mardi 4 avril 2006
La mise en demeure à l’adresse du
Hamas est devenue un « must » de la diplomatie
internationale. Depuis sa victoire électorale fin janvier, on ne
cesse de lui adresser cette injonction : « ou bien vous
reconnaissez Israël, ou bien on vous coupe les vivres ».
Passe encore que l’État d’Israël se prête à cet exercice,
mais que dire de cette « communauté internationale »
censée faire appliquer ses propres décisions ? A-t-on
oublié que les résolutions onusiennes exigent certes la
reconnaissance d’Israël, mais aussi l’évacuation des
territoires occupés ? La loi internationale est-elle
subitement devenue unijambiste ? L’injonction dirimante
adressée à l’occupé, et à lui seul, n’est-elle pas un épisode
supplémentaire dans l’application erratique du droit
international au Moyen-Orient ?
C’est une bizarrerie qui n’a
aucun précédent historique. Il n’est jamais venu à
l’esprit de personne, nulle part, de demander à un peuple occupé
de reconnaître inconditionnellement la puissance occupante. Chacun
sait, pourtant, qu’il s’agit d’une règle juridiquement
valide, et toujours vérifiée dans l’histoire : la paix avec
l’occupant n’est possible qu’à l’instant où cesse
l’occupation. Mais dans le cas palestinien, tout se passe comme si
l’on inversait la charge de la preuve : c’est à l’occupé
de faire la démonstration qu’il ne nourrit aucune hostilité à
l’égard de l’occupant. Que demande-t-on à Israël en échange ?
Rien. Sous occupation militaire étrangère depuis 1967, le peuple
palestinien est invité à rendre les armes, à cesser toute résistance,
à se plier à la loi du plus fort. Pourquoi le ferait-il ?
Absurdité pour absurdité,
l’attitude dominante accrédite l’idée que les Palestiniens
sont intrinsèquement coupables : coupables d’avoir mal voté,
coupables de résister à l’occupation, coupables d’exister en
tant que peuple exigeant la reconnaissance de ses droits. Sait-on
seulement quels germes de haine l’arrogance israélienne et la lâcheté
occidentale risquent de répandre dans une population où un enfant
sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté ? Lors d’une récente
réunion du cabinet israélien, un ministre a déclenché
l’hilarité de ses collègues en disant qu’il ne fallait pas
affamer les Palestiniens, mais seulement les « faire maigrir ».
On croyait que le principal ressort de l’humour juif était
l’autodérision : se serait-on trompé ?
Le plus dramatique est qu’il y
aura encore, demain, de belles âmes qui n’auront pas de mots
assez poignants pour dénoncer l’horreur du terrorisme. On
entonnera, de nouveau, l’hymne à la civilisation menacée par ces
nouveaux barbares, véritables maniaques de la ceinture
d’explosifs... En oubliant que depuis le 25 janvier aucun attentat
n’a été perpétré, tandis que dix Palestiniens ont été
abattus en Palestine par l’armée d’occupation israélienne. Des
assassinats à répétition, comme pour pousser le Hamas à la
faute, alors que ce dernier a prorogé une trêve des attentats
scrupuleusement respectée depuis dix mois. Alors qu’il a réitéré
son refus de reconnaître l’occupant, mais aussi sa proposition de
trêve de longue durée en échange de l’évacuation des
territoires occupés depuis 1967.
Lors de sa rencontre avec les
Russes, à Moscou, le principal responsable du Hamas leur a demandé
« quel Israël » il devait reconnaître. Il les a mis au
défi de le dessiner sur une carte. L’Israël d’avant 1967 ?
Mais où est-il ? 450 000 colons juifs sont installés
dans les territoires occupés, et Jérusalem, « capitale éternelle
d’Israël », est annexée depuis 1980. Il n’y a eu aucun
attentat-suicide avant 1980 : le premier a été perpétré en
1994. Mais l’occupation, la colonisation et la répression israéliennes,
elles, n’ont pas attendu les attentats-suicides : c’est le
lot quotidien des territoires palestiniens depuis quarante ans.
« Tout édifice bâti sur l’insensibilité à la souffrance
d’autrui est appelé à s’effondrer avec fracas »,
avertissait en 2003 l’ancien président de la Knesset, Avraham
Burg, qui dénonçait l’évolution de son pays vers « un État
méconnaissable et haïssable ». On demande au Hamas de
reconnaître Israël. Soit. Encore faut-il que ce dernier ne soit
pas parfaitement méconnaissable.
Bruno GUIGUE
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