Communiqué - Amnesty International
L'octroi de
pouvoirs sans limites à l'armée :
une menace pour les droits humains en
Egypte
Mardi 19 juin
2012
En Égypte, la décision du conseil
militaire au pouvoir, prise avant
l’annonce des résultats de l’élection
présidentielle et visant à s’accorder
des pouvoirs illimités, ouvre la voie à
de nouvelles atteintes aux droits
humains, a déclaré Amnesty International
ce mardi 19 juin 2012.
Si ces pouvoirs ne sont pas réduits, les
militaires pourront continuer à bafouer
les droits humains en toute impunité, a
averti l’organisation.
La Déclaration constitutionnelle de mars
2011 conférait à l’armée la direction du
pays jusqu’à l’élection par les
Égyptiens d’un président et d’un
parlement. Cependant, le Conseil
supérieur des forces armées (CSFA) a
modifié dimanche 17 juin les termes de
la Déclaration afin de s’octroyer le
contrôle de toute question relative aux
forces armées. Ces modifications
soustraient en réalité l’armée à tout
contrôle civil.
Une modification de taille autorise le
président de l’Égypte à faire appel à
l’armée pour maîtriser les « troubles
internes ». Si ces modifications sont
adoptées, la législation égyptienne
devra préciser les compétences
judiciaires de l’armée, ses pouvoirs en
matière d’arrestation et d’incarcération
et les conditions dans lesquelles elle
sera habilitée à utiliser la force.
« Il est extrêmement inquiétant que
l’armée ait pavé sa propre voie pour
pouvoir continuer à arrêter et à placer
en détention des civils et à recourir à
la force contre des manifestants, sans
aucune véritable surveillance de ses
actes, a déclaré Philip Luther,
directeur du Programme Moyen-Orient et
Afrique du Nord d’Amnesty International.
« En aucune circonstance l’armée
égyptienne, avec son mauvais bilan en
matière de droits humains, ne doit avoir
le pouvoir d’arrêter des civils, de les
incarcérer ou d’enquêter sur eux. »
Amnesty International a rassemblé des
informations sur des violations graves
des droits humains commises par l’armée
égyptienne depuis sa prise de pouvoir,
en février 2011. Elle s’est notamment
rendue coupable d’arrestations
arbitraires et de torture, et des
milliers de civils ont été jugés par des
tribunaux militaires à l’issue de procès
inéquitables.
L’organisation a condamné une décision
prise la semaine dernière par le
ministère de la Justice et visant à
accorder à la police militaire et aux
agents du renseignement les mêmes
pouvoirs que la police civile lorsqu’ils
ont affaire à des civils soupçonnés
d’infractions relatives à la sécurité
nationale et à l’ordre public.
Amnesty International a également
recueilli des informations sur une série
d’opérations de répression de
manifestations qui ont fait plusieurs
morts, dont 27 manifestants en octobre,
au Caire, autour du bâtiment Maspero ;
50 personnes en novembre, dans la rue
Mohamed Mahmoud, près du ministère de
l’Intérieur ; et 17 autres en décembre,
toujours au Caire, près du bâtiment qui
abrite le conseil des ministres.
« L’armée ayant déjà fait usage d’une
force excessive contre des manifestants,
elle ne doit pas être déployée pour
maintenir l’ordre lors de manifestations
pacifiques », a déclaré Philip Luther.
Les nouvelles dispositions font craindre
sérieusement qu’il n’y ait plus
dorénavant aucun moyen d’obliger l’armée
à rendre des comptes pour les violations
des droits humains qu’elle commet.
Aux termes de la déclaration amendée, et
dans l’éventualité où l’armée intervient
pendant des « troubles », la loi
égyptienne précisera en détail les
situations dans lesquelles la
responsabilité des militaires ne saurait
être engagée pour leurs actes. Amnesty
International est préoccupée à l’idée
que la formulation vague des nouveaux
textes puisse être un moyen pour l’armée
de protéger ses forces contre toute
enquête ou poursuite pour violations des
droits humains.
« Cette initiative de l’armée montre à
quel point elle est déterminée à se
maintenir au-dessus des lois tout en
bafouant l’état de droit, a ajouté
Philip Luther.
« À ce jour, aucune prétendue enquête
militaire sur des violences commises par
l’armée n’a permis de faire en sorte
qu’un militaire ait à rendre compte de
ses actes. »
Les modifications à la Déclaration
constitutionnelle accordent aussi à
l’armée le pouvoir de former une
nouvelle assemblée constituante – organe
chargé de rédiger la prochaine
constitution de l’Égypte et représentant
les divers groupes de la société – au
cas où l’Assemblée constituante actuelle
ne puisse pas mener ses travaux à terme.
Les modifications vont encore plus loin,
car elles autorisent le CSFA à s’opposer
à tout article proposé par une assemblée
constituante.
Amnesty International redoute que cela
ne donne à l’armée les moyens de rejeter
toute tentative d’une assemblée
constituante de contenir les militaires
et de les placer sous surveillance
civile – ou de les contraindre à rendre
des comptes en cas de violation des
droits humains.
Pour l’organisation, il est capital
qu’une assemblée constituante, quelle
qu’elle soit, assure une participation
et une représentation équitables des
femmes et des minorités.
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