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Amnesty International
Égypte. Les autorités doivent autoriser les manifestations
pacifiques
Jeudi 1er avril 2010
Amnesty International déplore les récentes arrestations
de détracteurs du gouvernement et de membres de l’opposition
pacifiques et exhorte les autorités égyptiennes à
faire prévaloir les droits à la liberté d’expression,
d’association et de réunion, lors même que des manifestations
sont prévues au mois d’avril.
Cet appel intervient alors que le pays est gagné par un
mécontentement croissant face à la politique du gouvernement, à
la hausse du coût de la vie, aux faibles salaires et aux lacunes
en matière de droits du travail, sur fond de revendications en
faveur d’une réforme politique et constitutionnelle.
L’organisation est d’autant plus préoccupée que les forces
de sécurité égyptiennes ont effectué récemment des descentes
dans divers domiciles et arrêté des manifestants. Ces
arrestations se sont intensifiées au cours du mois dernier
ciblant des militants politiques qui appellent à la réforme
et ceux qui dénoncent, entre autres politiques israéliennes, le
contrôle de l’accès à des sites sacrés musulmans dans les
territoires palestiniens occupés, notamment à la mosquée d’al
Aqsa.
Le 8 mars 2010, les forces de sécurité ont arrêté Ibrahim Megahed,
étudiant à l’institut polytechnique de Qaisna, dans le
gouvernorat de Manufiya, pour avoir publié en ligne un article
rendant compte des menaces qui pèsent sur la mosquée d’al Aqsa.
Il aurait été battu avant d’être conduit dans un poste de police
où il a été de nouveau frappé et menacé de torture. Il a comparu
devant le procureur de Qaisna, qui l’a inculpé d’appartenance
aux Frères musulmans, premier groupe d’opposition en Égypte, et
de possession de tracts. Le procureur a toutefois ordonné sa
remise en liberté sous caution dans l'attente de nouvelles
investigations. Au lieu d’être relâché, Ibrahim Megahed a été
conduit dans les locaux du Service de renseignement de la sûreté
de l'État à Shabin al Kum, où il a fait l’objet d’une ordonnance
de placement en détention administrative. Il a ensuite été
transféré à la prison de Damanhur, où il n’aurait pas été
autorisé à consulter un avocat ni à entrer en contact avec sa
famille.
Pas moins de 368 membres et partisans présumés des
Frères musulmans sont incarcérés dans diverses prisons à travers
le pays. Nombre d’entre eux sont inculpés d’appartenance à une
organisation interdite, de possession de tracts promouvant son
idéologie et de participation à des manifestations. Beaucoup ont
fait part de leur intention de se présenter aux prochaines
élections du Conseil consultatif, la chambre haute du
Parlement égyptien, qui se tiendront fin mai et début juin 2010.
Plusieurs de ces prisonniers seraient en mauvaise santé, dont
Mohamed Saad Elewa, Mohamed Ahmed Abdel Ghani et Adel Abdel Aziz
al Qatari.
Khairat al Shatir, dirigeant des Frères musulmans qui
purge actuellement une peine de sept ans d’emprisonnement
prononcée au terme d’un procès inique par un tribunal militaire
en 2008, souffrirait quant à lui de graves problèmes cardiaques
et d’hypertension. En outre, le Groupe de travail des Nations
unies sur la détention arbitraire a conclu en 2008 que la
détention de Khairat al Shatir et de 25 autres membres des
Frères musulmans arrêtés entre décembre 2006 et janvier 2007
était arbitraire et a exhorté les autorités à les remettre en
liberté.
Les autorités prennent également pour cibles les partisans
de l’ancien président de l'Agence internationale de l'énergie
atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei, qui prône une réforme
démocratique. Le 18 février 2010, quelques heures avant le
retour de Mohamed ElBaradei en Égypte, les autorités ont fait
des déclarations mettant en garde contre les «
manifestations illégales ». Taha Abdel Tawwab Mohamed, médecin
exerçant à Fayoum, a été convoqué dans les locaux du Service de
renseignement de la sûreté de l'État à Fayoum dans la soirée du
7 mars, après que les forces de sécurité ont empêché des
militants politiques de tenir une réunion en faveur d’une
réforme politique et constitutionnelle. Il a raconté qu’on lui
avait enlevé ses vêtements et qu’on l’avait roué de coups en
raison de son soutien public à Mohamed ElBaradei. Il a été
relâché le lendemain, non sans avoir été mis en garde contre le
fait de parler à quiconque des tortures qu’il avait subies.
Les avocats du Réseau arabe pour l'information sur les droits de
l'homme et du centre Hisham Mubarak pour le droit ont déposé des
plaintes auprès du procureur. Aucune mesure n’a été prise en vue
de traduire les responsables en justice. Le 20 mars, des agents
du Service de renseignement de la sûreté de l'État ont effectué
une descente au domicile de Maha Magdy al Khadrawi et saisi ses
livres et son ordinateur. Cette opération a eu lieu
quelques heures après qu’elle a recueilli des signatures
d’étudiants de l’université Ein Shams en faveur d’une réforme
constitutionnelle ouvrant la voie à une élection présidentielle
libre et équitable en 2011.
Par ailleurs, la répression vise à empêcher les
contestations sociales. Au cours des derniers mois, des employés
des secteurs public et privé ont organisé plusieurs
manifestations et grèves interdites afin de réclamer la hausse
des salaires et l’amélioration des conditions de travail.
Beaucoup ont exposé leurs griefs lors de rassemblements devant
des bâtiments gouvernementaux au Caire. Les forces de sécurité
sont intervenues pour disperser certains rassemblements, alors
que les professionnels des médias n’ont pas pu se rendre dans
les zones où se déroulaient les sit-in et les manifestations –
ou se sont faits expulser.
De nouvelles manifestations sont prévues début avril, notamment
à l’initiative des détracteurs de la politique du gouvernement
vis-à-vis de Gaza, du Mouvement des Jeunes du 6 Avril, de
mouvements de travailleurs, du Mouvement égyptien pour le
changement (Kefaya) et de l’Association nationale pour le
changement, mise sur pied par Mohamed ElBaradei, ainsi que
d’une trentaine de figures de l’opposition, afin de réclamer des
modifications de la Constitution et des élections libres –
législatives en mai/juin et novembre 2010, et présidentielle en
2011. Une manifestation est notamment prévue le 3 avril, en
faveur de l'augmentation du salaire minimum national. Le 6
avril, les manifestants demanderont que la Constitution soit
modifiée afin d’entériner des candidatures indépendantes lors de
l’élection présidentielle. Amnesty International craint que les
participants à ces événements ne soient en butte à la répression
des forces de sécurité.
Au regard des manifestations prévues prochainement et du fait
que les forces de sécurité égyptiennes font fréquemment usage
d'une force excessive lorsqu’elles dispersent des rassemblements
publics et pratiquent les arrestations et détentions
arbitraires, Amnesty International engage les autorités
égyptiennes à donner des instructions claires à leurs forces
de sécurité. Celles-ci ne doivent pas recourir à une force
excessive ni disproportionnée dans le cadre de leurs actions
destinées à disperser les manifestants et doivent se conformer
pleinement aux normes internationales régissant l’usage de la
force par les forces de l’ordre, telles que définies dans le
Code de conduite pour les responsables de l'application des lois
et les Principes de base sur le recours à la force et
l'utilisation des armes à feu par les responsables de
l'application des lois, et respecter pleinement les droits
humains des manifestants. Aucun manifestant pacifique ne doit
faire l'objet d'une arrestation ou détention arbitraire ni être
exposé au risque de subir des actes de torture ou d'autres
formes de mauvais traitements.
En 2009, de nombreuses forces de sécurité ont été déployées
autour des principaux points de rassemblement au Caire et dans
d’autres villes, ainsi que dans plusieurs universités, afin
d’empêcher toute grève ou rassemblement. Les policiers ont
arrêté des étudiants militants et des manifestants.
En Égypte, l’état d’urgence est en vigueur depuis 1981 et
les autorités invoquent les dispositions de la Loi relative à
l’état d’urgence pour interdire les manifestations, restreindre
les droits à la liberté d’expression, d’association et
de réunion et bafouer les droits fondamentaux – notamment par
des actes de torture, des mauvais traitements et des procès
iniques devant des tribunaux militaires et des juridictions
d'exception.
Amnesty International reconnaît que les autorités égyptiennes
se trouvent dans l’obligation d’assurer le maintien de l’ordre
lors de manifestations afin de protéger l’ordre public, la santé
publique et les droits et les libertés de chacun. Elles doivent
agir en respectant scrupuleusement la loi et les principes de
nécessité et de proportionnalité inscrits dans le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(PIDCP) auquel l’Égypte est partie. Cependant, les autorités
égyptiennes mettent systématiquement en œuvre des restrictions
abusives et des mesures radicales en vue de réprimer l’exercice
légitime des droits de manifester sans violence et de faire
grève.
Amnesty International exhorte les autorités à mettre fin
aux arrestations et aux mesures d’intimidation visant les
militants de l’opposition et les détracteurs du gouvernement et
à autoriser les manifestations pacifiques. Le gouvernement
égyptien se doit de respecter les droits à la liberté
d’expression, d’association et de réunion et d’honorer les
engagements souscrits dans le cadre de l’Examen périodique
universel des Nations unies en février 2010, à savoir de
garantir dûment ces droits et celui de prendre part à la
vie publique et politique, dans le plein respect des obligations
qui lui incombent au titre du PIDCP.
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