26 janvier 2006
Jusqu'à l'écriture de cet article, l'ampleur de la victoire du
Hamas n'était pas encore précisée, mais cette victoire au
sein du conseil législatif palestinien suscite rapidement ces
quelques réflexions :
1 - l'intervention américano-israélienne contre le Hamas et
les menaces portées contre la société palestinienne pour le
choix de son vote, a produit un effet contraire. Cela ne
signifie pas que la force du Hamas est seulement constituée
d'une réaction aux politiques israéliennes et américaines, sa
force est issue de plusieurs éléments, les plus importants étant
ses bases sociales et ses institutions, et son appui, dans
certains cas, sur les structures civiles traditionnelles et
autres, et aussi de la voie de la résistance qu'il a adopté
depuis la première intifada, et ensuite et non moins important,
son discours islamique. Mais si le mouvement du Hamas constitue
une force principale sur la scène palestinienne, son influence
a augmenté au cours des élections par le fait qu'Israël et
les Etats-Unis ont transformé ces élections en défi des
volontés. Si un électeur palestinien adulte a voulu voter
pour le Hamas, s'est ajouté à lui un autre adulte voulant
voter pour le Hamas, contre les Etats-Unis et Israël. Il y a
une leçon dans cette question, qui ne s'arrête pas à la
Palestine. Les Etats-Unis peuvent y réfléchir, s'ils ont à
leur tête quelqu'un qui puisse en tirer les leçons !
Les Etats-Unis et Israël ont menacé le peuple palestinien des
pires catastrophes si le Hamas obtenait la majorité des sièges au
conseil législatif, et l'Union européenne s'est jointe à ces
menaces. Dans un système social ayant produit une économie
parasitaire et une mentalité de mendicité, l'Union européenne
s'est adressée à la monnaie de quelques individus et aux
ventres d'autres, en menaçant de couper les aides financières.
Dans le cadre de la suprématie d'une voie et d'une culture
politiques rattachant le sort politique palestinien à la stratégie
américaine, les Etats-Unis ont menacé de couper toute relation
politique avec l'Autorité, considérant que le Hamas est un
mouvement terroriste. Dans le cadre de l'occupation, les forces
de l'occupation ont menacé qu'elles ne reconnaîtraient pas les
résultats et ont pris des mesures commençant par des
arrestations et finissant par les assassinats.
Dans ces conditions, le vote pour le Hamas devient un vote parce
que c'est le Hamas, et un vote contre les trois éléments cités
plus haut. Ce "non" est un témoignage d'honneur pour
le peuple palestinien, et ne diminue en rien la force du
vainqueur aux élections. Ce "non" cette capacité à
le dire, fait d'ailleurs partie de sa force.
C'est un témoignage d'honneur car le peuple et la société
palestinienne vivent dans un contexte arabe où à peine un président,
un chef ou un roi arabe entendent ou ressentent une colère américaine,
lors d'une interview avec la ministre des affaires étrangères
ou lors d'une déclaration du président américain lui-même,
qu'il se mettent à trembler et à faire la tournée des autres
pays arabes pour mettre en garde les autres dirigeants arabes.
Dans ces conditions, une occasion fut donnée à un peuple
vivant sous occupation de proclamer sa position. Bien que
l'occasion fut donnée et les élections organisées pour des
raisons et des motifs non choisis par lui, il a profité de
l'occasion pour dire non aux Etats-Unis et à Israël. Il met en
difficulté les dirigeants arabes et les incite à avoir un peu
plus confiance en eux-mêmes, (leur disant qu')il n'y a aucune
justification pour affaiblir la volonté de ces dirigeants
politiques arabes, jusqu'à sa disparition, face au diktat des
Etats-Unis. Le peuple palestinien dit, et les peuples arabes
disent, si l'occasion leur est fournie, à leurs dirigeants et
leurs chefs : Les Etats-Unis ne sont pas tout puissants, ô
Seigneur, que Dieu me pardonne.
2 - Les élections ont eu lieu après que le Fateh ait fait dix
ans d'expérience dans l'Autorité. L'Autorité palestinienne
est sous occupation, et n'a pas et n'a pas eu la souveraineté,
et ne sera pas sous souveraineté du fait de l'élection du
Hamas. Ceux qui s'imaginent qu'en votant pour le Hamas, les
mesures oppressives et quotidiennes de l'occupation vont cesser,
et par conséquent, qu'ils se sont vengés et de l'occupation et
de l'Autorité, sont dans l'erreur.
La présence du Fateh dans l'Autorité palestinienne l'a exposé
à une crise d'identité, entre une Autorité qui n'est pas
devenue un Etat et un mouvement de libération qui n'a pas
conservé la culture et les pratiques des mouvements de libération
nationale. Cela s'est reflété sur un ensemble de
comportements. Cet ensemble inclut le fossé existant entre le
discours et la pratique, où le discours de la libération est
devenu une caricature et une anecdote faisant partie de la
culture de la rue palestinienne, qui prend à partie un groupe
d'hommes du pouvoir, qui ont déteint sur le mouvement
historique, qui, lui, fourmille encore de combattants
et militants honnêtes.
Même les réformes à l'intérieur de l'Autorité et du
mouvement n'ont pas pu éviter la pollution des mêmes individus
qui ont transformé ces réformes en mouvements utilisés dans
la lutte pour le pouvoir, par les mêmes individus. Ils ont fait
échouer les tentatives de réforme menées par des militants
honnêtes, qui agissent sur le terrain, en les transformant en
un réservoir d'hommes pour leurs querelles internes en vue de
partager le gâteau du pouvoir, qu'ils espéraient voir
grossir par le biais des aides étrangères, après le décès
de Arafat, ou son martyr, Dieu seul le sait.
Le peuple palestinien a voté contre ces pratiques, et contre
cette culture coincée entre la démission de la libération
nationale et la course après un Etat sans Etat, ou après un
Etat sans aucun contenu de justice et d'équité. Mais avant même
de tirer des conclusions hâtives, il nous faut rappeler que le
mouvement du Hamas n'a pas encore fait l'expérience de
l'administration de la société ni du pouvoir. Nous ne savons
pas s'il va oser aborder cette expérience par le biais d'une
majorité au conseil législatif qui lui permet de former un
gouvernement palestinien. Cette hésitation n'est pas due à un
manque de courage de sa part, mais plutôt à la contradiction
entre la politique et la voie idéologique du Hamas qui l'ont
porté à la majorité législative, et entre la présence d'une
autorité exécutive, attachée du sommet jusqu'aux pieds, à
des relations de coordination et autres, avec Israël, les
Etats-Unis et l'Union européenne, jusqu'à la présence
officielle des services de renseignements américains à
certains endroits.
Il n'y a pas une corruption de principe chez les individus,
qu'ils soient dans l'Autorité ou dans la direction de l'OLP.
Mais ce qui corrompt et qui est corrompu c'est la réalité étendue
de l'action aux marges des régimes arabes jusqu'aux marges du
système israélo-américain. Quiconque se met lui-même à la
place de ceux-là sera lui aussi corrompu. Si le Hamas n'est pas
capable de s'introduire dans le monde du pouvoir exécutif sous
l'occupation, sans se modifier, il n'a que deux choix : le
premier est de démanteler l'Autorité et changer la réalité même
de l'Autorité, et ce choix conduira à une anarchie qui
appelera l'intervention des appareils sécuritaires pour remplir
le vide créé, sans tenir compte du choix démocratique, et le
second choix est que le Hamas propose, ce que nous avons déjà
proposé, une direction nationale unifiée qui contrôle la
stratégie des négociations, direction formée par le conseil législatif,
et un pouvoir exécutif formé par des techniciens pour gérer
les affaires de la société, n'ayant aucune prérogative pour négocier
ni faire des concessions.
Une situation politique extrêmement complexe va se mettre en
place sur la scène palestinienne, si nous prenons en compte les
complexités de la formation de l'Autorité et de ses fonctions.
Prenons tout simplement un exemple, qui est la relation de la
majorité parlementaire qui, si elle se transforme en
gouvernement, avec l'appareil sécuritaire, son entraînement,
son rôle et les sources de son financement, sans parler de sa
position envers la résistance et l'exécution de cette
position. Cette complexité réclame à elle seule une direction
nationale unifiée. De même, une réforme interne du mouvement
Fateh est nécessaire pour qu'il puisse participer à ce genre
de propositions et ce choix, ce qui la libèrera de sa crise
d'identité.
3 - Certains prétendront que le Fateh et les autres forces ont
une majorité sur le terrain. Mais la force sur le terrain n'est
pas la force électorale. La carte électorale constitue la
force organisatrice capable d'amener les voix vers les urnes.
Cette situation pourra être utilisée pour semer des
contradictions, des conflits, de l'inertie, de l'anarchie par
une force plus importante empêchée d'agir. Personne ne peut
compter les excuses ni les causes lors du comptage des voix. Le
nombre non organisé n'est pas un nombre électeur. Cela ne
constitue pas, malheureusement, une force démocratique. La
force démocratique est celle qui est organisée, ou en d'autres
termes, l'organisation est une force car elle est traduite en
nombre. Les gens, dans certains pays arabes, craignent que les
élections ne donnent la majorité aux islamistes, non pas
toujours parce qu'ils sont la majorité, mais parce qu'ils sont
les plus organisés. Ceux-là, au lieu de se plaindre, n'ont qu'à
mieux s'organiser.
4 - Une nouvelle situation politique palestinienne est formée
dont l'une de ses assises est une majorité palestinienne élue
refusant les concessions successives face aux diktat israélien.
Nous devons observer cette réalisation à partir de dix ans de
tentatives relativement fructueuses menées par l'Autorité
palestinienne pour marginaliser l'OLP et rendre absente toute référence
située au-dessus de l'Autorité palestinienne, pour les négociations
et les constantes nationales palestiniennes. C'est ainsi que la
représentativité du peuple palestinien en exil s'est
affaiblie, que se sont également affaiblis les éléments de la
libération et du droit au retour dans l'idéologie politique
palestinienne. Mais ceux qui n'ont pas voulu de l'OLP à l'extérieur
ont obtenu le Hamas à l'intérieur. Et précisément, à l'intérieur
du conseil législatif. La négociation n'est plus possible sans
références et sans constantes. Le peuple palestinien a dit son
mot, au cours de ces élections, affirmant qu'il ne veut pas de
négociations qui ne se réfèrent pas aux constantes.
J'avais prévu que le mouvement du Fateh allait
regretter d'avoir marginalité le rôle de l'OLP, mais je ne
m'attendais pas à ce que cela soit si rapide. D'un coup, ils se
rappelent le conseil national palestinien et l'OLP.
5 - Le parti du Likoud va certainement prétendre, lors des élections
israéliennes, que le peuple palestinien a choisi la voie opposée
à la paix, et que la réaction devrait être de voter pour ceux
qui n'ont jamais cru au désir de paix des Palestiniens, et
qu'il a la réponse adéquate à cet entêtement palestinien.
Les têtes du nouveau parti Kadima prétendront aussi que ce
choix palestinien va approfondir leur tendance à un désengagement
unilatéral sans négociation, et que c'est la réponse préparée
par Sharon à la présence d'une direction palestinienne qui
refuse le diktat israélien. Ce parti essaiera, par conséquent,
de profiter de ce choix palestinien pour faire approuver par
l'opinion israélienne des mesures unilatérales israéliennes.
Quant au parti travailliste, il confirmera les conditions nécessaires
pour toute partie de l'Autorité pouvant être apte à négocier
avec Israël.
Tout cela n'est pas important, et si le peuple palestinien avait
même choisi une partie palestinienne acceptant le diktat israélien,
il n'y aurait rien eu d'autre que la proclamation par les forces
israéliennes d'une victoire de la politique israélienne, de la
mise en place de conditions favorables pour leur politique
"dans l'entente" avec les Palestiniens. La réaction
israélienne n'est pas le principal, mais ce que veulent les
Palestiniens.
Le principal est l'élaboration d'une unanimité palestinienne
qui s'attache à la justice comme principe à une solution, qui
refuse de considérer les prétextes démographiques israéliens
comme base, qu'ils soient chez le Likoud, Kadima ou les
travaillistes.
L'essentiel aussi est que le Hamas considère que les règles du
jeu démocratique qui lui ont permis de réaliser la majorité
s'appuient, entre autres, sur des libertés individuelles, les
droits des individus à choisir leur vie, les droits de la
citoyenneté et la liberté de religion. Cette dernière est également
commune avec les valeurs islamiques présentes pour ceux qui
veulent et ceux qui souhaitent et ont intérêt à la découvrir.
Ces défis ne sont pas moins importants que le défi de la
volonté qu'a exprimée la majorité en ce jour mémorable.
Traduit par Centre d'Information
sur la Résistance en Palestine