Communiqué - Amnesty International
Libye.
La mainmise des milices est corrosive
pour l'état de droit
Jeudi 5 juillet 2012
La Libye risque
d’être le théâtre de ces mêmes
violations des droits humains qui ont
conduit à la « Révolution du 17 février
», à moins que les vainqueurs des
élections prévues le 7 juillet ne
placent au premier rang de leurs
priorités le rétablissement de l’état de
droit et le respect des droits
fondamentaux, écrit Amnesty
International jeudi 5 juillet dans un
nouveau rapport.
Dans ce
document intitulé
Libya: rule of law or rule of militais?
l’organisation affirme que près d’un an
après la chute de Tripoli aux mains des
révolutionnaires (thuwwar),
les violations des droits humains –
notamment les arrestations et détentions
arbitraires, les actes de torture (y
compris lorsqu'ils entraînent la mort),
l’impunité pour les homicides illégaux
et les déplacements forcés – mettent en
péril les premières élections nationales
du pays depuis le renversement du régime
de Mouammar Kadhafi.
Lors d’une visite en
Libye en mai et en juin, Amnesty
International a constaté que des
centaines de milices armées continuent
d’agir au mépris de la loi, refusant
d’être désarmées ou de rejoindre l’armée
ou la police nationale. Le ministère de
l’Intérieur a indiqué qu’il a pu
démanteler quatre milices à Tripoli, ce
qui représente une part infime de
l’ensemble.
« Il est plus que
décourageant de constater qu’après tant
de mois, les autorités ont échoué de
manière flagrante à briser la mainmise
des milices sur la sécurité en Libye,
qui se traduit par des conséquences
dramatiques pour la population, touchée
de plein fouet par leurs agissements, a
déploré Hassiba Hadj Sahraoui,
directrice adjointe du programme Afrique
du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty
International.
« La " Révolution du
17 février " est née de la volonté d’en
finir avec la répression et l’injustice.
Si rien n’est fait pour stopper les
violences et l’anarchie, le danger est
bien réel que la Libye se mette à
reproduire et consolider les différentes
formes de violations des droits humains
qui prévalaient depuis 40 ans. »
Violences contre les détenus et morts en
détention
Les milices
continuent d’arrêter des citoyens et de
les placer en détention, dans des
centres non officiels tenus secrets.
Malgré certaines initiatives visant à
placer les centres de détention sous le
contrôle des autorités centrales, on
estime qu’environ 4 000 prisonniers sont
toujours détenus, pour certains parfois
depuis un an sans inculpation, dans des
lieux hors de contrôle de ces autorités.
Les violences
infligées aux prisonniers,
particulièrement s’ils ont été arrêtés
récemment, se poursuivent. Une mission
d’enquête menée par Amnesty
International a mis au jour des éléments
prouvant que des passages à tabac et
autres violences – s’apparentant parfois
à de la torture – ont été infligés dans
12 des 15 centres de détention où elle a
pu s’entretenir en privé avec des
prisonniers, lors de sa dernière visite.
Parmi les méthodes de
torture couramment signalées figurent la
suspension dans des positions
contorsionnées, les décharges
électriques et les passages à tabac des
heures durant à l’aide de divers objets,
notamment des chaînes et des barres
métalliques, des câbles électriques, des
bâtons, des tuyaux en plastique, des
tuyaux d’arrosage et des crosses de
fusil.
Amnesty International
dispose d’informations détaillées sur au
moins 20 cas de prisonniers morts en
détention des suites de tortures
infligées par les milices depuis fin
août 2011.
Affrontements armés et déplacements
forcés
Les affrontements
entre les milices armées qui utilisent à
tort et à travers des mitrailleuses, des
grenades propulsées par roquettes et
d’autres armes dans des zones
d’habitation continuent de faire des
ravages en Libye, causant des victimes
parmi des personnes qui se trouvent sur
les lieux ou ne prennent pas part au
conflit.
La ville de Koufra,
dans le sud du pays, qui abrite des
membres de la minorité tabou, a été le
théâtre de trois périodes de combats
entre février et juin. Selon Amnesty
International, ces affrontements, qui
s’accompagnent toujours de détentions
arbitraires et d’actes de torture
imputables à toutes les parties,
creusent davantage encore les lignes de
fracture au niveau régional, tribal et
ethnique.
Par ailleurs, Amnesty
International a vivement critiqué les
autorités pour leur incapacité à
résoudre la situation de communautés
entières, qui ont été déplacées de force
lors du conflit en 2011 et ne peuvent
toujours pas rentrer dans leurs foyers,
pillés et incendiés par les milices
armées. Les habitants de la ville de
Tawargha, à savoir 30 000 personnes, ne
peuvent toujours pas rentrer chez eux.
Les étrangers
en danger
D’après le rapport
d’Amnesty International, les
ressortissants subsahariens en Libye –
particulièrement les migrants sans
papiers – sont soumis à des arrestations
arbitraires et placés en détention à
durée illimitée, victimes de passages à
tabac s’apparentant parfois à de la
torture et exploités par les milices
armées. Ceux qui embarquent les
étrangers ne font généralement pas de
distinction entre les migrants et ceux
qui fuient la guerre et les persécutions
dans leur pays.
La situation
désespérée des migrants en Libye est
exacerbée par le fait que les autorités
ne combattent pas le racisme ni la
xénophobie dont font l’objet les Libyens
à la peau foncée et les Africains
subsahariens.
Pas de
justice pour les victimes
Les autorités
libyennes continuent de minimiser
l’ampleur et la gravité des violations
des droits humains commises par les
milices, les qualifiant d’actes isolés
qu’il convient de considérer dans le
contexte des violences subies sous le
régime de Mouammar Kadhafi.
Au mois de mai,
les autorités de transition ont adopté
une loi qui accorde l’immunité contre
toute poursuite aux
thuwwar
(révolutionnaires)
pour les actes militaires et civils
commis « dans le but d’assurer le succès
de la Révolution du 17 février ou de la
protéger ».
Lors d’une
rencontre avec Amnesty International en
juin, le procureur général libyen n’a pu
donner aucune information concernant des
thuwwar
traduits en justice pour avoir torturé
des détenus ou commis d’autres atteintes
aux droits humains.
Hasna Shaeeb, 31 ans, accusée d’être
fidèle à Kadhafi, a été placée en
détention pendant trois jours en octobre
2011. Elle a reçu des décharges
électriques, a été frappée et fouettée
jusqu’à perdre connaissance et on lui a
versé de l’urine dessus. Ses gardiens
ont menacé de violer sa mère si elle ne
passait pas aux « aveux ».
Hasna Shaeeb a été
libérée sans inculpation trois jours
plus tard et, depuis, a porté plainte
via divers canaux. Le médecin légiste
qui l’a examinée a rendu un rapport
corroborant son témoignage.
À
la connaissance d’Amnesty International,
rien n’a été fait pour donner suite à sa
plainte. Au contraire, elle a reçu une
série d’appels anonymes, lourds de
menaces, ainsi qu’un appel en juin de la
personne qui l’avait arrêtée. En mars,
en plein milieu de la nuit, des
assaillants non identifiés ont ouvert le
feu sur son appartement.
Demandes aux autorités libyennes pour la
période post-électorale
Après l’élection, en vue de tourner la
page,
le Congrès national général et le
gouvernement qu’il nommera doivent
reconnaître publiquement l’ampleur et la
gravité des atteintes aux droits
humains, les condamner sans équivoque et
faire savoir qu'elles ne seront plus
tolérées.
« Afin de rendre hommage aux sacrifices
et aux souffrances du peuple libyen,
ceux qui auront la responsabilité de
gouverner la nouvelle Libye doivent dire
haut et fort qu’ils traduiront en
justice et demanderont des comptes aux
auteurs présumés de violations des
droits humains, quel que soit leur grade
ou leurs affiliations », a assuré
Hassiba Hadj Sahraoui.
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