Russie
Terrorisme international et Turquie :
conférence de presse de Vladimir Poutine
(et François Hollande)
Samedi 28 novembre 2015
26 novembre 2015
– Moscou
Source :
http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/50792
Traduction :
Salah Lamrani (Sayed
Hasan)
Vladimir
Poutine, Président de la Russie :
Mesdames et Messieurs, bonsoir.
Nous venons de
mener des négociations substantielles
avec le Président français, qui ont été
tenues de manière constructive et basées
sur une relation de confiance.
Naturellement, nous avons consacré la
plus grande attention à la question de
la lutte conjointe contre le terrorisme
international.
L’attaque barbare
contre l’avion russe au-dessus de la
péninsule du Sinaï, les horribles
événements à Paris et les attaques
terroristes au Liban, au Nigeria et au
Mali ont causé un grand nombre de
victimes, dont des centaines de citoyens
russes et français. C’est là notre
tragédie commune et nous restons unis
dans notre engagement à trouver les
coupables et à les traduire en justice.
Nous avons déjà
intensifié l’opération des forces armées
russes contre les terroristes en Syrie.
Nos actions militaires sont efficaces :
les militants du soi-disant « Etat
Islamique » et d’autres groupes radicaux
subissent de lourdes pertes. Nous avons
perturbé les mécanismes de
fonctionnement des extrémistes,
endommagé leur infrastructure militaire
et miné considérablement leur base
financière. Je me réfère en premier lieu
au commerce illicite de pétrole, qui
génère d’immenses profits pour les
terroristes et leurs soutiens.
Ceux qui appliquent
des doubles standards dans leurs
relations avec les terroristes, les
utilisant pour atteindre leurs propres
objectifs politiques et s’engageant dans
des activités commerciales illicites
avec eux, jouent avec le feu. L’histoire
montre que tôt ou tard, de telles
actions se retournent contre ceux qui
encouragent les criminels.
La Russie et la
France savent ce que signifie l’action
dans un esprit d’alliance ; nous nous
sommes unis plusieurs fois tout au long
de notre histoire. Aujourd’hui, nous
avons convenu d’intensifier nos efforts
communs pour la lutte antiterroriste,
d’améliorer l’échange d’informations
opérationnelles dans la lutte contre le
terrorisme et d’établir un travail
constructif entre nos experts militaires
afin d’éviter tous incidents,
concentrant nos efforts afin de
s’assurer que notre travail dans la
lutte contre le terrorisme soit plus
efficace, et évitant les frappes contre
les territoires et les forces armées qui
combattent elles-mêmes les terroristes.
M. Hollande et
moi-même considérons ce genre de
coopération comme une contribution
concrète et pratique à la formation
d’une large coalition anti-terroriste,
un large front anti-terroriste sous les
auspices de l’Organisation des Nations
Unies. Je souligne que le nombre de
nations qui rejoignent cette initiative
est croissant.
Nous sommes
convaincus que l’éradication du
terrorisme en Syrie créera les
conditions nécessaires pour parvenir à
un règlement final et à long terme de la
crise syrienne. Nous avons convenu de
continuer à travailler ensemble très
activement dans le cadre du Groupe
international de soutien à la Syrie et
d’agir en faveur de la réalisation de
tous les accords conclus au sein de ce
groupe, d’abord et avant tout en ce qui
concerne les délais et les paramètres
pour la tenue d’un dialogue
intra-syrien.
Dans les
pourparlers d’aujourd’hui, nous ne
pouvions pas ignorer la situation en
Ukraine ; dans ce contexte, nous avons
discuté des perspectives de coopération
dans le Format Normandie. Nous allons
continuer à insister sur la mise en
œuvre de toutes les clauses des accords
de Minsk du 12 février.
En conclusion, je
tiens à remercier Monsieur le Président
et tous ses collègues français pour ce
dialogue ouvert et constructif. Nous
avons convenu de poursuivre notre
discussion à Paris dans le cadre de la
Conférence des Nations Unies sur le
changement climatique.
Merci pour votre
attention.
François
Hollande, Président de la France :
Mesdames, Messieurs,
J’avais souhaité
rencontré le Président Poutine dans le
cadre de l’initiative diplomatique,
politique que j’ai prise au lendemain
des terribles attentats qui ont frappé
Paris.
Je veux d’abord
remercier le Président Poutine et le
peuple russe pour les marques d’amitié,
de sympathie et de solidarité à l’égard
des familles des victimes et à l’égard
également du peuple français.
Pour ce qui me
concerne, j’ai une fois encore dit au
Président Poutine notre soutien après
l’attentat dont la Russie a été
également victime avec cet avion abattu
en plein ciel égyptien et qui a fait
plus de 224 morts.
Nous sommes donc
tous concernés par le terrorisme. Le
terrorisme peut frapper partout, nous
devons donc agir et c’est le sens de ce
que nous devons traduire de notre
rencontre, agir.
Le Conseil de
sécurité, la semaine dernière, a adopté
une résolution à l’unanimité pour que
les États du monde puissent prendre les
mesures nécessaires pour coordonner leur
action en vue de mettre un terme aux
actes terroristes et notamment de Daech.
Nous nous inscrivons dans ce processus
et c’est finalement la première réalité
de la coalition large que la France
souhaite voir se constituer, coalition
du monde entier contre le terrorisme.
Ce
consensus est nécessaire mais il n’est
pas suffisant. Nous devons prendre aussi
nos responsabilités. C’est ce que fait
la France en frappant les centres
opérationnels et les lieux
d’entraînement de Daech, en bombardant
les sites pétroliers exploités par ce
groupe terroriste qui se finance à
travers la contrebande du pétrole, nous
le savons. La France a intensifié ses
actions grâce à la présence du
porte-avions Charles-de-Gaulle au plus
près et nous allons encore accroître
notre soutien aux groupes qui, sur le
terrain en Syrie, se battent en première
ligne pour libérer les zones occupées
par Daech. Éradiquer Daech, cela veut
dire aussi – et nous en convenons avec
le Président Poutine – traiter le mal à
la racine. Depuis 2011, le chaos qui
sévit en Syrie a fait près de 300 000
victimes, des millions de réfugiés.
Aussi nous voulons que les discussions
de Vienne puissent ouvrir une solution
politique. Il y a des conditions pour
aboutir à une issue et donc je considère
qu’il faut respecter les principes
suivants si l’on veut assurer une
transition politique : les pouvoirs
exécutifs doivent être confiés à un
gouvernement d’union indépendant pour le
temps de la transition ; cette
transition doit aboutir à une
Constitution, des élections comportant
toutes les communautés, ainsi que les
membres de la diaspora. Pour ce qui
concerne la France, il est clair que
Bachar n’a pas sa place dans l’avenir de
la Syrie. Mais j’ai la conviction que la
Russie peut jouer un grand rôle dans le
processus que je viens de décrire. J’ai
indiqué au Président Poutine que la
France souhaitait travailler avec la
Russie au service d’un objectif clair,
simple, combattre Daech et les groupes
terroristes et eux seuls. C’est pourquoi
notre entretien a été utile. Nous nous
sommes accordés, le Président Poutine et
moi-même, sur trois points essentiels :
premièrement, nous allons augmenter les
échanges d’informations et de
renseignements de toute nature et
notamment entre nos forces. Les frappes
contre Daech seront intensifiées et
feront l’objet d’une coordination pour
augmenter leur efficacité et notamment
sur le transport du pétrole.
Troisièmement – et le Président Poutine
vient d’insister aussi là-dessus –, les
forces luttant contre Daech et les
groupes terroristes ne doivent pas être
visées par nos actions, nous devons
aller frapper les groupes terroristes et
Daech.
Je
veux également souligner que l’Europe se
mobilise également dans ce combat contre
le terrorisme. J’avais demandé que les
ministres de la Défense de tous les pays
européens puissent prendre des
dispositions en fonction des traités et
aussi bien le Royaume-Uni, par la voix
de David Cameron quand il est venu à
Paris, qu’Angela Merkel encore
aujourd’hui viennent de prendre ou
d’annoncer des décisions importantes.
Nous
avons aussi, avec le Président Poutine,
échangé sur un autre sujet, la crise qui
se prolonge à l’Est de l’Ukraine. Une
crise sur laquelle d’ailleurs nous
échangeons régulièrement, nous
travaillons dans le cadre du Format
Normandie. La dernière fois que nous
nous sommes rencontrés sur ce sujet,
c’était à Paris avec la Chancelière
Merkel et le Président Porochenko.
J’ajoute d’ailleurs que dans cette
réunion de Paris, le Président Poutine
et moi-même avions déjà abordé la
question de la Syrie et appelé à une
coordination. Aujourd’hui, elle est
renforcée. La priorité que nous donnons
à l’action contre le terrorisme et
notamment en Syrie ne change en rien la
détermination qui est celle de la France
de trouver une solution pour un
règlement politique à l’Est de l’Ukraine
et nous avons là aussi un cadre simple,
un objectif lisible, nous devons mettre
pleinement en œuvre les mesures qui sont
dans l’Accord de Minsk.
Voilà
pourquoi je voulais venir ici, à Moscou,
pour rencontrer le Président Poutine. Je
le recevrai lundi pour la Conférence sur
le climat qui est aussi un grand enjeu
pour la planète mais l’urgence et la
nécessité de lutter contre le terrorisme
exigeaient que je sois ici présent à
Moscou.
Question (journaliste français) :
Bonsoir. Une question pour M. Poutine.
Monsieur le Président, êtes- vous
d’accord sur le fait que le maintien de
M. Assad en fonction entrave la
réalisation de vos objectifs communs ?
Etes-vous parvenu à un accord
déterminant quels groupes doivent et ne
doivent pas être la cible de frappes
aériennes ?
Vladimir Poutine : Je crois que le
sort du Président de la Syrie doit
rester entièrement entre les mains du
peuple syrien.
En
outre, nous convenons tous qu’il est
impossible de lutter avec succès contre
le terrorisme en Syrie sans opérations
au sol, et il n’existe pas de forces
aujourd’hui qui peuvent mener des
opérations terrestres dans la lutte
contre Daech, Jabhat al-Nusra et les
autres organisations terroristes en
dehors de l’armée gouvernementale
syrienne.
À cet
égard, je pense que l’armée du Président
Assad et lui-même sont nos alliés
naturels dans la lutte contre le
terrorisme. Il peut y avoir d’autres
forces sur le terrain qui parlent de
leur volonté de lutter contre le
terrorisme. Nous essayons actuellement
d’établir des liens avec elles, nous
l’avons déjà fait avec certaines d’entre
eux, et comme je l’ai dit de nombreuses
fois, nous serons prêts à soutenir leurs
efforts dans la lutte contre Daech et
les autres organisations terroristes,
comme nous soutenons l’armée d’Assad.
Nous
avons convenu – et je pense que c’est là
une partie très importante de nos
accords avec Monsieur le Président
aujourd’hui – que, tout comme nous le
faisons avec certains autres pays de la
région, nous allons échanger des
informations sur les territoires qui
sont occupés par des groupes
d’opposition sains plutôt que par des
terroristes, et nous éviterons d’y mener
des frappes aériennes. Nous allons
également échanger des informations
lorsque nous – la France et la Russie –
sommes absolument sûrs que certains
territoires sont occupés par des
organisations terroristes, et nous
coordonnerons nos efforts dans ces
zones.
Question (journaliste russe) : Je
voudrais poser une question au Président
de la Russie. Monsieur le Président,
nous évoquons actuellement une coalition
de grande envergure et à cet égard, je
voudrais poser une question à propos de
la place particulière de la Turquie dans
cette histoire. Aujourd’hui, par
exemple, l’armée russe a signalé qu’elle
a intensifié ses frappes sur le quadrant
syrien où l’avion russe a été abattu.
Dans
le même temps, les médias turcs accusent
pratiquement la Russie d’avoir bombardé
un convoi humanitaire. Dans ce contexte,
avez-vous évoqué la Turquie lors de
votre entretien avec François Hollande ?
Et que pouvez-vous dire quant au rôle de
la Turquie dans toute cette histoire et
dans nos relations avec ce pays ?
Vladimir Poutine : Comme vous le
savez, la Turquie est membre de
l’Organisation du Traité de l’Atlantique
Nord. La France est également membre de
l’OTAN, et nous comprenons donc la
position de la France dans cette
situation. Mais Monsieur le Président a
exprimé ses condoléances suite à la mort
de nos militaires, et nous lui en sommes
reconnaissants.
Quant
au territoire que vous avez mentionné,
où nos militaires sont morts, en effet,
les forces armées syriennes ont utilisé
les lance-roquettes multiples que nous
leur avons fournis récemment, dans des
actions coordonnées avec notre Armée de
l’Air, et les frappes dans cette zone
ont été intensifiées tout de suite après
que nous ayons reçu des informations
crédibles selon lesquelles l’un de nos
militaires avait été tué, et nous avons
ainsi été en mesure de sauver le second.
Comment aurait-il pu en aller autrement
? Telle est la manière de procéder.
À cet
égard, je tiens à faire un commentaire
sur ce que nous entendons au sujet de
certaines tribus proches de la Turquie,
les Turkmènes, et ainsi de suite. Tout
d’abord, une question se pose :
qu’est-ce que les représentants
d’organisations terroristes turques, qui
se montrent à la caméra et postent leurs
images partout sur Internet, font sur
ces territoires ?
Deuxièmement, qu’est-ce que des
ressortissants de la Fédération de
Russie, que nous recherchons pour leurs
crimes et qui sont clairement classés
comme des terroristes internationaux,
font sur ce territoire ? Nos militaires
œuvraient dans ce quadrant pour empêcher
le retour possible de ces personnes sur
le territoire de la Russie pour y
commettre des crimes ; ils
accomplissaient leurs devoirs envers
leur patrie, envers la Russie,
directement. Directement ! Je repose la
question : que font ces personnes là-bas
? Nous considérons qu’il est tout à fait
justifié d’intensifier les efforts de
notre aviation dans ces territoires et
d’y soutenir l’intensification des
efforts déployés par les forces
syriennes.
Quant
au bombardement d’un convoi humanitaire,
pour autant que je sache, l’organisation
humanitaire à laquelle les autorités
turques font référence a déjà déclaré
qu’aucun de ses convois et représentants
n’étaient présents dans cette zone au
moment des faits. S’il y avait
effectivement une sorte de convoi à cet
endroit, il n’était certainement pas
pacifique. S’il y avait un quelconque
« convoi », alors je suppose que
conformément au droit international, il
lui était nécessaire de déclarer de quel
type de convoi il s’agissait, où il se
dirigeait et ce qu’il faisait. Et si
rien de tout cela n’a été fait, alors
nous soupçonnons que ce convoi ne
transportait pas une cargaison purement
humanitaire. C’est là un nouvel élément
de preuve de la complicité dont
bénéficient les terroristes
internationaux.
Question (journaliste français) :
Bonsoir. Ma question s’adresse aux deux
Présidents. Monsieur Poutine, pourquoi
avez-vous déployé les systèmes de
roquettes multiples S-400 ? Monsieur
Hollande, ce déploiement des S-400
est-il compatible avec les efforts de la
coalition internationale ?
Vladimir Poutine : Le S-400 n’est
pas un système de lance-roquettes
multiples, mais un système de missiles
anti-aériens. Nous ne disposions pas de
ces systèmes en Syrie parce que notre
aviation opère à des hauteurs que la
main criminelle des terroristes ne peut
pas atteindre. Ils ne possèdent pas la
technologie militaire adéquate qui
serait capable d’abattre des avions à
une hauteur de plus de trois ou quatre
mille mètres. Il ne nous était jamais
venu à l’idée que nous pourrions être
frappés par un pays que nous
considérions notre allié.
Après
tout, nos avions, volant à une hauteur
de cinq à six mille mètres, n’étaient
aucunement protégés ; ils n’étaient pas
protégés contre d’éventuelles attaques
par des avions de chasse. Si nous avions
ne serait-ce que pensé que cela pouvait
être possible, alors en premier lieu,
nous y aurions depuis longtemps établi
des systèmes de défense pour protéger
nos avions contre d’éventuelles
attaques.
En
outre, il existe d’autres formes de
technologies et de protections
militaires, par exemple, les chasseurs
d’escorte, ou au moins des moyens
techniques de défense contre les
attaques de missiles, notamment des
défenses thermiques. Les experts savent
comment cela peut être mis en place.
Je le
répète, nous n’avons rien fait de tout
cela parce que nous considérions la
Turquie comme un Etat ami et ne nous
attendions tout simplement pas à une
attaque de la part de ce pays. Voilà
précisément pourquoi nous considérons ce
qui est arrivé comme un coup de poignard
dans le dos.
Nous
avons maintenant vu que cela est
possible ; nous avons perdu des soldats
là-bas. Nous sommes obligés d’assurer la
sécurité de nos avions. Nous avons donc
déployé un système S-400 moderne. Il
fonctionne sur une longue distance et
c’est l’un des systèmes du genre les
plus efficaces au monde.
Mais
nous ne nous limiterons pas à cela. Si
nécessaire, nous allons compléter
l’activité de nos chasseurs par des
avions de combat et d’autres moyens, y
compris la guerre électronique. Il y a
effectivement beaucoup de systèmes de
protection, et nous allons maintenant
les déployer et les utiliser.
Cela
ne contredit en rien ce que nous faisons
avec la coalition dirigée par les
Etats-Unis. Nous échangeons des
informations avec elle, mais nous sommes
très préoccupés par la nature des
échanges et les résultats de notre
travail commun.
Considérez donc ceci : nous avons averti
nos partenaires américains à l’avance
quant aux zones où nos pilotes allaient
opérer, à quelle altitude, etc. Les
Américains, qui dirigent la coalition
qui comprend la Turquie, connaissaient
le lieu et l’heure des vols. Et c’est
précisément là et à ce moment que nous
avons été frappés.
Je
vous demande donc : pourquoi avons-nous
fourni cette information aux Américains
? Soit ils ne peuvent pas contrôler ce
que leurs alliés font, soit ils
répandent ces informations à gauche et à
droite, sans en comprendre les
conséquences. Naturellement, nous aurons
besoin d’avoir des consultations
sérieuses avec nos partenaires sur cette
question. Mais le système de défense
aérienne n’est en aucune façon dirigé
contre nos partenaires, avec qui nous
combattons les terroristes en Syrie.
François Hollande : Je veux revenir
sur l’incident de mardi, qui a conduit à
la destruction d’un chasseur russe par
l’aviation turque. Parce que c’est un
incident grave et parce qu’il est
évidemment regrettable. J’en ai parlé au
Président Erdogan, j’en ai parlé au
Président Poutine. Il est essentiel dans
cette zone et dans cette période
d’éviter tout risque et tout nouvel
incident et de prévenir toute escalade.
Le
seul objectif que nous devons tous
avoir, c’est la lutte contre Daech et la
neutralisation des terroristes. Il n’y a
pas d’autre objectif. Nous devons donc
en tirer les conclusions. Renforcer la
coordination entre les différents pays,
afin que les forces qui sont présentes,
les avions qui peuvent frapper, ne
puissent pas rentrer dans un malentendu,
une collision, un incident. Il faut
éviter que cela puisse se reproduire.
D’où l’initiative que j’ai prise, qu’il
puisse y avoir cette coordination et
cette coopération, avec le but que je
viens d’indiquer.
Enfin,
dans ce dont nous avons convenu avec le
Président Poutine, c’est un point très
important : de ne frapper que les
terroristes, que Daech et les groupes
djihadistes et de ne pas frapper les
forces et les groupes qui luttent contre
le terrorisme. Nous allons échanger nos
informations là-dessus, ce qui peut être
frappé et ce qui ne doit pas être
frappé.
Donc,
double effort de coordination, c’est
d’éviter qu’il puisse y avoir des
incidents entre tous les pays qui
luttent en Syrie contre le terrorisme.
Deuxièmement, que nous puissions avoir
des cibles que chacun peut comprendre.
Question (journaliste russe) : Vous avez
parlé de la nécessité d’organiser une
large coalition. Est-ce le genre de
coalition dont vous avez parlé lors de
votre intervention à l’ONU, ou est-ce
que la concurrence entre les coalitions
va se poursuivre ? Si la concurrence
continue, nous aurons à nous interroger
sur l’efficacité que peuvent avoir de
telles coalitions, en particulier après
l’incident avec l’avion russe. Ou bien
envisagez-vous une nouvelle coalition
commune, et si oui, est-il possible
qu’une telle coalition puisse en venir à
agir dans d’autres pays également sous
la menace de Daech, et pas seulement en
Syrie ? Pour en revenir à l’incident
avec l’avion russe, il y a quelques
heures, le Président turc a déclaré dans
une interview que si la force aérienne
turque avait su que l’avion était russe,
elle n’aurait pas agi comme elle l’a
fait. Il a également déclaré que les
forces turques détruisent toutes les
cargaisons de pétrole de Daech qu’elles
saisissent, et que si la Russie a
d’autres informations et peut prouver le
contraire, le Président est prêt à
démissionner. Je voudrais entendre vos
commentaires sur ces déclarations.
Vladimir Poutine : En ce qui concerne la
coalition, le Président Hollande et moi
avons discuté de cette question
aujourd’hui. Nous respectons la
coalition menée par les États-Unis et
nous sommes prêts à travailler avec
cette coalition. Nous pensons qu’il
serait préférable d’établir une
coalition unifiée et commune. Cela
rendrait plus simple et plus facile, et,
je pense, plus efficace la coordination
de nos efforts communs dans cette
situation. Mais si nos partenaires ne
sont pas prêts à cela... En fait, c’est
de cela que j’ai parlé à l’ONU. Mais si
nos partenaires ne sont pas prêts à
cela, très bien, nous sommes prêts à
travailler dans d’autres formats, dans
tout format que nos partenaires
trouveraient acceptable. Nous sommes
prêts à coopérer avec la coalition menée
par les Etats-Unis. Mais bien sûr, des
incidents tels que la destruction de
notre avion et la mort de nos militaires
– le pilote, et un marine qui tentait de
sauver ses frères d’armes – sont
totalement inacceptables. Notre position
est que cela ne doit pas se reproduire.
Sans cela, nous n’avons aucun besoin
d’une telle coopération, avec quiconque,
toute coalition ou tout pays. J’ai
discuté de tout cela en détail avec le
Président de la France. Nous avons
convenu de travailler ensemble au cours
de la période à venir, en format
bilatéral, et avec la coalition menée
par les Etats-Unis en général. La
question est de délimiter les
territoires qui sont des cibles pour les
frappes et ceux où il vaut mieux éviter
de lancer des frappes, l’échange
d’informations sur ces questions et
d’autres, et de coordonner l’action dans
les zones de combat. Quant à la question
du pétrole et l’affirmation selon
laquelle il est détruit sur le
territoire turc, au sommet du G20, qui a
justement eu lieu en Turquie, à Antalya,
j’ai montré une photographie (je m’étais
déjà exprimé publiquement sur ce point)
prises par nos pilotes à une hauteur de
5000 mètres. Les véhicules qui
transportent du pétrole constituaient
une longue file qui disparaissait à
l’horizon. Cela ressemble à un pipeline
vivant. Ce sont des fournitures de
pétrole à l’échelle industrielle venant
de parties de la Syrie maintenant entre
les mains des terroristes. Ce pétrole
provient de ces régions, et non pas
d’autres endroits. Nous voyons depuis
nos avions où ces véhicules se dirigent.
Ils se dirigent vers la Turquie, jour et
nuit. Je peux imaginer que peut-être,
les plus hauts dirigeants de la Turquie
ne sont pas au courant de cette
situation. C’est difficile à croire,
mais théoriquement, ce serait possible.
Cela ne signifie pas que les autorités
turques ne doivent pas tenter de mettre
fin à ce commerce illégal. Le Conseil de
sécurité des Nations Unies a adopté une
résolution spéciale qui interdit l’achat
direct de pétrole aux terroristes, parce
que ces barils sont remplis non
seulement de pétrole, mais aussi du sang
de nos citoyens, et parce que les
terroristes utilisent l’argent de ce
commerce pour acheter des armes et des
munitions et mener des attaques
sanglantes comme celles contre notre
avion dans le Sinaï, les attentats à
Paris et dans d’autres villes et pays.
Si les autorités turques détruisent ce
pétrole, pourquoi ne voyons-nous pas de
fumée provenant des incendies ?
Permettez-moi de dire encore une fois
que cela est de l’approvisionnement en
pétrole à une échelle industrielle. Il
faudrait construire des installations
spéciales entières pour détruire de
telles quantités de pétrole. Rien de tel
ne se déroule. Si les plus hauts
dirigeants de la Turquie ne sont pas au
courant de la situation, qu’ils ouvrent
leurs yeux sur celle-ci dès maintenant.
Je serais prêt à croire que de la
corruption et d’obscurs contrats en
sous-main pourraient être impliqués.
Qu’ils fassent la lumière sur tout ce
qui se passe là-bas. Mais il n’y a
absolument aucun doute que le pétrole se
dirige vers la Turquie. Nous voyons cela
depuis nos avions. Nous voyons que des
véhicules chargés s’y dirigent dans un
flux constant et en reviennent vides.
Ces véhicules sont chargés en Syrie, en
territoire contrôlé par les terroristes,
ils vont en Turquie puis retournent en
Syrie vides. Nous le voyons tous les
jours. En ce qui concerne la question de
savoir si oui ou non le Président turc
devrait démissionner, cela ne nous
concerne aucunement, mais c’est
l’affaire du peuple turc. Nous ne nous
sommes jamais immiscés dans les affaires
internes des autres et nous ne le ferons
pas maintenant. Mais c’est bien dommage
de perdre le niveau des relations
bilatérales sans précédent que nous
avons développées avec la Turquie au
cours de ces dernières années. Nous
avions vraiment atteint un très haut
niveau de relations et nous considérions
la Turquie non seulement comme notre
voisin, mais aussi comme un pays ami et
pratiquement comme un allié. Il est très
triste de voir tout cela détruit de la
sorte, avec brutalité et insouciance.
François Hollande : Si le Président
Poutine m’y autorise, je voudrais
répondre à la question qui lui était
adressée, en donnant le point de vue
français. Il y a une coalition qui
existe déjà et depuis plusieurs mois, la
France y participe. Son domaine d’action
était l’Irak. Avec le gouvernement
irakien, il était très important de
pouvoir lui donner l’appui nécessaire
pour lutter contre l’organisation Daech
et le terrorisme qui hélas, ensanglante
ce pays, l’Irak.
Cette
coalition ensuite s’est élargie
géographiquement vers la Syrie. La
France intervient en Syrie, en lien avec
cette coalition. J’en ai décidé au mois
de septembre dernier, d’abord par des
vols de reconnaissance, puis maintenant
des frappes. Au nom d’une légitime
défense qui était effectivement bien
établie, puisque nous savons que les
terroristes qui ont frappé Paris et la
ville de Saint-Denis ont été entrainés
et hélas, préparés à faire leurs
sinistres attentats de Raqqa,
c’est-à-dire de Syrie.
Nous
voulons maintenant qu’il y ait une
coordination. Elle est vraiment
nécessaire. Elle est indispensable.
D’abord, pour éviter des incidents, mais
surtout pour être efficace pour frapper
Daech, le terrorisme. Cette coordination
doit être une coopération, les échanges
d’informations, de renseignements, le
choix des cibles, tout cela nous permet
d’agir.
Les
Nations Unies, par cette résolution du
Conseil de sécurité, ont appelé à cet
engagement. Je salue donc les pays
européens qui ont pris aussi leurs
responsabilités.
Si
nous voulons être efficaces, c’est le
deuxième point que je veux aborder, il
faut frapper Daech là où il y a des
centres d’entrainement, où il y a
l’organisation de cette armée
terroriste. Mais il faut frapper aussi
ses sources d’approvisionnement, ses
recettes, notamment le pétrole. S’il y a
un point sur lequel nous devons nous
coordonner, c’est bien pour frapper là
où ses camions, en grand nombre,
viennent s’approvisionner pour ensuite
écouler le pétrole à qui veut l’acheter
et donner ainsi des ressources à Daech.
Donc,
je peux vous donner cette information,
nous allons continuer à frapper ces
véhicules et ces lieux d’exploration ou
d’exploitation en l’occurrence des
ressources pétrolières qui en définitive
servent à Daech de source de
financement.
Enfin,
je l’ai également affirmé, nous devons
appuyer des groupes qui, localement,
peuvent permettre la reconquête. Pour
nous, la France, avec les pays de la
coalition, nous allons favoriser ces
groupes, pour qu’ils puissent agir
contre Daech. C’est toujours le même
objectif : agir contre Daech, détruire
cette organisation terroriste.
Vladimir Poutine : Quant à l’idée
que l’aviation turque n’aurait pas
reconnu notre avion, cela est tout
simplement impossible. C’est hors de
question. Nos avions ont des marques
d’identification très distinctes.
C’était évidemment notre avions et celui
de personne d’autre.
Par
ailleurs, permettez-moi de dire encore
une fois que conformément à nos accords
avec les Américains, nous avons toujours
donné des informations préalables sur
les opérations de nos avions, sur les
formations, zones et horaires. Nous
considérons que cette coalition est
effective, et la Turquie, en tant que
membre de cette coalition, aurait dû
savoir que des avions russes opéraient à
cet endroit à ce moment. De quels autres
avions aurait-il pu s’agir ?
Qu’auraient-ils fait s’ils avaient
découvert que c’était un avion américain
? Auraient-ils tiré sur un avion
américain ? Ce ne sont que des propos
absurdes, une tentative de se trouver
des excuses. Il est déplorable de voir
qu’au lieu de mener une enquête
approfondie sur la situation et de
prendre des mesures pour faire en sorte
que de telles choses ne se reproduisent
jamais, nous entendions d’eux ces
explications et déclarations confuses,
au point qu’ils n’estiment pas même
devoir présenter des excuses. Eh bien,
ce n’est pas notre choix, mais le choix
de la Turquie.
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