donc.
« Toilettes
publiques pour randonneurs », est-il écrit en hébreu à
l’intérieur du restaurant de Moussa qui, avant le retrait du
Liban, gagnait sa vie grâce aux randonneurs de chez nous et qui
maintenant se contente de la vente de krembos
pendant la grande récréation de l’école toute proche. Dehors,
un reporter de télévision s’habitue au passage des frontières :
il se tient sur la route et, face à la caméra, franchit la ligne
blanche, passant d’un Etat à l’autre et revenant (Dieu le
garde) d’un pas. A côté du barrage, un groupe de soldats
s’entraîne à lancer l’assaut ; à côté du stand à shawarma, un groupe de jeunes gens s’est formé. « Ça
nous est égal, Liban, Syrie ou Israël ; on a vécu ici sous
les Turcs », a dit l’un d’eux, sous le couvert de
l’anonymat évidemment. « Nous
sommes comme l’olivier, nos racines sont solidement ancrées ici
et tout ce que nous voulons, c’est la tranquillité. Qu’est-ce
qui compte pour un homme en dehors de la tranquillité ? Ça
suffit, on en a assez de la situation. Les Palestiniens des
Territoires sont des gens comme nous, mais moi, ça m’est égal de
me trouver une copine à Kiryat Shmona. Le principal, c’est la
tranquillité. »
Il
est d’accord de parler encore, autour d’une tasse de café.
« Chez nous, chaque maison est comme un kibboutz, tout le monde
s’entraide », dit-il. « A
17h, je regarde Canal 2. A 17h30, Al-Jazeera. A 20 h, Manar (la chaîne
du Hezbollah) et à 21h, Canal 1. Nous ne voulons pas être des
citoyens de 3e ordre dans le pays. Pendant 45 ans, une
boule de feu s’est déchaînée ici et personne ne s’en
souciait. Mais sitôt qu’un de vos parachutistes descend (au
Liban, la semaine passée), on remue le monde entier. Quand les
enfants de Manara et Kiryat Shmona ont dû aller dans les abris, on
leur a envoyé un psychologue. Nos enfants, personne ne s’en est
soucié. Un enfant juif peut connaître un état de choc parce que
c’est un privilégié, mais un enfant arabe n’entre pas d’état
de choc. »
« Arik
Sharon », poursuit-il, « n’a
qu’à continuer à élever des vaches et le Ministre de la défense
à prendre des poses. Quand on a enlevé ici trois soldats, Barak a
lancé un ultimatum à Nasrallah pour qu’il rende les corps. Ça a
pris trois ans. Et quand, la semaine dernière, Nasrallah a lancé
un ultimatum pour qu’on rende les corps, le jour même Israël
rendait les corps. C’est une réalité de terrain, ce ne sont pas
des réactions à mon père. Alors moi, je commence à me dire que
Nasrallah est plus fort que l’Etat d’Israël. »
« J’ai
33 ans. Je suis né ici, toute ma vie est ici. Il y a aussi eu une période
où j’ai habité à Kiryat Shmona et j’ai fait l’expérience
des Katiouchas et je vois la différence d’attitude entre là-bas
et ici. C’est pour ça que je parle aussi agressivement. L’Etat
dit que nous sommes citoyens d’Israël alors je veux la même clôture
qu’à Misgav-Am. Ce n’est pas possible que n’importe qui
puisse entrer et sortir comme c’est arrivé la semaine passée.
L’Etat a fait tous les efforts imaginables à Misgav à cause
d’une maison qui est proche de la clôture et ici, l’Etat oublie
la moitié d’un village. Il n’y a aucun Etat dans le monde dont
des citoyens seront abandonnés sans protection de l’autre côté
de la frontière. L’Etat offre une protection à un colon d’Itamar,
alors que ce sont les Territoires [occupés],
et à Ofra il y a des abris, mais qu’est-ce qu’il nous offre, à
nous ? Bullshit. C’est un fait, ce qui est arrivé. Est-ce
qu’ils auraient placé ce poste militaire à Itamar ? A Neveh
Dekalim ? Au beau milieu de la localité ? Est-ce qu’ils
auraient mis ainsi en danger les habitants de Kiryat Shmona ?
Installeront-ils un poste militaire à Manara ? Ce poste nous
met davantage en danger qu’il ne veille sur nous. S’il n’y
avait pas de poste, les autres ne bombarderaient pas. Il est censé
surveiller ? Qu’il aille plus haut. Qu’il ne soit pas derrière
mon dos à veiller sur moi. Il n’y a pas un abri ici, un abri qui
vienne du Ministère de la défense. Quand j’étais à Kiryat
Shmona, tous les 100 mètres il y avait un abri, avec un éclairage
d’urgence et des postes de télévision pour les enfants. Je
n’attends plus rien de l’Etat. Ça suffit, j’en ai mare. »
Vous
préféreriez être citoyen syrien ?
« Ecoutez,
je vais vous dire la vérité. Je suis né ici mais si le sort
devait décider que je suis citoyen syrien, je serai citoyen syrien.
Quel est le problème ? Je serai tout aussi bien citoyen
australien. Vous, ça vous importe la citoyenneté qui est la vôtre ?
Ce qui vous importe c’est de vivre en paix et dans la tranquillité.
La citoyenneté n’est pas le toit sous lequel je vis. Je
n’habite pas à l’intérieur mon passeport. Ce qui m’importe
c’est d’avoir droit comme tout autre aux services sociaux.
Citoyenneté française, afghane ou pakistanaise, l’essentiel
c’est qu’il y ait la tranquillité. »
Comment
vont les enfants ? Comment ont-ils réagi aux événements ?
« Aujourd’hui,
ils sont retournés à l’école. Leur a-t-on envoyé un
psychologue ? A Kiryat Shmona, je me souviens, Yatspan,
l’humoriste, avait l’habitude de venir les amuser et aussi le
type au cigare qui fait des imitations, et son frère. Qui
n’ont-ils pas envoyé ? Alors qu’ici ? Yigal Amir est
mieux traité. Mais je rends hommage à nos voisins des kibboutzim,
au Conseil local de Mevo’ot Hermon et à son président Beni
Ben-Movhar. Je remercie du fond du cœur Sde Eliezer qui nous a
accueillis, 150 personnes à se retrouver dehors cette fameuse nuit
de la semaine passée. »
Il
était à Haïfa quand le Hezbollah est entré dans son village. Son
épouse lui a téléphoné, paniquée. Leur fille de six ans était
à l’école. Elle n’est pas revenue avant le soir. Et lui-même
n’a pas été autorisé à rentrer au village avant le lendemain
matin. « Le lendemain,
un officier m’a demandé : ‘Comment ne les avez-vous pas
vus ?’ Je lui ai dit : ‘Vous vous moquez de moi. Vous
avez une caméra sur le Mont Dov et vous pouvez voir combien de cm³
j’ai pissé, et après vous me demandez comment on ne les a pas
vus ? Votre question est offensante. »
Et
votre fille ?
« Cette
nuit, elle ne s’est pas endormie. Chaque heure est comme un mois
de cette peur. Au moindre bruit à l’extérieur, ça peut être
une vache, un chat, elle me dit : ‘Papa, il y a des coups de
feu’. Ce qu’on appelle quelqu'un en état de choc. Vous voyez
bien que maintenant tout est calme, mais dans votre tête, tout est
fou. Vous ne savez pas quand ça va vous arriver. C’est comme
quand vous vous retrouvez soldat dans les Territoires : vous ne
savez pas quand ça va arriver. Même une ambulance, il n’y en a
pas ici. Ici la vie d’une personne ne vaut pas même 150 000
shekels pour l’Etat d’Israël. Omri Sharon ramasse une somme
comme celle-là en une demi seconde comme don et nous, nous
n’avons pas d’ambulance. Je voudrais qu’un ministre ou un
autre, un responsable, vienne ici et qu’il passe ici un mois, côté
nord et côté sud, et on verrait quoi. »
Une apparence de
tranquillité règne effectivement sur le village. Des fillettes
jouent à la marelle, des vieillards se réchauffent au soleil, des
tas de bois sont prêts pour l’hiver. De l’oued escarpé remonte
la canalisation qui fut cause du précédent litige avec le
Hezbollah, pour détournement des eaux du Hatzbani. Bientôt la
neige couvrira tout. La balade dans les rues est plutôt tendue pour
un étranger. Rien ne nous sépare du prochain enlèvement.
Dans
la bouche du porte-parole du Conseil local, Najib Khatib, jeune Israélien
volubile lui aussi, les plaintes ont un tour plus officiel mais
elles sont comparables : la plupart des services ne sont pas
offerts dans le village, évidemment pas dans la partie nord. Ni
Bezeq [compagnie de téléphone], ni compagnie d’électricité, ni réparateur
de réfrigérateurs, ni ambulance ni pompiers, aucun n’entre ici.
Il y a environ un mois et demi, le feu a pris dans l’oued et les
villageois ont éteint l’incendie avec des seaux. « Tout
le village a été rejeté au-delà des frontières du pays. »
Il se plaint essentiellement de l’incertitude. Que va engendrer le
jour qui vient ? Israël s’en ira-t-il ? Restera-t-il à
tout jamais ? Redeviendrons-nous syriens ? Libanais ?
Une clôture sera-t-elle construite qui coupera le village en son
milieu comme Israël a fait à Abou Dis ?
Sur
la porte de la pièce proprette, il est écrit « Porte-parole
du Conseil et Agent de la sécurité du Conseil ». Des
classeurs sur l’étagère : médecine dentaire dans les écoles,
sécurité des écoles. « Quelqu'un
du Ministère de l’Education a-t-il pris la peine de nous téléphoner
pour demander comment nous allions ? Quelqu'un s’en
soucie-t-il ? Quelqu'un a-t-il fait passer à la télévision
ce qui nous était arrivé ici ? » Essayez seulement
de lui demander quelle citoyenneté il préférerait et son visage
va s’empourprer : « Quand
ils ont coupé Ghajar, quelqu'un nous a-t-il demandé quoi que ce
soit ? Quelqu'un est-il venu ici pour expliquer ? Vous
m’avez demandé ce que je voulais ? Mon opinion a-t-elle de
l’importance pour quelqu'un ? Alors pourquoi m’interroger
sur une citoyenneté syrienne ? »
La
veille du retrait du Liban, ils ont remué ciel et terre pour que
leur village ne soit pas traversé par une clôture et découpé.
Ils ont appelé le monde entier à l’aide, depuis Kofi Annan, et
ils ont été exaucés : la clôture n’a pas été érigée
et la frontière est restée imaginaire. Mais que se passera-t-il
après deux ou trois autres incidents comme celui de la semaine passée ?
Khatib : « Vous ne
savez pas quand ils nous feront passer au Liban et qu’ils
fermeront la porte derrière nous. »
Théâtre
de l’absurde : ils paient une assurance automobile
obligatoire en Israël mais il n’y a pas d’assurance pour la
partie nord du village ; l’impôt sur la propriété
indemnisera seulement les habitants de la partie sud qui ont été
touchés par l’attaque du Hezbollah bien que les dommages subis
dans la partie nord soient plus graves et qu’ils soient, pour
l’essentiel, dus à l’armée israélienne. Israël a confisqué
les territoires laissés derrière eux par la moitié environ des
habitants qui ont fui en 67, Israël en a fait des « propriétés
d’absents », les a vendus en 1975 à 33 des familles
restées et il apparaît maintenant qu’il s’agit d’un
territoire libanais. Maintenant, les absents veulent revenir sur un
territoire qui se trouve au Liban. Qui les arrêtera ? Et
qu’en sera-t-il des habitants qui ont acheté ces terres ?
Israël a, par deux fois, fait le commerce de biens ne lui
appartenant pas. Les terres ne sont pour ainsi dire pas cultivées,
à cause des sangliers. Il est interdit de les chasser ici parce que
chaque balle tirée est susceptible de mettre le feu à tout le
secteur, alors les sangliers ont gagné sur les champs sans être
troublés et il n’y a pas d’agriculture. Quand on interroge
Khatib sur le passage de drogues par le village, il répond :
« Dans la partie nord,
il n’y a ni armée ni police. Chacun peut faire sa propre justice. »
Le professeur de géographie
et d’histoire, Zaki Salman, a passé toute la semaine écoulée
chez lui, à côté du poste de l’armée israélienne. Chaque
matin, il se rendait à l’école et revenait après quelques
heures parce que les élèves ne venaient pas. Son jeune fils, âgé
de 16 ans, Ismaïl, est encore sous le choc et les signes en sont
visibles. Son père se tourmente : il l’avait envoyé acheter
des cigarettes quelques minutes avant l’attaque et l’adolescent
a été piégé au milieu de l’enfer, a trouvé à s’abriter
pour de longues heures sur le chantier d’une maison en
construction en bordure du village. Ce n’est pas un hasard si
aucun habitant de Ghajar n’a été blessé, il faut le noter :
les combattants du Hezbollah s’étaient adressés aux habitants
par mégaphones, les appelant à rester chez eux, et ils ont pris
soin de ne pas les toucher.
« Ça
a commencé à 14h55 », raconte Salman. « Je
préparais les cours pour le lendemain et tout à coup, j’ai
entendu un boum. J’ai pensé que c’était les boums habituels et
alors j’ai entendu un autre boum et toute la maison a tremblé.
Nous avons vu de la fumée noire s’élever du poste ».
Ils ont fui jusqu’à la maison de son neveu, de l’autre côté
de la rue, plus éloignées des coups de feu, et là ils se sont
cachés dans la petite cuisine, essayant d’apaiser par téléphone
portable le fils piégé.
En
juillet 2001, nous étions venus chez Salman. Ce jour-là, Shadi,
son fils médecin, épousait l’élue de son cœur, Kautar, une
pharmacienne. Kautar était à l’époque une fiancée syrienne et
nous l’avions accompagnée depuis la frontière, à Quneitra,
jusqu’à la maison de la famille Salman, tout au bout de Ghajar.
La fille aînée de Shadi et Kautar a déjà deux ans et demi. Ses
parents, Kautar les voit une fois par an en Jordanie. Elle parle déjà
couramment l’hébreu.
Pendant
ses leçons d’histoire et de géographie, Salman enseigne aussi à
ses élèves l’histoire du village. « Les
élèves posent des questions, maudissent les Nations Unies et Terje
Larsen qui a élaboré l’accord appliqué ici, mais ce sont des
questions pour la classe, pas pour le journal. » Il
raconte qu’à deux heures et demie dans la nuit, après que les
tirs se sont calmés, des soldats de l’armée israélienne sont
entrés pour fouiller la maison et qu’ils ont demandé à tous
ceux qui étaient présents de se réunir dans une seule pièce.
Quand ils ont vu le vieux père du professeur, ils se sont empressés
de s’excuser et de sortir. « Désolé
pour le dérangement », a dit à Zaki le commandant.
Seulement à Ghajar.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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