De Gaza
Récit d'un génocide répété
Ziad Medoukh
Vendredi 26 septembre 2014
C’est difficile
pour moi, Palestinien de Gaza, de
parler, de témoigner et de retracer
cette nouvelle offensive militaire
israélienne qui a duré plus de 50
jours en juillet-août 2014. C’était
terrible! J’aurais besoin de pages et de
pages pour décrire ce carnage, ces
crimes et ces massacres israéliens
contre les civils de Gaza. Mais je vais
essayer le plus succinctement possible
de narrer une partie de mon vécu pendant
les événements horribles qu'a subi
toute la population de la bande de Gaza.
Je ne vous cache
pas que, bien que les bombardements
soient arrêtés depuis plus d’un mois,
je suis toujours, comme tout mon
peuple, sous le choc, et que je ne
réalise pas que je suis encore vivant,
car c’était vraiment un génocide,
personne n’était à l’abri, et tout
le monde attendait son tour d’être tué
par le missile d’un avion militaire
israélien ou l’obus d’un char ou d'un
tank.
Personnellement, je
n’attendais pas le début de cette
agression commencée le 8 juillet,
car on était en plein mois de Ramadan,
un mois sacré avec des rituels spéciaux.
Mais, avec ce gouvernement d’extrême
droite et cette occupation israélienne
illégale, rien n’est sacré. Ils
attaquent à n’importe quel moment.
Je me souviens du
début de cette agression, le mardi 8
juillet 2014, vers 11h. J'étais au
département de français de l'université
avec mes étudiants et une
solidaire française. Ils échangeaient
avec elle, quand, soudain, les
bombardements ont commencé, on a décidé
de continuer bien que l’université ait
évacué ses étudiants. On est resté
jusqu’à 12h, puis on a quitté à cause de
l’intensification des tirs. Je
suis retourné à mon domicile. Sur le
chemin, des ambulances et le bruit des
missiles qui tombaient partout. En
arrivant chez moi, j’ai demandé des
nouvelles de tout le monde. En fait, les
écoles avaient déjà été évacuées et
chacun était rentré chez soi.
Dans l’après-midi,
premier appel téléphonique d’un
journaliste français qui voulait des
témoignages directs, puis j'ai commencé
à envoyer le premier bilan du début de
cette nouvelle agression israélienne aux
amis et aux solidaires, sur internet et
sur Facebook, une première nuit terrible
suivie de 49 jours encore plus
difficiles: le début de la troisième
offensive militaire israélienne contre
la bande de Gaza en 5 ans!...
Cette offensive
militaire contre notre peuple était
différente de celles de 2008 et de 2012,
bien que la guerre c’est la guerre, mais
la particularité de cette attaque se
résume en 7 points :
- Sa longue durée,
plus de 50 jours de bombardements et
d’attaques sanglantes, l’armée
d'occupation a mené plus de 7000 raids.
-Le
nombre de victimes, 2200 morts
palestiniens, parmi eux plus de 500
enfants, et 11000 blessés.
-La
destruction massive, notamment
des quartiers entiers effacés de la
carte, partout des tours et des centres
commerciaux détruits
-Les attaques
sanglantes qui ont visé des écoles
abritant les réfugiés, le centre de la
ville de Gaza soit disant sécurisée, où
personne dans aucun lieu n'était à
l’abri.
-La résistance
militaire palestinienne acharnée, les
factions ont lancé des roquettes jusqu’à
la dernière minute avant le cessez le
feu
-La résistance
exemplaire de notre population civile,
solidarité familiale et unité nationale.
-La forte
mobilisation internationale et les
manifestations de soutien à la
population de Gaza et contre les crimes
israéliens, partout dans le monde.
Pendant cette
guerre, l’armée de l’occupation a semé
la terreur et l’horreur dans une région
qui subit déjà un blocus inhumain et
illégal, depuis plus de sept ans.
Le véritable
objectif israélien est de casser la
volonté remarquable de cette population
civile résistante qui, malgré ce blocus
et deux guerres passées, continue de
résister et d’exister.
Pour moi, j’ai
vécu cet évènement comme toute ma
population avec un quotidien
particulier : bombardements- missiles
qui tombent toutes les trois quatre
minutes-attaques-peur-inquiétude-
pénurie d’électricité et
d’eau-isolement-manque de médicaments et
de produits alimentaires.
Mais avec cette
particularité que j’ai été sous
pression et débordé. Primait mon
devoir de rédiger un compte rendu
quotidien et un bilan de l’agression
israélienne et de l’envoyer via internet
et les réseaux sociaux à tous les amis
solidaires, aux associations de soutien
à la Palestine et aux médias
francophones, une tâche difficile,
notamment à cause des coupures
d’électricité permanentes et de la
situation de guerre. Il faut ajouter à
cela mes témoignages de tous les jours,
voire de toutes les heures à plusieurs
chaînes de radio, de télévision et
aux journaux francophones qui me
sollicitaient sans cesse. Sans
exagération, je devais répondre par
jour à 30 à 40 appels téléphoniques qui
venaient de tous les pays francophones.
Je peux dire que
durant cette guerre, ma seule joie était
le retour du courant électrique, ne
serait-ce que deux ou trois heures par
jour, pour envoyer les nouvelles et
charger mon portable. C’était très
important pour moi ce bilan quotidien,
car je tiens beaucoup à la solidarité
populaire avec notre cause de justice,
notamment devant le silence complice de
la communauté internationale officielle
et la brutalité de l’agression
israélienne.
Quand le courant
électrique revenait à n’importe
quel moment de la journée, le matin, le
soir, à l’aube, même à 2h ou 3h du
matin, un état d’urgence était décrété
chez moi, personne dans la maison
n’avait le droit de me parler ou de me
demander quoi que ce soit, la
priorité était d’envoyer mon compte
rendu, et j’ai laissé tomber beaucoup
d’obligations familiales, car je suis
convaincu de l’importance de cette
solidarité internationale. Je voulais
informer sur notre quotidien et le bilan
de l’agression. Je profitais au maximum
du courant électrique Je regroupais les
photos et les informations de plusieurs
sites et sources médicales pour
les envoyer, je n’avais pas le temps de
m’occuper de mes enfants et de ma
famille, et même quand on a reçu chez
nous des familles et des proches qui
venaient d’autres régions menacées, ils
n'osaient me parler quand
l'électricité revenait
Pendant les
premiers 24 jours du carnage israélien,
j’ai réussi à envoyer mon bilan
quotidien à des milliers de personnes,
et même si je n’avais pas le temps de
lire et de répondre à tous les messages
qu'ils m’adressaient, combien j’ai été
conforté de savoir le soutien sans
relâche de ces gens de bonne volonté.
Et maintes fois, malgré le risque et
les bombes qui tombaient, je suis allé
chez des voisins et chez des amis qui
avaient de l’électricité pour envoyer
mon bilan journalier, car je voulais que
tout le monde connaisse notre
souffrance et notre douleur suite à ce
nouveau génocide israélien.
Vous ne pouvez
imaginer ma tristesse et ma frustration
quand la centrale électrique de Gaza a
été totalement détruite par
l’aviation israélienne fin juillet
2014. Pendant 8 jours, aucun foyer de
Gaza n'a eu d’électricité, j’étais
isolé, je ne pouvais pas sortir de chez
moi, car c’était la ville de Gaza
qui était visée. Heureusement qu’il y
avait le portable , les amis
m’appelaient, je ne voulais pas
répondre afin de ne pas décharger ma
batterie mais les dizaines d’appels
de ceux qui s’inquiétaient pour moi, eux
et des centaines de personnes qui
demandaient de mes nouvelles, m’ont
rassuré. Cinq amis de France, Belgique,
Algérie et Maroc ont décidé de
m’appeler tous les jours pour avoir des
informations sur moi et sur la
situation à Gaza, afin de rassurer sur
internet les autres amis qui
étaient très inquiets de mon silence.
Le moment le plus
difficile durant cette agression fut
quand je ne pus sortir de chez moi
pendant une semaine, quand le centre de
la ville de Gaza soit disant
sécurisé fut bombardé- même mon quartier
a été visé , 3 maisons ont été
détruites, et 4 voisins tués- Le seul
endroit où je pouvais aller était la
maison de mon voisin qui a un
générateur, pour charger mon portable,
trente minutes seulement tous les deux
jours. Mon voisin comme beaucoup de mes
amis me parlait souvent de cette
mobilisation pour Gaza, notamment en
France, et de la volonté des gens de
manifester dans les rues,
malgré l’interdiction officielle.
Pendant les 50
jours, je n’ai pas dormi, même pas deux
heures par jour, j’ai
quelquefois passé deux ou trois jours
sans dormir, pas seulement par
inquiétude de ces bombardements
aveugles, mais pour répondre aux appels
téléphoniques qui venaient de beaucoup
de pays, en particulier du Québec, avec
le décalage horaire.
Pendant cette
agression israélienne, j’avais comme
tout mon peuple plusieurs sentiments :
fierté, confiance, force, courage, peur,
inquiétude et soulagement.
Mon quotidien
durant cette guerre a été très difficile
et très particulier : aller au marché
tous les deux, trois jours avec beaucoup
de risques, acheter de quoi
nourrir ma famille, demander des
nouvelles aux voisins, appeler les amis
et les proches quand il y avait des
bombardements dans leurs quartiers, puis
rester tout le temps chez moi pour
suivre les informations, notamment à
partir des radios qui fonctionnent à
l'aide de batterie, et quand le courant
électrique revenait, l’installation
devant mon ordinateur pour écrire mon
bilan et garder le contact avec le
monde. Cette situation m'était
particulière car je n’ai pas l’habitude
de rester chez moi, je restais souvent
tard au département de français.
J’ai profité des jours de trêve pour
aller à mon travail préparer la
rentrée prochaine.
Lors de l’écriture
de mes témoignages quotidiens et de leur
envoi à mon réseau, trois éléments m’ont
marqué :
- J’étais gêné
quand les amis et les solidaires me
remerciaient, je n’avais pas
besoin de remerciements, je faisais mon
devoir d’informer, et ce n'est rien par
rapport aux sacrifices de nos martyrs et
de nos blessés qui ont donné de leur
sang pour que vive la Palestine et pour
que Gaza reste digne, l’information fait
partie de la résistance.
- Le soutien de ces
amis et solidaires à Ziad Medoukh,
c’était un soutien à Gaza, ce sentiment
me rendait fier, mais responsable devant
ces milliers de personnes que je
devais informer au jour le jour
sur la situation
- Le regret de ne
pas avoir le temps de répondre à tous
les messages: j’ai découvert plus de
20000 messages sur ma boite email et sur
Facebook venant de centaines d’amis et
de solidaires.
Un aspect très
positif, j’ai gagné beaucoup de nouveaux
amis- plus de 3000 nouveaux qui
m’ont ajouté sur Facebook-, j’ai
découvert des personnes extraordinaires,
de vrais solidaires, des gens de bonne
volonté, qui veulent soutenir Gaza et la
Palestine. Ces personnes de beaucoup de
pays étaient très inquiètes quand je ne
pouvais pas envoyer mon bilan, leurs
messages si sincères et si proches me
rendent plus déterminé que jamais, ces
gens ont gardé le contact avec moi et on
continue d'échanger.
J’ai parlé en
direct à 15 manifestations en
France et en Suisse, les cris des
solidaires du slogan « Palestine
vivra, Palestine vaincra !» Me rendent
fort et m’encouragent à résister, car
derrière nous il y a des millions de
personnes dans le monde qui expriment
leur colère contre les crimes israéliens
et pour soutenir les Palestiniens de
Gaza.
Un aspect qui m'a
frappé dans les appels et les messages
de beaucoup de personnes de différentes
nationalités et de différentes
confessions est que tout le monde prie
pour moi : les amis musulmans, les
chrétiens, les juifs, même les non
croyants et les athées, j’ai été très
ému par le nombre de messages mais
surtout par leur contenu. Parmi ceux
qui m’ont vraiment touché :
1-« Et j'écrirai
votre nom Ziad
Medoukh et celui de Gaza dans une
prière spéciale pour vous, que les
sources d'eau pure jaillissent en grand
nombre à Gaza. »
2- : « Je l'ai
écouté hier, en pleine circulation...
j'ai failli emboutir la voiture qui
était devant moi. Entendre le témoignage
de Ziad
Medoukh, alors que j'ai plutôt
l'habitude de le lire... Entendre sa
voix triste énoncer l'horreur absolue...
:'( »
3-: « Je ne
souffle que quand tu nous écris Ziad
Medoukh, mais à mon grand malheur
dès que je te lis je suis encore plus
anéantie ».
4-« Avec
toi,Ziad j'ai eu peur, avec toi, j'ai
pleuré, avec toi, j'ai espéré! »
5-« Nous sommes
tous des Palestiniens, nous sommes tous
des Gazaouis »
Parmi les moments
douloureux de cette guerre, celui où
j’ai composé mon poème : « Ne pleure pas
maman si je tombe en martyr ».
J’attendais mon tour comme tous les
civils de Gaza, avec les bombardements
intensifs et aveugles. Ce poème
a suscité beaucoup de réactions chez mes
amis malgré sa tristesse, mais il
montre l’état d’esprit de ce danger qui
touche tout le monde à Gaza.
J’ai profité de la
trêve pour aller au département
préparer la rentrée prochaine et
établir un programme de soutien pour
mes étudiants. A propos de ceux-ci,
j’ai été fier d’eux : ils ont écrit et
informé leurs amis sur les réseaux
sociaux de ce que se passe à
Gaza, ces jeunes étudiants de 19-20 ans
qui témoignaient tous les
jours, écrivaient des articles et
répondaient aux questions des
journalistes malgré une situation de
guerre, et malgré leurs deux ou trois
ans de français, quel courage !
J’ai pleuré
plusieurs fois, je me suis senti
impuissant devant les corps des enfants
massacrés, mais je n’ai jamais montré
mes larmes ni à ma famille, ni aux amis
quand ils m’appelaient pour avoir de mes
nouvelles, eux qui pleuraient au
téléphone.
En dépit de notre
vécu tragique pendant ces 50 jours de
terreur où Gaza a supporté
l’insupportable, les deux éléments qui
m’ont rassuré sont :
-la volonté
remarquable et la patience exemplaire de
notre population civile malgré l’ampleur
de cette guerre.
-la mobilisation
internationale et le soutien populaire
partout dans le monde, toute la
population a apprécié cette solidarité
qui a participé à faire pression contre
les gouvernements.
On peut dire
qu’aucun objectif israélien de cette
nouvelle offensive n’a été réalisé,
notre population digne est toujours
débout.
Un mois après
l’arrêt de cette nouvelle agression, de
ce nouveau génocide contre notre peuple,
rien n’a changé à Gaza, le blocus est
toujours là. Tant que les crimes
israéliens ne sont pas jugés et tant que
dure l’impunité d’Israël, un nouveau
génocide se prépare.
La forte
mobilisation pour Gaza partout dans le
monde pendant l’agression israélienne,
très appréciée par notre population
civile, devrait être poursuivie, car,
avant et après cette agression, la
situation est toujours marquée par le
blocus israélien, la fermeture des
frontières et l’interdiction d’acheminer
beaucoup de produits et de matériel.
Après tout,
malgré toutes les pertes humaines et la
destruction massive, malgré
ces 50 jours de terreur, je suis plus
que jamais déterminé à continuer
ma résistance quotidienne dans la bande
de Gaza à travers l’éducation et le
travail avec mes jeunes pour une
ouverture sur le monde, avec le soutien
des solidaires de notre cause juste pour
une Palestine de liberté et de paix
durable, une paix qui passera avant tout
par la justice.
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