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Entre l'Iran et Israël, c'est : "oeil pour oeil, bombe pour bombe" !
David Hirst 



In The Daily Star (Liban)

Mardi, 21 mars 2006

http://www.dailystar.com.lb/article.asp?edition_id=10&categ_id=5&article_id=23099

Traduit de l'anglais en français par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft.

 

Très largement répandu est l’avis que l’acquisition d’armes nucléaires par l’Iran est une perspective alarmante. Mais très peu d’attention est en revanche accordée à la principale raison : il existe déjà une puissance nucléaire moyen-orientale – Israël – lequel tient à conserver son monopole. On le voit : la crise actuelle était prévisible depuis des décennies ; elle ne pouvait qu’être automatiquement déclenchée par l’émergence d’une deuxième puissance nucléaire, que celle-ci soit (ou non) amie de l’Occident. L’Iran est ce qu’on fait de pire dans l’inamical, ce qui ne fait que corroborer le présupposé largement partagé selon lequel il serait seul responsable de l’apparition de cette crise – et donc de sa solution. Mais est-ce bien la réalité ?

L’Iran n’est assurément pas blanc comme neige. Pour commencer, son accès à l’arme nucléaire infligerait un magistral camouflet à un traité international de non-prolifération qui n’en a vraiment pas besoin. Ensuite, cela impliquerait une énorme tromperie. Troisièmement, les Etats-Unis classent, en gros, les puissances nucléaires actuelles dans deux catégories : les responsables et les irresponsables. L’Iran serait la puissance nucléaire irresponsable par excellence, étant donné qu’il est déjà le pire des « Etats voyous ». Typiquement, un Etat voyou, tout autant que nécessairement oppresseur à l’intérieur, idéologiquement répugnant et anti-américain, associe une nature agressive avec une force militaire disproportionnée et représente par conséquent une menace considérable pour tout ordre régional établi. Qu’est-ce qui pourrait mieux assigner l’Iran à une telle mauvaise compagnie que le président Mahmoud Ahmadinejad, qui en appelle à « rayer Israël de la carte » ?

Et pourtant, en ce qui concerne les armes nucléaires, c’est Israël qui est le premier pécheur au Moyen-Orient. La non-prolifération est nécessairement universelle : si, dans une zone de haute conflictualité, un des partenaires entre au club nucléaire, ses adversaires vont inéluctablement chercher à l’imiter. Peu importe si cela fait longtemps, Israël, en enfreignant ce principe, endosse nécessairement une écrasante responsabilité pour tout ce qui s’est produit depuis. Ensuite, sa tromperie ne fut pas moins grave que celle de l’Iran, même si, étant donné qu’il n’existait pas à l’époque de Traité de non-prolifération nucléaire, le seul pays qu’Israël ait trompé sont les Etats-Unis. Conscient des implications de l’esprit retors d’Israël, la CIA avait averti en 1963 qu’en renforçant considérablement son sentiment de sécurité, sa capacité nucléaire rendrait Israël moins conciliant vis-à-vis des Arabes, et absolument pas plus conciliant ; de plus, Israël exploiterait ses nouveaux « avantages psychologiques » pour « intimider » ses voisins.

Ce qui – troisièmement – met le doigt sur l’utilisation d’ores et déjà irresponsable faite par Israël de sa capacité nucléaire. Bien sûr, Israël a toujours justifié sa bombe en la présentant comme son « option Samson », c’est-à-dire son dernier recours contre des voisins qui éventuellement se seraient juré de le détruire. Une telle menace n’existe pas, actuellement, mais si un jour elle a effectivement existé ou si elle est appelée à se re-manifester, la question posée est celle du : « Pourquoi ? »

Une partie prépondérante de la réponse tient en ceci que, dans la plupart des domaines – excepté l’hostilité envers les Etats-Unis, bien sûr – Israël s’est toujours comporté comme un pays voyou. Il est venu au monde en bouleversant de fond en comble l’ordre moyen-oriental, par la violence et l’épuration ethnique. Un tel Etat colonisateur n’aurait pu obtenir une authentique légitimité, ni sa véritable intégration dans un nouvel ordre qui reste à parachever, qu’en restaurant les droits palestiniens qu’il a violés par sa création et sa croissance mêmes.

En fin de compte, c’est de cela dont il est question avec le « processus de paix ». Le monde possède une définition des grandes lignes de la solution qui doit en représenter l’aboutissement. Cela n’implique pas l’émancipation totale d’un peuple indigène, comme cela fut la norme dans le cas de la décolonisation européenne ; mais bien, plutôt, un compromis bien plus onéreux pour les Palestiniens vaincus que pour les Israéliens victorieux.

Mais cette solution ne vient jamais, parce qu’Israël s’oppose y compris à ce degré minimal de compromis. En effet, il n’encourt aucun risque en adoptant une telle attitude. Son pouvoir nucléaire, en sus de sa supériorité militaire conventionnelle déjà écrasante, lui assure l’impunité. C’est à cette utilisation irresponsable qu’Israël fait de son armement nucléaire que fit allusion Shimon Peres, le père de la nucléarisation d’Israël, quand il déclara que « l’acquisition d’un système supérieur d’armements signifierait la possibilité de l’utiliser en cas d’impérieuse nécessité – c’est-à-dire afin de contraindre l’ennemi à se soumettre aux exigences politiques d’Israël ». Ou encore Moshé Sneh, un grand stratège israélien, quand il déclara : « Je ne veux pas que les négociations israélo-palestiniennes se déroulent à l’ombre menaçante d’une bombe nucléaire iranienne. » Comme si les Arabes n’avaient jamais eu à négocier à l’ombre d’une bombe nucléaire israélienne, et cela, depuis au moins quarante ans ? !

La crise peut évoluer de trois manières différentes. La première : Israël persiste et parachève en toute impunité la perpétuation de son « péché originel ». Car ce n’est pas tant « le monde », comme aime à le répéter le président George W. Bush, qui trouve un Iran nucléarisé tellement intolérable, mais bien plutôt le monde qui lèche les bottes d’Israël – il y a nuance ! Ce n’est pas le risque que l’Iran attaque Israël qui rend la crise tellement dangereuse, mais bien celui qu’Israël attaque l’Iran – ou que les Etats-Unis se chargent de cette tache à sa place. En effet, les bombes d’Israël, ou leur protection, sont devenues un instrument diplomatique qui se retourne contre son bienfaiteur. C’est le legs du consentement des Etats-Unis, quand bien même eût-il été non sans quelque réticence, à la détention par Israël de l’arme nucléaire. Un consentement tacite qui s’est transformé en un cautionnement sans réserve par des administrations américaines successives de plus en plus pro-israéliennes.

Ainsi avons-nous « une superpuissance », a écrit l’analyste ès stratégie Mark Gaffney, « assez aveugle et stupide pour permettre à un autre Etat, Israël, de contrôler sa propre politique étrangère ». Ce même auteur avait averti, dans une brillante étude, qu’une agression américaine contre l’Iran pourrait se terminer par une catastrophe comparable à celle des légions romaines à Canne, en 216 avant J.C., qui furent battues par l’armée d’Hannibal, très inférieure en effectif. Car dans un domaine particulier de la technologie militaire – les missiles anti-navires – la Russie à plusieurs coudées d’avance sur Etats-Unis. De plus, la détention par l’Iran des redoutables 3M-82 Moskit pourrait transformer le Golfe persique en un piège mortel pour la flotte américaine. Et c’est d’ailleurs de l’administration Bush elle-même que sont en train de nous parvenir les premiers indices selon lesquels, dans le chaos régional que l’Iran serait tout à fait capable de causer, il risquerait de ne rester aux Etats-Unis aucune solution susceptible, réalistement, d’empêcher ce pays de « devenir nucléaire ».

Cela montre une deuxième évolution possible de la crise, dans laquelle Israël serait obligé de renoncer à son monopole nucléaire et où le Moyen-Orient entrerait dans un équilibre de la terreur à la mode « guerre froide ». Cet équilibre pourrait s’avérer stable. Clairement, à l’instar d’Israël, l’Iran ferait un usage irresponsable et politique de ses bombes nucléaires. Mais, à l’instar d’Israël, aussi, la quête nucléaire de l’Iran est essentiellement défensive, même si ce n’est pas dans la même acception du terme « défensif ». Rien n’aurait pu convaincre plus l’Iran de la nécessité pour lui d’acquérir une dissuasion non-conventionnelle que le sort de l’Irak de Saddam Hussein, que les Etats-Unis n’ont pas craint d’attaquer du simple fait qu’il ne détenait pas d’armes nucléaires. Mais une chose est sûre : même les mollahs ne seraient pas assez fous pour utiliser les premiers leur dissuasion en frappant les premiers un Israël capable de déclencher une formidable capacité de seconde frappe contre eux. La troisième possibilité – le renoncement, par l’Iran, à ses ambitions nucléaires – aurait sa meilleure chance de se réaliser si Israël était contraint à agir de même ; non pas seulement parce que la réciprocité est l’essence du désarmement, mais aussi parce que cela signifierait un changement fondamental dans l’approche que les Etats-Unis ont de la région.

Et cela pourrait avoir des effets bénéfiques bien au-delà de la pure question nucléaire. L’analyste militaire israélien Zeev Schiff, qui « a de la bouteille », a écrit : « Il n’y a qu’une seule manière d’échapper à un équilibre de la terreur nucléaire : utiliser le temps qu’il nous [nous = les Israéliens, ndt] reste, tant que nous avons encore le monopole en la matière, pour faire la paix. Dans le cadre de la paix, une zone exempte d’armes nucléaires peut être instaurée. »

C’est là, malheureusement, prendre le problème à l’envers. Pour faire la paix, comme le mémo de la CIA l’a bien vu, Israël n’a pas besoin de l’intransigeance que lui procure sa sécurité absolue, mais bien de l’esprit de compris que seule une dose judicieuse d’insécurité serait susceptible de lui apporter. C’est peut-être là une notion utopique, le monde étant aujourd’hui tellement focalisé sur la vilenie de l’Iran. Elle est pourtant bien préférable à un assaut américain qui ne ferait qu’ajouter une couche tellement épaisse au dépôt colossal des sentiments anti-occidentaux qui y prévalent qu’Israël ne pourrait même plus ne serait-ce qu’espérer être un jour accepté dans la région.

[* David Hirst a été longtemps correspondant du quotidien londonien The Guardian au Moyen-Orient. Il a rédigé ce commentaire spécialement à l’intention du Dailyl Star, de Beyrouth.]

°°°°°°°
Between Iran and Israel, try a bomb for a bomb

By David Hirst

In The Daily Star (Lebanon)

Tuesday, March 21, 2006

http://www.dailystar.com.lb/article.asp?edition_id=10&categ_id=5&article_id=23099


 Source : Silvia Cattori


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