31 janvier 2008
Communiqué de presse
Amnesty
International considère que le rapport publié ce mercredi 30
janvier 2008 par la commission Winograd sur la conduite d’Israël
au cours du conflit qui l’a opposé au Hezbollah en juillet et
août 2006 souffre de « graves lacunes ».
Selon
l’organisation, ce rapport a omis d’examiner un aspect crucial
de la guerre : les politiques gouvernementales et les stratégies
militaires qui n’ont pas établi de distinction entre la
population civile libanaise et les combattants du Hezbollah, pas
plus qu’entre les biens et infrastructures civils et les cibles
militaires.
« Une
nouvelle fois, l’occasion a été manquée de se pencher sur les
politiques et les décisions qui sous-tendent les graves atteintes
au droit international humanitaire commises par les forces israéliennes,
notamment les crimes de guerre,
a déclaré Malcolm Smart,
directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty
International.
« La
commission n’a prêté qu’une attention toute symbolique aux
homicides sans discrimination de nombreux civils libanais qui n’étaient
pas impliqués dans les hostilités et aux destructions délibérées
et injustifiées de biens et d’infrastructures à caractère
civil commises à grande échelle. »
Bien
qu’elle ne soit pas investie des pouvoirs d’une commission
d’enquête officielle, la commission Winograd était habilitée
à citer des témoins à comparaître et à préconiser
l’engagement de poursuites contre des représentants de l’État
présumés responsables d’infractions pénales commises délibérément
ou par imprudence.
Toutefois,
elle a choisi de limiter son travail à l'examen de la stratégie
militaire et des décisions politiques, sans réellement
s'attacher à enquêter sur les violations du droit international
humanitaire commises par les forces israéliennes, notamment les
crimes de guerre, ni vraiment préconiser de mesures obligeant les
responsables à rendre compte de leurs actes. La commission prône
la mise en place de mécanismes visant à garantir l’efficacité
des combats dans le cadre des normes internationales relatives au
droit humanitaire, la conduite immédiate d’enquêtes militaires
en cas de violation présumée du droit international humanitaire
et une meilleure préparation pour faire face aux problèmes
humanitaires découlant d’opérations militaires. Toutefois,
elle a fondamentalement écarté les éléments disponibles sur
les graves violations du droit international, aux motifs que les
interprétations du droit international humanitaire prêtent à
controverse, qu’elle n’avait pas la capacité de traiter un
tel volume d’informations, que d’autres instances enquêtent déjà
sur les violations présumées et que ces allégations sont utilisées
comme propagande contre Israël – lors même qu’elle a
examiné à la loupe les stratégies militaires et la conduite de
certaines opérations, y compris dans des affaires faisant déjà
l’objet d’enquêtes par ailleurs.
En se
fondant sur ses recherches menées sur le terrain et sur
l’analyse de la gestion des hostilités en 2006, Amnesty
International a conclu que ce sont les civils libanais – et
non les combattants du Hezbollah – qui ont payé le plus
lourd tribut s’agissant des attaques de l’armée israélienne.
Quelque 1 190 personnes ont été tuées, pour l'immense
majorité des civils qui ne prenaient pas part aux hostilités,
dont des centaines d’enfants. De même, la plupart des
habitations, propriétés et infrastructures visées par les
frappes aériennes et les tirs d’artillerie étaient civiles.
D’autres
organisations internationales humanitaires et de défense des
droits humains, ainsi que d’autres organes des Nations unies
ayant étudié la situation sont parvenus à la même conclusion.
Dans son rapport publié le 23 novembre 2006, la commission
d’enquête des Nations unies concluait : « [...]
les FDI [Forces de défense d'Israël] ont utilisé massivement et
systématiquement la force, de manière excessive et
disproportionnée et sans discernement contre des civils et des
biens de caractère civil libanais, sans faire la distinction
entre civils et combattants ni entre les biens de caractère civil
et les cibles militaires. » Une autre enquête menée
par quatre experts indépendants de l’ONU affirmait en octobre
2006 : « Les informations disponibles donnent
fortement à penser que dans de nombreux cas Israël a violé
l’obligation juridique lui incombant d’établir une
distinction entre objectifs militaires et objectifs civils [et]
de pleinement respecter le principe de proportionnalité. »
Par
ailleurs, Israël a largué des centaines de milliers de bombes à
sous-munitions truffées d’environ quatre millions de petites
bombes, alors que le conflit touchait à sa fin, léguant ainsi un
héritage meurtrier au sud du Liban. Ces bombes continuent de
faire des victimes parmi la population civile, les travailleurs
humanitaires et les démineurs, qui mettent littéralement leur
vie en jeu pour neutraliser les engins qui n’ont pas explosé.
« Bien
que la commission Winograd ait recommandé à l’armée de revoir
sa politique concernant le recours aux bombes à sous-munitions
afin que l’usage de ces armes ne bafoue pas le droit
international humanitaire ni les règlements de l’armée, elle
n’a pas proposé de mesures concrètes »,
a indiqué
Malcolm Smart.
Le
gouvernement israélien ayant refusé à plusieurs reprises de
remettre les informations sur les bombardements et les cartes détaillées
des zones sur lesquelles les bombes à sous-munitions avaient été
larguées, ce travail de déminage déjà laborieux n’en est que
plus long et plus meurtrier. À ce jour, 40 personnes (27 civils
et 13 démineurs) ont été tuées et plus de 200 blessées
(civils et démineurs) par des munitions qui n’avaient pas
explosé. Le Centre de coordination de l’action contre les mines
des Nations unies (UNMACC) a recensé plus de 900 sites
contaminés par des restes non explosés mais toujours mortels de
bombes à sous-munitions et d’autres engins dispersés par les
forces israéliennes dans le sud du Liban.
Amnesty
International a appelé le gouvernement israélien à :
– fournir
à l’UNMACC les informations sur les frappes ayant utilisé des
bombes à sous-munitions et les cartes détaillées des zones sur
lesquelles ces bombes ont été larguées ;
– mener
une enquête indépendante et impartiale sur les éléments
tendant à prouver que ses forces ont commis de graves violations
du droit international humanitaire et relatif aux droits humains
durant le conflit, notamment des crimes de guerre, et veiller à
ce que les auteurs présumés soient déférés à la justice ;
– revoir
son interprétation des règles et des principes relatifs aux
notions d'objectif militaire, d'avantage militaire et de
proportionnalité afin que ces notions soient en parfait accord
avec le droit international humanitaire et faire en sorte que
l'armée israélienne respecte pleinement l'obligation qui lui est
faite de prendre des mesures de protection dans les opérations
d'attaque et de défense, et qu'elle ne lance pas d'attaques à
titre de châtiment collectif ;
– annoncer
un moratoire sur le recours à toutes les armes à sous-munitions
et, en tout état de cause, veiller à ce qu'elles ne soient
jamais plus utilisées dans des zones civiles, en aucune
circonstance.
Par
ailleurs, l’organisation a demandé au Hezbollah, dont les
forces ont également commis des crimes de guerre dans le cadre du
conflit de 2006, de :
– renoncer
à sa pratique illégale qui consiste à tirer des roquettes
contre la population civile israélienne à titre de représailles
et faire en sorte que ses combattants respectent pleinement
l'obligation de prendre des mesures de protection dans les opérations
d'attaque et de défense, notamment l'obligation de se différencier
des non-combattants dans toute la mesure du possible ;
– veiller
à ce qu’Ehoud Goldwasser et Eldad Regev, les deux soldats israéliens
capturés par les combattants du Hezbollah le 12 juillet
2006, soient traités en tout temps avec humanité et soient
autorisés immédiatement à entrer en contact avec le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR).
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