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Kidnappés par nos émotions
Akiva Eldar
[Olmert aurait pu profiter de
l'occasion, avec la simultanéité de événements (Rafah,
signature du document des prisonniers) pour suivre la voie qu'il
avait tracée un an plus tôt, celle de la réconciliation, ou au
moins du cessez-le-feu. Malheureusement, ce n'est pas ce qui se
passe.]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/732054/html
Ha'aretz, 28 juin 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
En juin de l'année dernière, peu avant l'évacuation de Gaza, un
dirigeant israélien s'adressait à un public juif à New York et
déclarait ce qui suit : «Nous sommes fatigués de nous battre,
nous sommes fatigués d'être courageux et de vaincre nos ennemis.
Nous voulons pouvoir mener une vie dans un environnement
totalement différent dans les relations avec nos ennemis. Nous
voulons qu'ils soient nos amis, nos partenaires, nos bons voisins.»
Il terminait cette plaidoirie pleine d'émotion avec ces mots : «Ce
n'est pas impossible. C'est à notre portée si nous sommes
intelligents, audacieux, et si nous réussissons à convaincre nos
partenaires palestiniens de faire de même. Ainsi, ensemble, nous
avancerons pour construire des relations nouvelles, une meilleure
compréhension mutuelle et une plus grande confiance entre eux et
nous.»
L'orateur était Ehoud Olmert, alors vice-premier ministre.
Un an plus tard, cette fois à Jérusalem, et sans le préfixe «vice»
devant son titre, Olmert s'adressait à un public juif lors du
congrès de l'Agence Juive et dit : «Je tiens l'Autorité
palestinienne (AP) dirigée par Mahmoud Abbas et son gouvernement
pour responsables de l'acte terroriste d'hier». Et il ajoutait :
«Quiconque représente l'AP fait partie des responsables
de ce qui s'accomplit par elle, et nous ne leur accorderons aucune
immunité». Puis, lors de la réunion du cabinet de sécurité
lundi soir, il dit : «Le monde en a assez des Palestiniens.
Jusqu'à présent, nous nous sommes contenus. Ca suffit.» La
fatigue de la guerre s'est envolée comme si elle n'avait jamais
existé, la sagesse a fait place à l'héroïsme, et le langage de
la menace a remplacé l'appel au partenariat.
Est-il possible qu'un homme d'Etat sage change de doctrine à
cause d'une bande de lanceurs de roquettes ? Est-il concevable
qu'un dirigeant remise sa vision à cause d'un échec militaire
qui a coûté la vie à deux soldats et la capture de leur
camarade ? N'avons-nous pas encore appris que dans nos relations
avec nos voisins, la force est le problème et non la solution ?
En juin 1982, Ariel Sharon s'est servi de la tentative
d'assassinat de l'ambassadeur Shlomo Argov à Londres par le
groupe d'Abou Nidal pour faire la chasse à Yasser Arafat et a
entraîné Israël dans le bourbier libanais. En mars 2002,
l'attentat terroriste à Netanya a fourni à Sharon le prétexte
pour conquérir les territoires et éliminer l'AP sous la
direction d'Arafat.
Les appels à la vengeance ont marginalisé les appels à la réconciliation
venus d'Arabie saoudite. Les échos des batailles de l'Opération
Rempart ont couvert la déclaration de paix de la Ligue arabe à
Beyrouth. Et aujourd'hui, la rage et l'humiliation ne laissent
aucune chance à la première initiative de réconciliation par
des militants clés du Fatah et du Hamas détenus en Israël. Ce
n'est pas un hasard si le groupe qui a planifié et mené
l'attaque à Rafah a donné à son opération le nom de code d'»Illusions
perdues». L'«illusion», c'est le Document des prisonniers
qu'allaient signer Mahmoud Abbas et Ismail Haniyeh.
Ce document, fondé sur la cessation de toute violence à l'intérieur
des frontières de l'Etat d'Israël (lignes pré-1967), pourrait
sauver la vie de citoyens israéliens. L'objectif des kidnappeurs
du soldat était de kidnapper le cessez-le-feu et l'occasion d'une
reprise du dialogue entre Israël et une coalition palestinienne
pragmatique. Si Olmert avait vraiment le courage des mots prononcés
à New York, il offrirait d'échanger Gilad Shalit contre la libération
des signataires du Document, Marwan Barghouti (Fatah) et Abdoul
Khalek Natché (Hamas). Leur libération porterait un coup fatal
à Khaled Mesh'al (dirigeant du Hamas en exil à Damas, ndt) qui
est prêt à combattre les enfants juifs jusqu'à la dernière
goutte de sang des enfants palestiniens. Il ne pourrait pas y
avoir de signe plus clair qu'Israël a l'intention d'effectuer un
véritable changement dans ses relations avec cette grande partie
de la population palestinienne qui est, elle aussi, fatiguée de
la guerre.
Si le premier ministre n'a pas la force de se servir de cette
occasion qui se présente à lui pour libérer les deux hommes et
renforcer leur camp, il pourrait au moins utiliser le document
comme levier pour faire progresser le processus de paix en
acceptant le cessez-le-feu bilatéral qu'il
propose. La peur d'une invasion de Gaza par Israël renforce les
liens entre Abbas et Haniyeh et améliore les chances que le feu
cesse. Mais rien de cela ne peut arriver si des tempêtes émotionnelles
prennent en otage le jugement de nos dirigeants et s'ils se
conduisent comme si c'étaient eux qui avaient été kidnappés. |