Communiqué
La Cour de Justice de l'UE
sur les produits des colonies
israéliennes
Vendredi 14 juin 2019
Cour de justice de l’Union européenne
COMMUNIQUE DE PRESSE n° 73/19
Luxembourg, le 13 juin 2019
Conclusions de
l'avocat général dans l'affaire C-363/18
Organisation juive européenne, Vignoble
Psagot Ltd/Ministre de l’Économie et des
Finances
Selon
l’avocat général Hogan, le droit de
l’Union exige qu’un produit originaire
d’un territoire occupé par Israël depuis
1967 mentionne le nom géographique de ce
territoire et indique, le cas échéant,
que le produit provient d’une colonie
israélienne
Le 24 novembre
2016, le ministre de l’Économie et des
Finances français a, en référence au
règlement concernant l’information des
consommateurs sur les denrées
alimentaires 1, publié un avis aux
opérateurs économiques relatif à
l’indication de l’origine des
marchandises issues des territoires
occupés par Israël depuis 1967. Cet avis
précisait que « les denrées alimentaires
en provenance des territoires occupés
par Israël doivent […] porter un
étiquetage reflétant cette origine » et
exigeait que les produits ayant cette
origine portent la mention « colonie
israélienne » ou des termes équivalents.
1 Règlement (UE) n°
1169/2011 du Parlement européen et du
Conseil, du 25 octobre 2011, concernant
l’information des consommateurs sur les
denrées alimentaires, modifiant les
règlements (CE) no 1924/2006 et (CE) no
1925/2006 du Parlement européen et du
Conseil et abrogeant la directive
87/250/CEE de la Commission, la
directive 90/496/CEE du Conseil, la
directive 1999/10/CE de la Commission,
la directive 2000/13/CE du Parlement
européen et du Conseil, les directives
2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission
et le règlement (CE) no 608/2004 de la
Commission (JO 2011, L 304, p. 18, et
corrigendum JO 2016, L 266, p. 7).
L’Organisation
juive européenne et Vignoble Psagot Ltd,
société spécialisée dans l’exploitation
de vignobles situés notamment dans les
territoires occupés par Israël, ont
demandé l’annulation de cet avis au
Conseil d’État (France).
Selon le Conseil
d’État, l’appréciation de la conformité
de l’avis français au droit de l’Union
dépend du point de savoir si celui-ci
exige, pour les produits originaires
d’un territoire occupé par Israël depuis
1967, l’indication de ce territoire et
l’indication que le produit provient
d’une colonie israélienne le cas
échéant, ou, dans le cas contraire, si
les dispositions du règlement permettent
à un État membre d’exiger que ces
produits portent un tel étiquetage. Il a
donc saisi la Cour de justice de cette
question à titre préjudiciel.
Dans ses
conclusions présentées ce jour, l’avocat
général Gerard Hogan examine, en premier
lieu, le sens des termes « pays
d’origine » et « lieu de provenance » à
la lumière du règlement. L’avocat
général considère que, alors que
l’expression « pays d’origine » désigne
clairement les noms des pays et leurs
mers territoriales, le règlement permet
de déterminer le « lieu de provenance »
d’une denrée alimentaire au moyen de
mots qui ne se limitent pas
nécessairement au nom de la zone
géographique concernée, en particulier,
lorsque le seul indicateur géographique
utilisé est susceptible d’induire en
erreur.
À la lumière de ces
définitions, l’avocat général demande si
l’omission de l’indication de l’origine
ou du lieu de provenance d’une denrée
alimentaire provenant d’un territoire
occupé par Israël induit le consommateur
en erreur. À cet égard, l’avocat général
examine les critères énoncés par le
règlement et susceptibles d’influencer
le choix du consommateur, à savoir les
considérations sanitaires, économiques,
écologiques, sociales et éthiques. Il
observe que le consommateur moyen est
celui qui est normalement informé,
raisonnablement attentif et avisé quant
à l’origine, la provenance et la qualité
de la denrée alimentaire et soutient que
l’on ne saurait exclure que la situation
d’un territoire occupé par une puissance
occupante − a fortiori lorsque
l’occupation
territoriale est
accompagnée de colonies de peuplement −
constitue un facteur susceptible d’avoir
une incidence importante sur le choix
d’un consommateur normalement informé,
raisonnablement attentif et avisé, dans
un contexte où, conformément au
règlement, il convient de respecter les
différences de perception des
consommateurs et leurs besoins en
matière d’information, y compris pour
des raisons éthiques.
Selon l’avocat
général, la référence aux «
considérations éthiques » dans le
contexte de l’étiquetage du pays
d’origine est clairement une référence à
ces considérations éthiques plus larges
qui peuvent éclairer la réflexion de
certains consommateurs avant l’achat. De
même que de nombreux consommateurs
européens étaient opposés à l’achat de
produits sud-africains à l’époque de
l’apartheid avant 1994, les
consommateurs d’aujourd’hui peuvent,
pour des motifs similaires, s’opposer à
l’achat de produits en provenance d’un
pays donné, par exemple, parce qu’il
n’est pas une démocratie ou parce qu’il
applique des mesures politiques ou
sociales particulières que ce
consommateur estime répréhensibles voire
révoltantes.
L’avocat général
observe, par conséquent, que, dans le
contexte de la politique israélienne à
l’égard des territoires occupés et des
colonies de peuplement, il est possible
que certains consommateurs s’opposent à
l’achat de produits qui en proviennent.
Il ajoute qu’il suffit d’indiquer qu’une
violation du droit international
constitue le type de considération
éthique que le législateur de l’Union a
reconnue comme légitime dans le contexte
de l’exigence d’informations sur le pays
d’origine.
À cet égard,
l’avocat général se réfère à plusieurs
instruments internationaux 2 avant de
constater que la politique de
colonisation israélienne est considérée
comme une violation manifeste du droit
international, en particulier sur la
base du droit des peuples à
l’autodétermination. Il ajoute que la
Cour elle-même a déjà reconnu, dans son
arrêt Brita 3, la nécessité d’établir
une distinction claire entre les
produits provenant du territoire
israélien et ceux provenant de
Cisjordanie.
2 Avis consultatif
sur les conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le
territoire palestinien occupé, Rapport
de la CIJ 2004, p. 136 (point 120).
3 Arrêt du 25
février 2010, Brita (C-386/08) ; voir
également communiqué de presse n° 14/10.
Dans ces
circonstances, l’avocat général observe
qu’il n’est guère surprenant que
certains consommateurs puissent
considérer cette violation manifeste du
droit international comme une
considération éthique influençant leurs
préférences de consommation et à l’égard
de laquelle ils pourraient avoir besoin
d’informations complémentaires. Il en
conclut donc que l’absence
d’indication du pays d’origine ou du
lieu de provenance d’un produit en
provenance d’un territoire occupé par
Israël et, en tout état de cause, d’une
colonie de peuplement, pourrait induire
le consommateur en erreur quant au
véritable pays d’origine ou lieu de
provenance de la denrée alimentaire.
L’avocat général
ajoute que, s’agissant de l’étendue de
l’obligation d’indiquer l’origine d’une
denrée alimentaire en provenance d’un
territoire occupé par Israël depuis
1967, le règlement exige que le
consommateur ait une information
correcte, neutre et objective qui ne
l’induise pas en erreur. Parmi les
éléments à prendre en compte pour
apprécier le caractère éventuellement
trompeur de l’étiquetage en cause au
principal, l’occupation israélienne et
les colonies de peuplement pourraient
constituer « un élément objectif qui
pourrait modifier les attentes du
consommateur raisonnable ». À la lumière
de ces considérations, l’avocat général
considère que l’ajout des termes «
colonies israéliennes » à
l’identification géographique de
l’origine des produits est la seule
manière de fournir des informations
correctes et objectives mais également
précises, claires et facilement
compréhensibles pour le consommateur.
L’avocat général en
conclut que le droit de l’Union
exige, pour un produit originaire d’un
territoire occupé par Israël depuis
1967, l’indication du nom géographique
de ce territoire et l’indication, le cas
échéant, que le produit provient d’une
colonie israélienne.
L’avocat général
examine ensuite, à titre subsidiaire, la
seconde question, à savoir si le droit
de l’Union permet aux États membres
d’adopter des mesures nationales
prévoyant des mentions
obligatoires
complémentaires telles que l’indication
du territoire d’un produit originaire
d’un territoire occupé par Israël depuis
1967 et que ce produit provient d’une
colonie israélienne si tel est le cas.
Dans ce contexte,
l’avocat général Hogan se réfère au
règlement qui dispose que les mesures
nationales concernant l’indication
obligatoire du pays d’origine ou du lieu
de provenance des denrées alimentaires
ne sont autorisées que s’il existe « un
lien avéré entre certaines propriétés de
la denrée et son origine ou sa
provenance » et considère que, compte
tenu de cette disposition, il ne suffit
donc pas que le pays d’origine ou le
lieu de provenance présente, en tant que
tel, une certaine importance dans la
décision du consommateur. Au contraire,
en ce qui concerne cette disposition
particulière, le pays d’origine ou le
lieu de provenance doit avoir un impact
tangible sur le produit lui-même et, en
particulier, sur la qualité de la denrée
alimentaire en question.
L’avocat général
relève que le fait qu’un territoire soit
occupé par une puissance occupante ou
qu’une denrée alimentaire soit fabriquée
par une personne habitant dans une
colonie de peuplement n’est pas
susceptible de conférer certaines
qualités à une denrée alimentaire, ou de
les modifier, en ce qui concerne son
origine ou sa provenance, du moins
s’agissant des denrées alimentaires
originaires des territoires occupés.
Par conséquent,
dans l’hypothèse où la Cour ne
souscrirait pas à son analyse de la
première question, l’avocat général
propose qu’elle réponde que les États
membres ne peuvent pas exiger
l’indication du territoire d’un produit
originaire d’un territoire occupé par
Israël depuis 1967 ou bien que ce
produit provient d’une colonie
israélienne.
RAPPEL : Les
conclusions de l'avocat général ne lient
pas la Cour de justice. La mission des
avocats généraux consiste à proposer à
la Cour, en toute indépendance, une
solution juridique dans l'affaire dont
ils sont chargés.
RAPPEL : Le
renvoi préjudiciel permet aux
juridictions des États membres, dans le
cadre d'un litige dont elles sont
saisies, d'interroger la Cour sur
l'interprétation du droit de l’Union ou
sur la validité d'un acte de l’Union. La
Cour ne tranche pas le litige national.
Il appartient à la juridiction nationale
de résoudre l'affaire conformément à la
décision de la Cour. Cette décision lie,
de la même manière, les autres
juridictions nationales qui seraient
saisies d’un problème similaire.
Document non
officiel à l’usage des médias, qui
n’engage pas la Cour de justice.
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