Jénine
8 mars 2006
Dans une rencontre organisée à leur honneur par l'association
de femmes "Pour ne pas oublier" du camp de Jénine en
collaboration avec la télévision locale Farah, les
anciennes prisonnières, les sœurs et mères de
prisonniers se sont retrouvées pour célébrer à leur manière
la journée internationale de la femme.
L'émotion était grande en écoutant les témoignages des
anciennes prisonnières, récemment libérées. Bien que libérées,
elles portent encore en elles les séquelles de leur incarcération
et de leurs souffrances. Ibtihal Saadi résume leur situation,
disant : la détention fait partie de ma vie, je ne peux oublier
ces moments où je retrouve en permanence la dureté de la
prison et le sadisme du geôlier, je me revoie encore dans les
cellules sombres des interrogatoires, face aux instructeurs.
Ibtihal, 18 ans, raconte le récit de ses souffrances, les
larmes aux yeux. Elle essaie de transmettre son expérience, à
son public, des femmes dont les enfants, frères ou soeurs sont
encore en prison.
"Il n'y a pas de mots pour décrire ce qu'on vit, dès les
premiers instants de l'arrestation jusqu'au bout du chemin. Dans
la prison, la situation est dure, dramatique. A cause des
pratiques de la direction carcérale, à Telmond, à cause de la
répression qui s'abat sur toutes les prisonnières, celles-ci
sont privées de tous les droits, même les plus simples. Elles
sont constamment punies, parce qu'elles se considèrent comme
des prisonnières politiques.
7 mères de famille sont détenues dans les prisons israéliennes.
La prisonnière Faten Daraghmeh, qui a sept enfants, la prisonnière
Qahira Saadi, quatre enfants, Itaf Alayan, séparée de son
nourrisson. Non seulement elles sont séparées de leurs
enfants, mais la cruauté des geôliers les maintient en
isolement. Les mères de famille ne peuvent rencontrer leurs
enfants. La plupart des mères prisonnières sont punies par
l'interdiction des visites familiales. Mais les autres prisonnières
sont également punies de cette manière
"Tout au long de ma détention, soit un an et demi, ils ont
interdit à ma mère de me visiter. Je n'ai pu la voir que deux
fois. Ils prétendent qu'il y a des raisons sécuritaires".
Ibtihal expose en détail la vie des prisonnières : dans les
cellules surpeuplées, elles ne peuvent se déplacer. Elles sont
souvent dix prisonnières, enfermées dans une pièce sans fenêtres,
sans soleil, sans lumière naturelle, elles ne peuvent
savoir l'heure. "Nous sommes séparées du monde et de nos
familles, nous ne savons pas ce qui se passe autour de nous,
sauf quand ils nous permettent de regarder la télévision, à
condition que ce soit la direction de la prison qui choisit les
émissions."
Les pressions et les provocations sont incessantes, jour et
nuit, ajoute Ibtihal. "Même le lieu que nous considérons
comme un échappatoire, la cour, est un lieu où des règlements
stricts nous empêchent de nous détendre vraiment. Nous y
sommes surveillées, la durée est trop courte, les geôliers
nous interdisent de nous regrouper. Les séances culturelles,
artistiques ou religieuses sont interdites."
La direction de la prison a une attitude haineuse et hypocrite.
Ils ne supportent pas nous voir être occupées, essayant de
lutter pour survivre, ils veulent constamment nous diriger, nous
contraindre et surtout nous détruire psychologiquement et
moralement. Malgré cela, les prisonnières palestiniennes
poursuivent leur défi, elles résistent, elles affirment leur
volonté avec force, elles insistent pour poursuivre leurs études.
Nous partageons nos différents savoirs. Par notre attitude,
nous leur transmettons une lettre quotidienne, leur affirmant
qu'ils peuvent nous isoler, nous arrêter, nous priver de
beaucoup de choses, mais ils ne peuvent diriger notre volonté.
Ils ne peuvent nous détruire de l'intérieur. Notre moral reste
élevé. Nous avons la capacité d'apprendre à partir de nos
expériences, à partir des conditions que nous avons vécues.
Ibtihal indique comment la direction de la prison néglige
toutes leurs demandes, que ce soit concernant l'alimentation,
qui est exécrable et de faible quantité, que ce soit pour les
cas des prisonnières malades, malgré la gravité de certains
cas, que ce soit au niveau de la propreté des cellules.
"Les bestioles et les rats infestent nos cellules et
toutes nos demandes de produits de nettoyage sont refusées."
Ibtihal parle de Qahira Saadi, prisonnière du camp de Jénine,
condamnée à la prison à vie. "Je n'oublierai jamais le
regard de Qahira, au moment de nos adieux. Elle pleurait sur mon
épaule, disant : je suis en train d'accueillir et de dire adieu
à toutes celles qui passent par là et je ne sais pas
quand je reverrai mes enfants. Les mots de Qahira
m'accompagnent, je suis inquiète pour elle."
Malgré toutes les souffrances vécues, Ibtihal affirme que
l'expérience de la prison fut instructive. Elle y a appris le
courage, la patience, la résistance, le défi, elle a appris
qu'il faut resté attaché aux principes et aux droits du
peuple, qu'il faut se tourner vers l'avenir avec espoir,
faire face aux conditions difficiles quelles qu'elles soient.
"J'ai y appris à aimer encore plus ma patrie, à m'engager
encore plus pour la cause, et à me sacrifier pour la liberté
de mon peuple".
Pour la journée internationale de la femme, Ibtihal
souhaiterait pouvoir transmettre aux peuples du monde, à la
communauté internationale, ce cri qui monte en elle, ce cri qui
pourra exprimer la situation dramatique des prisonnières
palestiniennes. Elle souhaiterait pouvoir transmettre les cris
des mères de famille et des mineures, dont la vie et les rêves
sont brisés.
La prisonnière libérée, Hanadi Qanadil, du camp de Jénine, a
également exposé son expérience, remerciant l'association
"Pour ne pas oublier" d'avoir consacré le 8 mars pour
parler des prisonnières.
"Dans les prisons israéliennes, 120 Palestiniennes, dont
des mères de famille et des mineures, sont détenues, à cette
date. Les prisonnières sont réparties en deux sections,
chacune est composée de plusieurs pièces. Ces pièces, étroites,
sont conçues pour détruire les prisonnières. La direction de
la prison exerce une oppression terrible sur elles, même quand
elles se retrouvent dans la cour. D'abord, il leur est interdit
de sortir en groupes, et il leur est interdit de faire des
activités ensemble, même la prière, ou la lecture du Coran.
Si elles le font quand même, elles sont mises en isolement.
Hanadi ajoute que la direction innove tous les jours pour
trouver de nouvelles formes de punitions ou pour durcir les
conditions de détention. Pour 60 prisonnières d'une section,
il n'y a qu'un seul frigo (pour garder leurs aliments au frais)
et une seule machine à laver. Les produits nécessaires pour le
nettoyage sont absents, ce qui oblige les prisonnières à tout
acheter. "Nous achetons tout ce dont nous avons
besoin", ajoute-t-elle, "et nos familles ne peuvent
supporter tous ces frais".
Hanadi a rappelé les conditions désastreuses sur le plan de la
santé des prisonnières. Plusieurs d'entre elles sont gravement
malades, leur état nécessite des soins urgents. Elle
souhaiterait lancer un appel à la communauté internationale
lui demandant de s'occuper des prisonnières malades, plus
particulièrement et réclamer la libération de tous les
prisonniers.
Les prisonnières sont constamment provoquées par des fouilles,
même en pleine nuit. Elles sont également fouillées
corporellement, de façon humiliante, avant toute visite ou toute
sortie au tribunal.
Pour Hanadi, le moment le plus dur qu'elle ne peut pas oublier,
est celui des cris de douleur de la prisonnière Faten Daraghmeh,
malade et dont l'état nécessite des soins urgents.
"Lorsque Faten eut sa crise, nous étions là, incapables
d'agir, nous nous sommes mises à pleurer et à gémir. Nous
avons demandé à la direction l'intervention d'un médecin ou même
d'un infirmer, mais il n'y avait personne. Cyniquement, ils nous
ont donné un cachet d'acamol, le remède miracle de tous les
maux.". Elle se rappelle également des moments de son
interrogatoire dans la prison de Jalameh, où elle passa deux
mois en plein isolement. "Ils me menaçaient d'amener mon
frère, qui est blessé et prisonnier, Youssef, ou alors d'arrêter
mon père, de détruire notre maison pour m'obliger à
avouer". Malgré cela, l'expérience de la prison m'a donné
du courage, un moral élevé, la présence de la famille est
importante. Je suis fière d'avoir été prisonnière, et en
tant que femme, je dois participer à la lutte de mon peuple.
Farha Abul Hayjâ', directrice de l'association "Pour ne
pas oublier" a salué les prisonnières et tous les
prisonniers détenus dans les prisons de l'occupation, disant
qu'en ce jour, le 8 mars, "il était de notre devoir de
parler des femmes prisonnières, d'expliquer les conditions de
leur détention, de montrer leur endurance, leur résistance, et
surtout le sacrifice des femmes dans la révolution
palestinienne, le rôle qu'elles ont joué et qu'elles jouent
encore pour porter la cause de notre peuple", mettant en
avant le rôle des femmes dans la résistance héroïque du
camp de Jénine, en 2002. "En ce jour, nous devons saluer
toutes les combattantes pour la liberté de notre peuple. Nous
devons nous rappeler la femme combattante, militante, blessée,
bannie, prisonnière, la femme qui a porté le poids de la vie
quotidienne, la mère du martyr. Nous devons nous rappeler le rôle
de la femme dans la résistance héroïque du camp de Jénine,
car non seulement elle a participé, au risque de sa vie, en
apportant les provisions aux combattants, mais elle a aussi porté
les armes et défendu le camp. Non seulement elle a donné ses
fils, la chair de sa chair, pour le camp, elle a aussi été la
martyre, le médecin, la prisonnière et le symbole de la résistance.
Abul Hayja' a conclu en demandant aux membres du conseil législatif
et à toutes les institutions palestiniennes de rendre hommage
à la femme palestinienne, en lui accordant tous ses droits, et
en demandant d'agir par tous les moyens pour libérer tous les
prisonniers, et notamment les prisonnières. "C'est une
priorité", a-t-elle ajouté.
Traduit par Centre d'Information
sur la Résistance en Palestine