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C’est : « Eux, ou nous » !
Daniel Ben Simon
in
Ha’aretz, 9 juin 2006
http://www.haaretz.com/hasen/spages/725064.html
Traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs
pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft.
Bien que deux semaines aient
passé, les commerçants juifs du quartier juif [de Paris] étaient
encore en émoi. Certains d’entre eux avaient encore à
l’esprit la bande de jeunes Noirs tout de noir vêtus, qui
avaient lancé une attaque contre la Rue des Rosiers, en
brandissant de massives battes de base-ball, menaçant les
boutiquiers de leur fracasser le crâne. Durant d’interminables
minutes, des dizaines d’adeptes de la Tribu KA avaient parcouru
la rue juive, criant des slogans anti-juifs. Le propriétaire
d’une librairie juive, au début de la rue, a raconté il y a
quelques jours de cela que ces jeunes criaient : « Mort
aux juifs ! » Quant au tenancier d’un kiosque à
falafels, il a raconté qu’ils menaçaient de « niquer
tous les juifs ».
La
Rue des Rosiers est située au cœur du quartier juif [parisien]
du Marais, qui attire depuis quelques années des membres de la
communauté homosexuelle de la ville. Des milliers de juifs ont été
chassés de chez eux, dans ce quartier, il y a soixante ans, par
le régime de Vichy : ils ont été envoyés dans des camps
de transit, d’où ils ont été déportés vers des camps
d’extermination. Les souvenirs sont encore frais, et les
habitants juifs de ce quartier portent encore les cicatrices de
cette époque où le ciel s’était assombri en France.
Depuis
quelques années, le quartier a retrouvé son caractère juif,
avec des synagogues, des restaurants cachère, des charcuteries à
delikatessen, des gargotes à falafel et à shawarma, et beaucoup
de juifs qui flânent dans la rue, portant une kippa ou une fedora.
Les week-ends, ce quartier juif devient un musée vivant, et des
foules de touristes viennent musarder dans ses ruelles étroites
pour s’imprégner de la « yiddishkeit », cette
ambiance juive des jours d’antan.
Le
Betar, un mouvement sioniste de jeunesse, est particulièrement
actif, dans le Marais. Ses membres semblent ne pas avoir pris
conscience des changements intervenus en Israël au cours des
dernières décennies, et beaucoup d’entre eux en tiennent
toujours pour un Etat juif sur les deux rives du Jourdain et pour
l’expulsion des Palestiniens. A leurs yeux, toute personne
critiquant la politique israélienne est nécessairement antisémite.
Il y a de cela quelques années, les dirigeants de la communauté
juive française avaient été profondément offensés par le
Premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Netanyahu,
qui avait délibérément décidé d’entamer sa visite d’Etat
en France en compagnie de Betarim [= membres du Betar, ndt], et de
ne rencontrer les dirigeants officiels de la communauté juive
qu’en deuxième instance.
Après
l’assassinat d’Ilan Halimi, en février dernier, les Betarim
ont « pris le contrôle » des rues du Marais, appelant
à la vengeance, apposant des autocollants jaunes de la Ligue de Défense
Juive portant ce même message un peu partout, sur les murs
disponibles. Après quoi, des membres de la Tribu KA, relevant le
gant lancé par ces fanatiques juifs, ont fait une incursion dans
le quartier. « Où se cachent les Betarim ? »
vociféraient les gros bras du culte mélanolâtre, faisant pour
la première fois irruption dans les rues juives. « Nous
allons tous vous zigouiller ! » criaient-ils en
direction des résidents – terrorisés – du quartier.
Le
réveil des immigrés noirs originaires d’Afrique, en France, coïncide
avec la « rébellion » des immigrés originaires du
Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie).
Les Noirs exigent que la
France exprime ses regrets – et présente des excuses – pour
l’ère de l’esclavage dont leurs ancêtres ont été les
victimes au temps de l’occupation française. Aujourd’hui, ils
affirment que les victimes africaines devraient bénéficier du même
statut que les juifs survivants du génocide nazi.
Quant
au culte [mélanolâtre, ndt], ses revendications ne sont pas très
claires. Il n’a que quelques centaines d’adeptes, qui
observent un style de vie sectaire, et maintiennent un secret
absolu sur leurs méthodes opérationnelles. Leur principal
objectif, aujourd’hui, c’est de faire se terrer les Betarim
dans les caves, histoire de montrer « qui est le boss, dans
les parages ».
Montfermeil
Lundi
dernier, toute la France retenait son souffle. Des citoyens français
étaient effrayés et angoissés, après qu’on eut appris que
dans une ville de la banlieue Nord de Paris, des échauffourées
s’étaient produites, opposant des immigrés et la police.
« Au
début, j’ai pensé que nous allions assister à une répétition
des émeutes qui avaient éclaté en novembre de l’année dernière
(et qui avaient porté la tension à un point d’ébullition dans
les banlieues à forte population immigrée dans l’ensemble de
la France) », a dit à Ha’aretz Xavier Lemoine, maire de
Montfermeil – cette ville de banlieue, au Nord de Paris, où ces
incidents se sont produits, ajoutant : « En une seule
nuit, il y a eu plus de blessés et plus de dégâts que durant
toutes les émeutes de l’an dernier. »
En
quelques minutes, la passion était à son comble, dans cette
petite ville pittoresque, voisine de Clichy-sous-Bois, cette
banlieue où les émeutes avaient éclaté, à l’automne
dernier. Durant ces émeutes, l’ « Intifada »
des immigrés de Clichy-sous-Bois, pauvres et défavorisés, s’était
propagée à toutes les banlieues entourant Paris, et avaient fini
par incendier tous les quartiers à forte population immigrée
dans l’ensemble de la France. Jusqu’à aujourd’hui, les
citoyens français ont du mal à oublier le sentiment de chaos
total généré par la violence de cette « insurrection ».
C’est la raison pour laquelle des centaines de policiers ont été
envoyés à Montfermeil afin de calmer les premiers signes
annonciateurs d’une nouvelle rébellion. Durant plusieurs
heures, cette petite ville (de 62 000 habitants) a fait les gros
titres des journaux du pays.
Tout
a commencé à la suite d’une décision administrative du maire.
Voici quelques mois, il a interdit les rassemblements de plus de
quatre jeunes en centre-ville. Depuis janvier dernier, le nombre
des vols et des cambriolages avait monté en flèche, connaissant
une augmentation de 600 %, et le dynamique maire de la localité
cherchait des solutions susceptibles d’améliorer le sentiment
de sécurité de ses administrés. En étudiant le problème, il découvrit
que la plupart des délits étaient commis par des gangs comptant
plus de quatre membres. Sa décision eut le don de mettre hors
d’eux les jeunes de la ville. Peu de villes de banlieue, en
France, présentent une mosaïque ethnique aussi bariolée que
cette petite ville : plus de 30 % des habitants sont des étrangers.
Ils viennent de quarante pays, et sont musulmans à 80 %. Des
antennes satellites en forme d’assiette, sur les balcons et aux
fenêtres, captent les émissions d’Al-Jazeera et de centaines
de chaînes de télévisions des pays arabes.
Dans
les quartiers de la ville plus particulièrement peuplés
d’immigrés, la moitié des habitants ont moins de vingt ans. A
midi, on voit des centaines de jeunes appuyés avec nonchalance
aux barrières, devant les immeubles d’habitations ou devant les
commerces. La semaine passée, le maire a de nouveau fait les gros
titres des journaux après une confrontation avec un groupe de
jeunes qui avaient attaqué le passager d’un autobus. La police
est arrivée et le maire, qui avait assisté à l’agression, a
identifié les agresseurs. La nouvelle de l’incident s’est répandue
comme feu dans la paille, dans l’ensemble des quartiers
d’immigrés, et la nuit suivante, des centaines de jeunes se
sont rassemblés devant la mairie. Après quoi, ils se sont mis à
lancer des cocktails Molotov.
Ensuite,
ils se sont rendus devant la résidence privée du maire, qu’ils
ont caillassée. Au matin, plusieurs personnes avaient été blessées.
Depuis lors, la maison du maire est sous surveillance constante,
et des policiers sont en faction à l’entrée de la mairie,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Néanmoins, en dépit de ces
mesures de sécurité, l’épouse et les enfants du maire ont été
blessés, après avoir été agressés physiquement.
En
quelques mois seulement, la vie de M. Lemoine a été entièrement
chamboulée. Ce maire âgé de quarante-cinq ans, membre du parti
au pouvoir en France, s’est retrouvé au beau milieu d’une
situation chaotique menaçant de transformer sa commune tranquille
en champ de bataille. Sa position courageuse au milieu des immigrés
a fait de lui un héros, aux
yeux de la droite, et en particulier de sa variante extrême.
Même des gens de gauche reconnaissent son héroïsme, qui
contraste si favorablement avec la politique timorée du Président
Jacques Chirac.
« Regardez »,
nous a-t-il dit tandis qu’il se tenait à la fenêtre de son
bureau et qu’il nous désignait le quartier des immigrés :
« C’est : Eux, ou nous ! Si ce sont eux qui
gagnent, nous sommes cuits. Je suis un Français catholique fier
de l’être, et je n’ai pas l’intention de vivre comme un « dhimmi »
[c’est-à-dire un non-musulman jouissant d’un statut protégé,
dans un pays musulman – NdA Daniel Ben Simon] dans mon propre
pays. Nous sommes différents d’eux : ces gens ne sont pas
représentatifs de la France. Nous sommes pris au beau milieu
d’une guerre islamique menée dans le monde entier : en
Irak, en Iran, au Pakistan et en Afghanistan. Tout ce qui se passe
« là-bas » a des réverbérations ici, en France, et
influence les immigrés. »
Au début,
il avait pensé que la « rébellion » était alimentée
par la pauvreté et les problèmes posés par l’intégration
dans une société différente. Il a très vite pris conscience du
fait que les musulmans représentaient un défi culturel pour son
pays. Un incident, notamment, continue à le hanter :
« C’était
deux mois après le 11 septembre [2001] », se remémora-t-il.
« Nous avions organisé un festival de dessin dans nos
jardins d’enfants et nos écoles primaires. J’ai été sidéré
de découvrir que 20 % des enfants – tous musulmans – avaient
peint une icône d’Oussama Ben Laden en héros national. Cette découverte
continue à me faire froid dans le dos. »
Durant
ces dernières nuits, il a été dérangé par un cauchemar récurrent,
au cours duquel des immigrés s’enfuient de chez eux et
incendient la ville. Il est persuadé que les immigrés musulmans
ont déclaré la guerre à la France, dans l’intention de la
mettre à genoux. Il considèrent que, dans ses confrontation, les
juifs sont des alliés. « Je suis peiné à l’idée que
mon pays a honte de sa culture et de ses valeurs. Quand la France
dénie sa propre histoire et s’excuse à tout bout de champ pour
l’esclavage, pour ses conquêtes et pour le colonialisme,
doit-on encore s’étonner si les immigrés se révoltent contre
elle et s’ils ne montrent pas le moindre respect à son endroit ?
Malheureusement, la France n’a pas exigé d’eux qu’ils
changent. Elle leur a permis de parler arabe et de cultiver leur héritage
[culturel], aux dépens de la culture française. »
Bientôt,
ce sera le démarrage du chantier de construction d’une mosquée,
à Montfermeil, dotée d’un minaret de douze mètres de hauteur.
D’après M. Lemoine, c’est en raison du manque de lieux de
culte musulmans qu’il a cédé aux pressions et qu’il a
autorisé la construction de cette mosquée, qui devrait desservir
les 25 000 musulmans résidant dans la ville. Il espère que les
services religieux et que l’ouverture d’un lieu où les
musulmans pourront se rencontrer auront pour effet d’apaiser les
passions dans leur communauté ; toutefois, il ne se fait
aucune illusion. « C’est une guerre entre cultures »,
soupire-t-il. « C’est une guerre entre l’Islam et la
culture occidentale. La France et l’ensemble de l’Europe sont
en danger. Si nous ne prenons pas conscience de la gravité de la
menace musulmane, nous encourrons un grave péril. »
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