Jeudi 1er novembre 2007
L’examen imminent, par la Cour
suprême des États-Unis, d’une affaire concernant le régime de détention
de Guantanámo soulève des questions qui dépassent largement le
problème crucial des droits des détenus pour poser celui de la
notion même d’obligation du gouvernement de rendre des comptes,
conclut Amnesty International dans un nouveau rapport intitulé USA :
No substitute for habeas corpus : six years without judicial
review in Guantánamo. Ce rapport accompagne un mémoire destiné
à éclairer la cour, remis à la Cour suprême par Amnesty
International et trois autres organisations internationales :
la Fédération internationale des Ligues des
droits de l’homme (FIDH), l’Institut
des droits humains de l’Association internationale du barreau,
et l’International Law Association.
Ce mémoire est disponible (en anglais uniquement) sur :
http://www.mayerbrown.com/public_docs/probono
_Amnesty_International.pdf.
Le 5 décembre 2007,
la Cour suprême entendra les déclarations orales dans l’affaire
Boumediene c. Bush. Il s’agira, dans cette affaire, de déterminer
si la Loi relative aux commissions militaires, adoptée il y a un
an, a privé illégalement les tribunaux américains de la compétence
d’examiner les requêtes en habeas corpus des « combattants
ennemis » étrangers détenus par les États-Unis. L’habeas
corpus est une procédure essentielle qui permet aux détenus de
contester la légalité et les conditions de leur détention devant
une juridiction indépendante et impartiale. Il favorise aussi
l’obligation des États de rendre des comptes en permettant un
contrôle judiciaire indépendant des abus du pouvoir exécutif ou législatif.
Au cœur de la controverse juridique en instance
devant la Cour suprême figure le tribunal d’examen du statut de
combattant, organe exécutif créé par le gouvernement deux ans et
demi après les premières incarcérations à Guantanámo afin de déterminer
si les prisonniers étaient « détenus à bon escient »
en tant que « combattants ennemis ». Dans le cadre de
cette procédure, le jury, composé de trois militaires, peut
s’appuyer pour rendre sa décision sur toutes les informations
dont il dispose, y compris des informations obtenues sous la torture
ou d’autres mauvais traitements. Le détenu, pour ainsi dire coupé
du monde extérieur, ne peut pas bénéficier des services d’un
avocat et n’a pas accès aux informations classées secrètes
retenues contre lui. Le contrôle judiciaire se limite à une seule
cour fédérale d’appel et à une simple évaluation des décisions
sur la « légitimité de la détention » prises par le
tribunal d’examen du statut de combattant. Le gouvernement affirme
que cette procédure remplace l’habeas corpus de façon
satisfaisante.
Amnesty International considère que, en l’absence
de respect de la procédure légale, les prisonniers de
Guantanámo sont détenus arbitrairement, en violation du droit
international relatif aux droits humains, qui s’applique en toutes
circonstances, y compris en cas de danger exceptionnel ou de guerre,
quelle qu’en soit la définition. Dans son nouveau rapport,
l’organisation présente de façon détaillée le droit des détenus
de contester la légalité de leur détention devant un tribunal indépendant
et impartial, ainsi que leur droit à réparation, que ce soit sous
la forme d’une libération ou de l’ouverture d’une procédure
judiciaire. Un examen administratif tardif, inéquitable et
incomplet suivi d’un contrôle judiciaire limité est loin d’être
conforme aux obligations internationales des États-Unis. En outre,
près de six ans après l’arrivée des premiers prisonniers à la
base de Guantanámo, la cour d’appel n’a encore procédé au
contrôle d’aucune des décisions du tribunal d’examen du statut
de combattant.
Le rapport d’Amnesty International décrit dans le
détail les déficiences de ce système,
notamment son manque d’indépendance, le fait qu’il ne soit pas
habilité à ordonner des réparations, l’absence d’avocat pour
le détenu, qui n’a aucun moyen valable de contester les arguments
du gouvernement à son encontre, l’utilisation d’informations
obtenues par des méthodes illégales, dont la torture et d’autres
mauvais traitements, ainsi que l’absence de transparence du
tribunal d’examen du statut de combattant, qui peut occulter les
motifs de ces détentions illégales. En outre, étant réservée
aux ressortissants étrangers, cette procédure est discriminatoire
et donc contraire au droit international.
Elle est devenue l’un des outils de la recherche
perpétuelle, par le gouvernement, d’un pouvoir sans limites dans
la « guerre contre le terrorisme ». Cette volonté de
pouvoir illimité a entraîné la violation des droits de toute une
catégorie de détenus, qualifiés de « combattants ennemis »,
ce qui ne correspond à aucune définition officielle du droit
international, du moins avec les conséquences que les États-Unis
ont attachées de façon unilatérale à ce statut.
Des éléments tendent à prouver que le tribunal
d’examen du statut de combattant a été manipulé dans le dessein
de satisfaire la volonté de l’exécutif d’échapper à tout
contrôle judiciaire. Cette démarche s’inscrit dans une politique
plus large d’exploitation ou de manipulation systématique, par le
gouvernement, des affaires relatives aux détenus de la « guerre
contre le terrorisme », qui a été particulièrement visible
à chaque intervention des autorités judiciaires.
Il est clair qu’un contrôle judiciaire indépendant
doit être mis en place de toute urgence. Les conséquences en matière
de droits humains de la négation du droit des détenus à la procédure
protectrice de l’habeas corpus étaient prévisibles. Les
tribunaux américains ayant été privés de leur rôle de contrôle
indépendant des actions de l’exécutif, ces six dernières années
ont été marquées par une longue litanie de violations des droits
humains, allant des transferts secrets de prisonniers aux crimes
internationaux que constituent la torture et les disparitions forcées,
en passant par la détention arbitraire, les traitements cruels et
les procédures judiciaires inéquitables. Guantanámo est au cœur
de ce régime de détention illégale.
Le gouvernement a choisi d’incarcérer les
prisonniers de la « guerre contre le terrorisme » à
Guantanámo Bay car il pensait que, en vertu de la jurisprudence américaine,
les tribunaux ne pourraient pas examiner les requêtes en habeas
corpus introduites par des ressortissants étrangers détenus sur un
territoire situé en fait à Cuba. Six ans plus tard, il existe un
besoin criant de contrôle judiciaire exhaustif et efficace sur la
zone « de non-droit » que les États-Unis ont tenté de
créer à Guantanámo.
Après les affaires Rasul c.
Bush en 2004 et Hamdan c. Rumsfeld en 2006, ce sera la troisième
fois que la Cour suprême des États-Unis se penchera sur des
aspects du régime de détention de Guantanámo. Bien
qu’un certain nombre de points aient été retenus contre lui dans
ces deux précédentes affaires, le gouvernement américain a
interprété les décisions de la Cour suprême de manière à
pouvoir continuer d’éviter ou de retarder tout contrôle
judiciaire et de violer les droits internationalement reconnus des détenus.
La Cour suprême doit rendre sa décision dans l’affaire
Boumediene en 2008. À cette date, les prisonniers de Guantanámo
auront largement entamé leur septième année de détention.
Pour plus d’informations, veuillez consulter le
rapport d’Amnesty International : USA :
No substitute for habeas corpus : six years without judicial
review in Guantánamo, index AI : AMR 51/163/2007,
novembre 2007, http://web.amnesty.org/library/Index/ENGAMR51
1632007.
http://www.amnestyinternational.be/doc/spip.php?article12046
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