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Le Hamas, hélas
Akiva Eldar


[la victoire islamiste était totalement prévisible, dit l¹expert auprès des services de renseignement Matti Steinberg, qui n¹a cessé d¹alerter ses interlocuteurs sur cette éventualité. Israël va-t-il en tirer les leçons ? Il craint que non]


http://www.haaretz.com/hasen/spages/675717.html

Ha¹aretz, 27 janvier 2006


Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant


Pour Matti Steinberg, la victoire du Hamas na pas été une surprise. Il est seulement surpris que ceux qu¹il a alertés de cette éventualité soient surpris. Steinberg, qui a été conseiller pour les affaires palestiniennes auprès des deux récents chef du Shin Bet, Ami Ayalon et Avi Dichter, dit
qu¹il se sent comme le dissident chinois qui a fait graver sur sa tombe : "ci-gît un homme qui a accompli des choses qui devaient être accomplies, et dit certaines choses qui devaient être dites".

Pendant des années, comme Caton l¹Ancien, Steinberg n¹a cessé d¹alerter ,ministres et généraux de la calamité qui risquait d¹arriver, et qui a fini par arriver cette semaine dans les territoires. Hier matin (jeudi), quand il s¹est avéré que sa prophétie apocalyptique s¹était réalisée, il disait qu¹il ne ressentait pas la satisfaction de l¹homme des services de renseignement prescient : "je ne peux pas dire : j¹ai sauvé mon âme. Il s¹agit de ma famille. Je pense à l¹immense fardeau que nous imposons aux générations futures, et j¹ai le sentiment d¹avoir échoué".

Avec quelques autres, dont Ephraïm Lavie, à l¹époque à la tête du secteur palestinien au renseignement militaire, il a contesté publiquement la mode du "il n¹y a pas de partenaire" (1). Depuis le début de l¹intifada, il a tenté de convaincre les décisionnaires et l¹armée que s¹ils tournaient le dos au camp pragmatique dans les territoires, le jour viendrait où ils regretteraient Yasser Arafat. Depuis qu¹Ariel Sharon a conçu son plan de retrait unilatéral, Steinberg a nagé contre le courant qui a lavé le cerveau des Israéliens, à droite comme à gauche : "je suis très en colère contre les niveaux les plus élevés de l¹Etat, qui n¹ont pas fait ce qu¹ils devaient faire. Ils se conduisent comme un lapin pris dans les phares d¹une voiture qui va les écraser et qui reste scotché sur place". Aujourd¹hui, il se bat contre une autre mode, qui propose d¹habiller les fanatiques islamistes dans de beaux costumes. Il s¹arrache les cheveux lorsqu¹il entend des menaces comme celles qu¹a proférées Shimon Peres (frapper les Palestiniens au porte-monnaie) pour les punir de soutenir le Hamas.

Q. : Pourquoi toujours nous accuser nous-mêmes ? Peut-être le Hamas a-t-il gagné parce que l¹opinion palestinienne en avait assez de la corruption du groupe d¹Oslo ?

Steinberg : "Il est vrai que la responsabilité est partagée entre nous et l¹Autorité palestinienne (AP), mais, parce que nous sommes le côté le plus fort, le gros de la responsabilité repose sur nous. La corruption endémique au sein de l¹AP est une question essentielle quand l¹opinion perd l¹espoir de voir se produire un progrès politique, quand elle arrête d¹espérer des améliorations économiques et sociales. Un horizon politique est la seule chose qui puisse neutraliser les critiques de corruption. Pendant les périodes où des négociations ont eu lieu avec Israël, l¹opinion palestinienne a soutenu l¹AP et le Fatah. Pourtant, à ce moment-là non plus, ils n¹étaient pas connus pour leur incorruptibilité. Les Palestiniens savent qui si le Hamas ne s¹est pas sali les mains, c¹est parce qu¹il n¹en a pas eu l¹occasion : il n¹était pas au pouvoir. Les défauts du Fatah et de l¹AP éclatent quand il n¹y a pas de résultats politiques".

Q. : Peut-être votre crainte du Hamas est-elle exagérée? Certains affirment que leur grande victoire va les forcer à adopter une ligne plus pragmatique.

R. : "L¹effort principal du Hamas va être de consolider ses acquis. C¹est ce qu¹il a fait avant les élections, et à partir du moment où les responsabilités lui échoiront, il fera le maximum pour rester au pouvoir. En même temps, le Hamas ne renoncera pas à ses objectifs, mais suspendra la résistance (lutte armée). Il va fourbir ses armes et ne les rendra pas. La résistance est un moyen parfois utilisé, et parfois remisé au placard jusqu¹au moment opportun. Le danger essentiel du Hamas n¹est pas militaire, mais politique : le processus de prise du pouvoir, ce qu¹ils appellent Otamkim¹, par lequel l¹Islam accède au pouvoir dans le monde arabe. Sous nos yeux, un Etat des Frères musulmans prend forme, en chair et en os. Cela est en train de se produire à côté d¹Israël, et non loin de la Jordanie et de l¹Egypte, deux pays où les Frères musulmans ont un certain poids. Les gouvernements y ont limité les islamistes à un tiers du parlement. Le
gouvernement égyptien a opéré contre eux avec la plus grande fermeté quand ils menaçaient de devenir un groupe charnière. Cela est bien plus dangereux encore quand la ligne de front se trouve être le conflit israélo-arabe, qui a une grande importance à la fois sur les plans stratégique et théologico-religieux. Le Hamas considère le conflit sous un angle religieux, et ses positions dérivent de la loi religieuse musulmane. Pour la première fois dans l¹Histoire, nous sommes témoins d¹une transition entre un conflit politico-national, où la dimension territoriale est d¹une extrême importance, vers un conflit religieux dont la dimension territoriale est induite à partir de fondements théologiques. En conséquence, sur le fond, il n¹y a pas de compromis possible qui accorderait une légitimité à l¹autre côté. La première phrase du programme électoral du Hamas, distribué à des centaines de milliers d¹exemplaires, appelle à un Etat palestinien indépendant sur tout le sol de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem. Et il poursuit : Opas un pouce de la terre de la Palestine historique ne sera cédé¹, en référence à Tel-Aviv et à Haïfa."
 
Q. : Mais nous avons entendu des leaders du Hamas dire qu¹ils étaient prêts à négocier avec Israël.

R. : "Leur marge de man¦uvre est extrêmement limitée. Un accord définitif est interdit aux musulmans, quels que soient le moment ou les conditions, parce qu¹il impliquerait une légitimation de l¹abandon de terres musulmanes et une renonciation totale au djihad en tant que moyen de les reconquérir.
Cela concerne les accords de règlement du conflit du type de ceux qu¹a acceptés le Fatah, comme les paramètres de Clinton ou l¹Initiative de Genève. Aux yeux du Hamas, cela reviendrait à délégitimer l¹islam lui-même. Le Hamas, comme les Frères musulmans de manière générale, est prêt à un compromis du type Ohudna¹ (trêve ou cessez-le-feu). Il s¹agit d¹un accord provisoire, comme le traité de Khudaybiyya, où le prophète Mohamed a déclaré un cessez-le-feu avec la tribu des Koreishites pour 10 ans. Il peut être prolongé de 10 ans, à condition que la prolongation bénéficie aux musulmans. L¹école Hanafi, qui prévaut aujourd¹hui, considère également qu¹il n¹y a rien de répréhensible à des cessez-le-feu qui ne soient pas limités dans le temps. Cela permet de conclure des accords provisoires, mais à condition qu¹aucune concession ne soit faite vers l¹autre partie. L¹accord peut également être violé s¹il est décidé que cela bénéficie aux musulmans.
Une lecture attentive du programme du Hamas montre que même si le mouvement est prêt à entamer des négociations avec Israël, de façon directe ou indirecte (à travers des représentants indépendants), il n¹y a aucune raison de supposer qu¹il sera plus pragmatique que le Fatah. Ce sont des durs de durs quant au problème du retour des réfugiés. Ils ne sont prêts à aucun compromis sur Jérusalem, insistent sur le démantèlement de toutes les colonies et ne veulent rien entendre des blocs de colonies. Il est étrange que des gens en Israël qui pensent que le camp pragmatique palestinien n¹est pas intéressé à rechercher le soutien de l¹opinion publique pour parvenir à un accord se mettent soudain à croire que le Hamas, un mouvement religieux, changera de religion."

Q. : Quelles sont les options dont dispose aujourd¹hui Mahmoud Abbas?

R. : "Il est clair que le Hamas contrôlera le parlement, et la question qui reste en suspens est de savoir s¹il sera prêt à participer au gouvernement, et si oui, s¹il préférera le faire de façon directe ou indirecte. Si oui, nous aurons alors une situation où le président Abbas du Fatah aura face à
lui un parlement et à un gouvernement du Hamas. Le président dispose d¹importantes prérogatives. C¹est lui qui choisit le Premier ministre et qui le charge de former le gouvernement, et il a aussi le pouvoir de le renvoyer, et même celui de l¹envoyer se faire interroger par la police. Le président est également le commandant en chef des forces palestiniennes, et à ce titre, il peut leur ordonner d¹agir contre le Premier ministre. Mais s¹il recourt à ces prérogatives, il s¹aliénera l¹opinion publique qui a amené le Hamas au pouvoir.
Il est possible qu¹Abbas démissionne, auquel cas il y aurait de nouvelles élections présidentielles, mais il se peut qu¹il préfère rester en poste et placer l¹opinion palestinienne, Israël et les Etats-Unis devant leurs responsabilités pour l¹impasse et le chaos ainsi créés. Si la menace de
Shimon Peres concernant l¹arrêt de l¹aide se concrétise, nous allons assister à une crise humanitaire. Mettre fin à l¹aide reviendrait à attiser les flammes, et ces flammes toucheraient aussi Israël. Nous ne pourrions plus nous désengager de ce chaos à nos frontières, et cela aura des répercussions pour Israël et pour la Jordanie. L¹opinion publique mondiale ne pourra pas rester les bras croisés quand la plupart des Palestiniens souffriront de la faim.
On ne peut être une île tranquille au milieu d¹un océan déchaîné. Pour se désengager de ce chaos, il se peut qu¹Israël agisse de façon unilatérale en Cisjordanie. Si c¹est le cas, nous rapprocherons le jour où le Hamas aura achevé sa victoire : le président sera lui aussi son homme, et nous inviterons Al-Qaïda, passé maître dans l¹exploitation de situations chaotiques, dans les territoires. Il faut que l¹aide soit conditionnée à une suspension des violences, mais à ce stade, il est impossible d¹exiger qu¹ils y renoncent totalement.

Q. : que conseilleriez-vous aujourd¹hui à Ehud Olmert de faire?

R. : " J¹arrêterais de faire des déclarations et allusions à des mesures unilatérales. J¹inviterais Mahmoud Abbas afin de nouer un lien politique qui donnerait aux pouvoirs "d¹en haut" un large soutien populaire. Aujourd¹hui déjà, Abbas pense à la démission, nous devons lui présenter un accord définitif sur la base des paramètres Clinton et renoncer à la Feuille de route, qui nous promet une impasse. Il est important de le faire pour que le Fatah ne soit pas tenté de former un gouvernement d¹unité nationale avec le Hamas, car cela signifierait pour lui une défaite totale et l¹effacement des différences entre deux visions du monde. Je lui ferais quelques concessions pour lui montrer que le pragmatisme paie. Si nous agissons ainsi, il y a une chance que le Hamas devienne prisonnier de l¹opinion publique palestinienne.
Le noyau dur du Hamas ne se monte pas à plus de 15 à 20%. Les deux tiers de ceux qui ont voté Hamas ne sont pas favorables à sa vision théologique du monde. Ils sont allés au Hamas à cause de leur déception créée par l¹échec de la voie politique. Et ils constituent une masse réversible. Ce large public soutiendra la voie politique à condition qu¹elle soit concrète. Par
conséquent, notre cible principale est constituée des 80% des Palestiniens qui soutiennent un accord définitif impliquant une solution à deux Etats.
Dans ce contexte, qui serait limité aux trois années qui restent à Abbas en tant que président, il est possible de parvenir à un accord avec lui où le droit au retour ne serait pas dominant".

Les expériences amères qu¹il a connues ne laissent à Steinberg aucune illusion quant à la perspective que, cette fois, ses remarques seront entendues : "je le regrette, mais je n¹ai pas cessé d¹alerter sur ce qui allait se produire, avec l¹espoir que cela pourrait être empêché, et quand cela se produit, on me demande encore une fois ce qu¹il faut faire. Jusqu¹à la prochaine fois."
 

(1) Voir par exemple : "Conceptions erronées, mais populaires (et réciproquement)"  http://www.lapaixmaintenant.org/article788


 Source : La Paix Maintenant


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