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Une
dérive honteuse de notre pays
Alain Gresh* |
Après le Canada et les États-Unis, l’Union
européenne a décidé de suspendre son aide directe à l’Autorité
palestinienne. Elle a posé au gouvernement dirigé par le Hamas
trois conditions à la reprise de celle-ci : reconnaître
l’État d’Israël ; renoncer au terrorisme ; reconnaître
les accords d’Oslo. Pourquoi les mêmes exigences ne sont-elles
pas adressées au gouvernement israélien ? Qu’il
reconnaisse un État palestinien dans les frontières de 1967 ;
qu’il abandonne le terrorisme d’État (depuis le retrait de
Gaza, l’armée israélienne a assassiné des dizaines de civils
palestiniens) ; qu’il renonce à tout unilatéralisme qui
nie l’essence des accords d’Oslo : la négociation bilatérale
entre les deux parties.
Pourtant, les élections palestiniennes de janvier
dernier ont été le scrutin le plus démocratiques tenu depuis
quarante ans dans le monde arabe (bien qu’elles se soient déroulées
sous occupation). En contestant leurs résultats, la « communauté
internationale » (en fait l’Europe et les États-Unis)
discrédite l’idée même de démocratie, non seulement en
Palestine, mais dans tout le monde arabe. Le blocus du peuple
palestinien est un véritable acte de guerre au regard du droit
international - d’où le refus de la Suisse, par exemple, de
s’y associer.
Cette politique ne relève-t-elle pas, en réalité,
d’une vision qui commence à s’imposer en Occident : une
nouvelle guerre mondiale a commencé ? Après avoir vaincu le
fascisme, le nazisme et le stalinisme, nous sommes invités à
nous mobiliser contre un ennemi plus sournois encore, encore plus
dangereux, le terrorisme islamique (ou l’intégrisme, ou
l’islamisme), qui veut instaurer un nouveau califat. Le président
américain George W. Bush appelle au rassemblement contre l’islamo-fascisme.
Dans cette guerre, comme pendant la seconde guerre mondiale, il
faut « choisir son camp », celui de la liberté ou
celui du totalitarisme. Si l’« islamo-fascisme » est
l’ennemi numéro un, alors il faut combattre le gouvernement
contrôlé par le Hamas et s’allier avec celui d’Israël.
Le président Jacques Chirac a affirmé :
« Je suis hostile aux sanctions en général et en
particulier, dans ce cas-là, car je ne vois pas pourquoi on
prendrait des sanctions dont la conséquence serait supportée
essentiellement par le peuple palestinien. » Pourtant, la
France a suivi l’Union européenne dans ses sanctions contre le
peuple palestinien. Et le mécanisme de « remplacement »
avalisé ces derniers jours ne résout pas le problème : il
se borne à une aide humanitaire qui évitera que les Palestiniens
soient affamés, mais pas que leur société soit privée de toute
possibilité de développement. Il ressemble étrangement au mécanisme
« pétrole contre nourriture », qui a tué à petit
feu la société irakienne, a grandement contribué à
l’effondrement de l’État irakien au printemps 2003 et a été
l’occasion d’une corruption généralisée avalisée par la
communauté internationale.
Le Fatah et le Hamas négocient ; un accord
entre eux serait incontestablement positif, éloignant le spectre
de la guerre civile. Mais une telle entente n’aura aucune
influence sur les négociations israélo-palestiniennes sur la
base des résolutions des Nations unies que le gouvernement de M. Ehud
Olmert rejette. Le feu vert honteux donné à la politique dite
« unilatérale » de ce dernier, en particulier par
Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne aux Affaires étrangères,
est inacceptable : depuis quand une partie à un conflit
peut-elle définir seule sa solution, surtout quand il s’agit,
en l’occurrence, d’annexer la moitié de la Cisjordanie ?
Dans ces conditions, non seulement l’Union européenne
et la France - seule s’il le faut - doivent rétablir l’aide
directe à l’Autorité palestinienne ; elles doivent
affirmer clairement aux deux parties que toute négociation
devrait être fondée sur la création d’un État palestinien
dans les frontières de 1967, aux côtés de l’État d’Israël,
avec Jérusalem-Est comme capitale, et apporter une solution au
problème douloureux et explosif des millions de réfugiés
palestiniens.
* Alain Gresh, journaliste au Monde diplomatique
Auteur de Israël-Palestine, vérités sur un conflit,
Hachette, 2005
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