Communiqué
Communiqué d'Aboubakr
Jamai
Vendredi 18 octobre 2013
Aboubakr
Jamai, co-fondateur de Lakome et
directeur de publication de sa version
francophone, s'exprime sur le dernier
communiqué d'Ali Anouzla et sur sa
décision de maintenir les sites en
activité.
Chers amis, je suis dans une
situation extrêmement compliquée. Je
n'arrive pas à lire la nouvelle
stratégie d'Ali. L'attitude de son
nouvel avocat est franchement hostile a
mon égard mais surtout à l'égard de
Lakome. Je lui ai parlé hier. Ses
réponses à mes questions sur la volonté
d'Ali n'étaient pas claires. Il a
commencé par me dire qu'il (Hassan
Semlali) n'avait rien à voir avec le
blocage des sites, avant de me rappeler
dix minutes plus tard pour me dire que
c'est bien lui qui a communiqué la
volonté d'Ali au procureur du roi et à
l'ANRT.
Je précise: il m'a affirmé qu'il a
lui même contacté le procureur du roi et
l'ANRT. Lorsque je lui ai demandé si Ali
lui même avait demandé que cette
procédure soit entamée, il m'a répondu
que le communiqué était clair. Je lui ai
dit que ce n'était pas ma question, que
je lui ai répétée : Est ce qu'Ali lui a
EXPRESSÉMENT demandé de contacter le
procureur et l'ANRT. Là encore, il me
répond une nouvelle fois : «Le
communiqué est clair». À aucun moment,
il ne m'a dit que c'était Ali qui lui
avait demandé d'initier cette procédure.
Je l'ai rappelé plus tard pour lui
demander pourquoi le site francophone
était lui aussi censuré et sur quelle
base juridique Ali pouvait demander à la
justice de bloquer les sites. À la
première question, il m'a fait cette
hallucinante réponse: «Mais c'est bien
vous qui dites que le site francophone
est la version francophone du site
arabophone».
Je lui ai alors répondu que cela
n'avait aucun sens puisque le seul lien
officiel d'Ali avec Lakome est le fait
que son nom apparaisse dans l'ours du
site arabophone comme directeur de
publication, de la même façon que mon
nom apparaît comme directeur de
publication du site francophone. Pour la
presse électronique, il n'y a pas de
dépôt de dossier au tribunal de première
instance comme pour la presse écrite.
Ali n'apparaît même pas dans les
documents officiels de la société à
laquelle est déléguée la gestion des
dépenses et revenus du site.
Pourquoi j'ai décidé de ne
pas arrêter les sites
Je me trouvais à Bruxelles le lundi
14 octobre. Avant d'arriver en Belgique,
j'avais passé une dizaine de jours en
France et une petite semaine à
Washington. Rencontres avec la presse,
participation à des émissions à la
télévision et à la radio, réunions au
ministère des affaires étrangères
français et au Département d'Etat
américain, conférences organisées soit
par des universités soit par des Think
Tanks. Des événements le plus souvent
dédiés au cas Ali Anouzla, sinon, des
opportunités pour en parler. Le pompon
avait été l'éditorial du Washington Post
défendant Ali et stigmatisant
l'autoritarisme du régime de Mohammed
VI. Éditorial publié d'ailleurs avant
mon arrivée à Washington et sans que je
n'en connaisse la genèse.
J'apprendrais plus tard que c'est
effectivement une ONG qui défend la
liberté d'expression à travers le monde
qui a réussi à convaincre "l'editorial
Board", le conseil éditorial du
quotidien, de consacrer un éditorial à
l'affaire. Inespéré. Autre opportunité
tombée du ciel, la prise de parole en
faveur d'Ali lors de la conférence
organisée par Mediapart et RSF sur la
protection des sources et des lanceurs
d'alertes. Très médiatisée et
rassemblant la crème des penseurs et
autres activistes de la liberté
d'expression, avec notamment
l'intervention de Julian Assange par
skype, la rencontre était idéale pour
donner une grande résonance à l'affaire
Ali Anouzla. À l'instar de Paris,
un comité de soutien est formé à Lille.
Premier fait d'arme, il obtient le
soutien officiel d'élus de poids de la
région. J'y reviendrai en détail, mais
il est important de dire déjà
l'incroyable soutien des ONG
internationales et surtout, l'admirable
travail de militants marocains des
droits de l'homme. Sans eux tout aurait
été plus difficile sinon impossible.
En plus des rencontres formelles au
quai d'Orsay avec l'ambassadrice
française en charge des droits de
l'homme et au Département d'Etat
américain, d'autres rencontres
informelles ont permis de faire parvenir
le message de l'injustice faite à Ali à
d'autres décideurs politiques des deux
pays. Et puis surtout, rendez vous sont
pris pour d'autres actions au cas où les
autorités marocaines décident de
maintenir les poursuites contre Ali.
On en arrive donc à ce lundi 14
octobre. Ce jour là, un petit miracle
s'était produit. Une invitation de
dernière minute de l'eurodéputée Malika
Benarab-Attou au parlement européen
m'avait permis de prendre la parole lors
d'une session plénière de la délégation
Maghreb pour évoquer le cas d'Ali. En
clôture de la session le président de la
délégation, Pier Antonio Panzeri,
s'engage à envoyer une lettre officielle
aux autorités marocaines évoquant le cas
Anouzla. Le lendemain, les rendez vous
sont déjà pris pour rencontrer d'autres
euro-députés de poids des groupes
socialistes et libéraux.
De plus, Sam Touzani et Radouane
Baroudi, belgo-marocains connus pour
leur activisme pour les droits de
l'homme ont réussi l'exploit d'obtenir
un passage à la radio publique belge,
l'organisation d'une conférence de
presse au parlement Belge avec la
présence d'élus belges et d'importantes
ONG.
Exténué mais heureux de la
mobilisation en faveur d'Ali et plutôt
satisfait de l'oreille attentive que
m'ont prêtée les décideurs politiques
dans les trois pays visités, je rentre
me reposer à l'hôtel. C'est en cette fin
de journée que je suis surpris par un
appel qui m'informe qu'Ali a publié un
communiqué sur le site Goud.ma dans
lequel il rend publique sa décision de
fermer Lakome.
Le nouvel avocat d'Ali
Je contacte son avocate Naima El
Guellaf. Elle m'apprend qu'elle n'est
pas au courant, qu'Ali venait de
désigner un nouvel avocat, un certain
Hassan Semlali, et que pour en savoir
plus, je devais appeler la sœur d'Ali,
Leila. Ce que je fais. Leila Anouzla
m'affirme lundi soir que c'est bien Ali
qui est l'auteur du communiqué. Quant au
nouvel avocat d'Ali, elle m'indique que
c'est bien le choix de son frère aussi.
Elle me dit que sa décision ne concerne
que le site arabophone. Lors d'une autre
discussion avec moi jeudi 17 octobre,
elle reconnaîtra cependant avoir
elle-même fait appel au nouvel avocat,
maître Semlali, car elle m'a dit être
insatisfaite du travail des autres
avocats.
Je lui explique que le site
arabophone est important pour défendre
le cas d'Ali. Il est la vitrine de notre
travail. Et notre travail est la
meilleure défense d'Ali. De plus, qui
publiera les prises de positions
nationales et internationales en faveur
d'Ali, qui prennent de plus en plus
d'ampleur et qui sont la meilleure
garantie de pressions sur un régime qui
ne comprend que la pression ?
Elle m'explique alors qu'un des
proches d'Ali prend très mal sa
situation. C'est pour cela qu'il préfère
stopper le site. Je lui demande s'il
s'agit bien de la seule raison, s'il n'y
a pas de changement de stratégie. Elle
m'assure que c'est la seule raison. Je
lui dis alors que j'agirais de façon à
prendre en compte les contraintes de
toutes les parties concernées.
C'est ainsi que je rédige le
communiqué dans lequel je dis que je
maintiens le site en activité, que je
réaffirme qu'Ali n'a plus aucune
responsabilité au sein du site. Et
enfin, que cette situation est
temporaire et que dès qu'il sera libéré,
il retrouvera ses fonctions et
responsabilités.
Ce communiqué permettait à Ali de
dire à ce proche que, n'ayant plus
aucune responsabilité au sein du site,
il n'avait plus à s'inquiéter pour lui.
il s'agissait aussi d'être très clair
sur le fait qu'Il ne s'agissait en
aucune manière d'un "coup d'état" contre
Ali, et qu'il allait reprendre sa
position au sein du site.
La décision d'Ali me laissait
d'autant plus perplexe que la manière
dont elle a été exécutée nous était à
moi et à Lakome particulièrement
hostile. Pourquoi ce nouvel avocat a
décidé de communiquer d'abord à travers
Goud ?
Et pourquoi ne pas m'informer ? Je
suis co-fondateur de Lakome et directeur
de publication de son site francophone,
et depuis le 26 septembre, directeur de
publication de lakome arabophone sans
que personne n'y trouve à redire. De
plus, Ali avait jusqu'à ce lundi 14
octobre demandé avec insistance que le
site continue de fonctionner.
N'était-il pas plus logique, surtout
pour un homme de la correction d'Ali, de
m'informer d'un tel revirement ?
Mais encore une fois, puisque la sœur
d'Ali m'avait assuré que la seule
contrainte d'Ali était les fortes
inquiétudes de ce proche sur la
continuité de sa relation avec Lakome,
je pensais avoir répondu à cette
inquiétude en réaffirmant l'inexistence
de quelque responsabilité que ce soit
d'Ali dans le fonctionnement du site,
que ce soit éditorialement ou
administrativement.
Je tiens à affirmer ici que mon
objectif principal demeure la libération
d'Ali et que je n'épargnerai aucun
effort pour y arriver.
Aboubakr Jamai
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