Paris, le 10 Avril 2006
Monsieur Jacques Chirac Président de la République
Monsieur le Président,
La Plateforme des ONG françaises pour la
Palestine exprime sa ferme opposition à la décision de l’Union
européenne de suspendre son aide à l’Autorité palestinienne
et s’alarme de l’insupportable « deux poids, deux
mesures » qui caractérise l’attitude de la communauté
internationale vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.
La Plateforme des ONG françaises pour la
Palestine condamne le principe même de punir une population parce
que les résultats de son vote ne correspondent pas à ceux que désirent
la communauté internationale ou, plus précisément, quelques
pays occidentaux. Suspendre l’aide à la suite du résultat des
élections législatives palestiniennes constitue un affront au
comportement démocratique exemplaire dont a fait preuve la
population palestinienne. Que valent tous les programmes d’éducation
à la démocratie que nous, société civile française, proposons
depuis des années à nos partenaires palestiniens et à
d’autres, s’ils sont ainsi balayés d’un revers de main ?
Nous exprimons également la plus grande inquiétude
quant aux conséquences désastreuses de cette décision sur la
population palestinienne totalement dépendante, comme vous le
savez, de l’aide internationale, dans tous les aspects de sa
vie, du fait de l’occupation israélienne. Les salaires versés
aux 150 000 fonctionnaires palestiniens font vivre plus d’un
quart de la population des Territoires. Dans son rapport du 16
mars 2006, la Banque mondiale prévoit, si l’aide est suspendue,
une crise humanitaire, avec la désorganisation rapide des
services sanitaires et éducatifs. L’aide internationale ne sert
pas à soutenir tel ou tel parti au pouvoir, mais à maintenir les
institutions de l’Autorité palestinienne chargée, conformément
aux accords d’Oslo, d’assurer les services publics de base à
la population palestinienne. Les organisations non
gouvernementales palestiniennes et internationales ne pourront pas
se substituer aux administrations palestiniennes pour fournir ces
services et l’aide aux Palestiniens ne saurait se réduire à
une aide humanitaire. Comment qualifier une décision de l’Europe
qui punit, pour son vote, une population déjà exsangue, qui
contribue à détruire ses structures institutionnelles et par là
même rend caducs les accords d’Oslo ?
Faut-il rappeler que le vote palestinien est le résultat
d’un processus de fond généré par l’occupation et la
politique d’Israël, le silence et l’inaction de la communauté
internationale et, in fine, par l’échec du gouvernement
palestinien précédent ? Faut-il rappeler également que
l’Etat israélien se refusait à toute négociation avec tous
les gouvernements de l’Autorité depuis le début de l’année
2001 ? La décision de l’Union européenne revient ainsi à
encourager Israël à poursuivre sa politique unilatérale, en
vigueur bien avant l’arrivée au pouvoir du Hamas.
Aussi dénonçons-nous l’incohérence de l’Union
européenne, qui adopte des sanctions à l’égard de l’Autorité
palestinienne dès l’instauration de son nouveau gouvernement,
tout en s’abstenant de prendre la moindre mesurecontre Israël,
comme la suspension de l’accord d’association conclu avec Israël,
que justifie pourtant la politique persistante que les
gouvernements israéliens n’ont cessé de mener en contradiction
flagrante avec le droit international. Jusqu’à quand durera
l’impunité qui est de mise quand il s’agit de la politique
israélienne ? Quand des mesures seront-elles prises pour
contraindre le gouvernement israélien à respecter les accords
d’Oslo et la « feuille de route » ; à reconnaître
aux Palestiniens le plein exercice de leur droit à l’autodétermination
dans les territoires occupés depuis 1967 ; à mettre un
terme à la colonisation et à l’annexion de Jérusalem-Est ?
Quand des mesures seront-elles prises pour faire respecter
l’avis de la Cour internationale de Justice et le vote de l’Assemblée
générale des Nations unies du 20 juillet 2004 enjoignant à Israël
de mettre un terme à la construction du Mur, qu’on sait destiné
à annexer davantage encore de territoires palestiniens et à pérenniser
les colonies et leur expansion ? Qu’est-il entrepris pour
empêcher Israël d’étouffer la population palestinienne de
Gaza par la fermeture du passage de Karni aux produits de base ?
Qu’est-il entrepris pour obliger Israël à restituer l’argent
des taxes dues aux Palestiniens ?
Nous tenons solennellement à vous alerter sur le
danger d’une politique qui consiste à punir une population indépendamment
d’un quelconque acte ou agissement de son gouvernement contraire
au droit international. Cette politique contreproductive
contribuera ainsi à renforcer le Hamas auprès de la population
palestinienne, qui ne peut que se radicaliser.
Nous considérons en outre et surtout que l’aide
internationale ne serait pas nécessaire dans ses proportions
actuelles si l’Etat israélien mettait fin à l’occupation des
Territoires ou déjà, au moins, aux entraves imposées aux
Palestiniens dans leurs déplacements. Les rapports de la Banque
mondiale et des Nations unies s’avèrent éloquents à ce sujet.
C’est pourquoi, la Plateforme des ONG françaises
pour la Palestine vous demande avec instance, Monsieur le Président,
de tout entreprendre pour que l’Union européenne revienne sur
sa décision, maintienne son aide à l’Autorité palestinienne,
prenne toutes les mesures nécessaires pour contraindre l’Etat
d’Israël à se conformer au droit international. Nous
souhaitons que l’Union européenne, en tant que membre du
Quartette, contribue ainsi à ramener les parties vers une
perspective de règlement politique du conflit, fondé sur le
droit et la justice.
Nous vous remercions de l’attention que vous
porterez à ce courrier et nous vous prions d’agréer, Monsieur
le Président, l’expression de notre haute considération.
M. Bernard Ravenel, Président de la
Plateforme des ONG françaises pour la Palestine