Tribune
Les droits des
Tunisiennes
échappent au sondage Thomson Reuters
Wided Ben Driss
Mardi 19 novembre 2013
Le
sondage de la Thomson Reuters Foundation
classant la Tunisienne au 6e rang dans
le monde arabe en matière de droits
suscite de nombreuses réserves. La
méthode utilisée a laissé la place aux
réponses subjectives et erronées.
Explications...
Par Wided
Ben Driss*
Tous les sites d'information ont fait
circuler une information selon laquelle
la Tunisienne se classe 6e
dans le monde arabe en matière de
droits, bien derrières les Comoriennes,
Omanaises, Koweïtiennes, Jordaniennes et
Qataries. Une certaine déception a été
sentie dans les commentaires des
Tunisiens et Tunisiennes et une majorité
s'est ruée sur le gouvernement actuel
considéré comme responsable de la
détérioration de la condition des femmes
tunisiennes.
Certes les femmes tunisiennes sentent
des dangers mais restent vigilantes et
n'ont pas hésité à rappeler leurs
attachement aux droits acquis et leurs
volonté d'améliorer leurs conditions par
de nouvelles lois de la constitution en
cours d'élaboration (parité, cotutelle,
longue maternité avec un salaire
complet...).
Le but de l'analyse de la
méthodologie adoptée est de montrer le
haut degré de subjectivité des résultats
de ce type de sondage. Comme tout
sondage, le résultat est en fonction des
questions, des réponses et surtout des
personnes sondées.
La relecture des paramètres de
classement utilisés a pour objectif de
voir de près et de comprendre les
facteurs objectifs et subjectifs qui ont
valu à la Tunisie à ce rang pour le
moins surprenant.
Les
tunisiennes restent vigilantes pour
défendre leurs droits acquis,
dont sont encore privées les femmes dans
les autres pays arabes.
Femme arabe,
maquillée, voilée et armée !
Le sondage, publié 12 novembre 2013,
a été effectué par Thomson Reuters
Foundation. Il est consacré aux droits
des femmes dans les pays. Ses auteurs
ont enquêté auprès de 336 experts dans
22 pays arabes. L'objectif est d'évaluer
le degré d'adhérence des 22 pays arabes
à la convention des Nations Unis sur
l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes
(CEDAW) que la majorité des pays membres
de la Ligue des Etats arabes ont signée
ou ratifiée, à l'exception de la Somalie
et du Soudan. Il est tout de même
intriguant de trouver ces deux pays
classés devant les pays ayant signé la
convention (Yémen, Syrie, Arabie
Saoudite, Iraq et Egypte).
Dans la page ci-dessous illustrant
des détails du classement de la Tunisie,
l'image des deux filles voilées n'est
pas représentative des Tunisiennes. Et
le commentaire est pour le moins
discutable, car très subjectif et fondé
sur des sentiments et des états d'âmes.
Car, en pratique les femmes et les
familles n'hésitent plus à porter
plaintes contre les violences et les
viols.
D'après Christine German de Munathara
Initiative, «la violence et le viol
continuent à être honteux pour la femme.
Alors qu'elle en est la victime, la
femme continue à sentir la honte de leur
viol et s'auto-culpabilise».
Le questionnaire soumis aux experts
est réparti en 6 catégories basées sur
les articles de CEDAW:
1- Femme en politique;
2- Femme en société;
3- Femme en économie;
4- Femme en famille;
5- Droits de reproduction;
6- Violence contre la femme.
L'analyse a revu toutes les 36
questions posées et les paramètres de
sélection appliqués, mais je me contente
ci-dessous de lister les exemples les
plus controversés.
1- Femme en politique
: Malgré la parité adoptée pour les
élections d'octobre 2011, les 27% de
femmes à l'Assemblée nationale
constituante (ANC) et l'absence de toute
loi entravant l'ambition et l'ascension
de la femme tunisienne, celle-ci est
étrangement classée à la 11e place après
Palestine, les Emirats arabes unis, le
Maroc, la Mauritanie, le Qatar, le
Koweït, la Jordanie, Oman, Comores,
l'Algérie et Djibouti.
o
Question 10 : femme et homme ont
des chances égales à accéder à toutes
les positions dans la fonction publique.
o Question 11: le gouvernement a
modifié ou annulé des lois qui
discriminent la femme.
2- Femme en société
: A l'université, les femmes tunisiennes
sont plus nombreuses que les hommes. La
femme accède sans restriction à toutes
les études et à toutes formes de
communication et la femme majeure est
libre de s'habiller de circuler et de
voyager. Et pourtant, la Tunisie a eu la
7e place après le Liban, Oman, les
Emirats, Koweït, Qatar et Bahreïn!
o
Question 14 : Les filles renoncent
à leurs études plus tôt que les garçons.
o Question 15 : Les filles subissent
une pression de se marier avant leurs 18
ans.
3- Femme en économie
: Les femmes tunisiennes ont tous
les droits d'accéder à des crédits
bancaires, à monter leurs affaires et à
gérer leurs projets et il n'y a pas de
loi ou de culture qui s'oppose à ce que
la femme acquière des biens. Et pourtant
la Tunisie classée en 8e place après la
Somalie, Bahreïn, Maroc, Mauritanie,
Koweït et les Iles Comores.
o
Question 18 : la discrimination sur
base de sexe est punie dans le lieu du
travail.
o Question 19 : Une veuve peut perdre
ses propriétés à moins de se remarier
avec proche à son défunt mari !
4 - Femme en famille:
A rappeler le Code de statut personnel
qui donne à la femme majeure le choix de
son mari, la liberté de divorcer et la
garantie de la pension de ses enfants à
charge. Et pourtant la Tunisie est
classée la 10e place après le Qatar,
Bahreïn, Libye, Algérie, Mauritanie,
Maroc, Jordanie, Somalie et les Iles
Comores! Mais est ce que ces pays arabes
appliquent d'autres lois d'héritage que
la chariâ? N'y a-t-il pas plusieurs où
s'applique encore la polygamie? Un
classement vraiment illogique!
o
Question 22 : l'héritage est en
faveur de l'homme.
o Question 23 : une femme qui refuse un
mariage arrangé risque des maltraitances
mentales ou physiques.
5- Droit de reproduction
: La Tunisie a, depuis des décennies,
instauré un programme de planning
familial, qui donne à la femme et à
l'homme aussi l'accès à la culture
reproductive. La loi tunisienne autorise
l'avortement, et la femme gère sa
contraception avec des moyens
accessibles et médicalement contrôlés.
La culture de préférer la naissance de
garçons est dépassée et les filles ont
les mêmes traitements que les garçons
(le meilleur exemple est le taux de
scolarité et le taux de réussite des
filles du primaire à l'université). Et
pourtant la Tunisie classée à la 8e
place après l'Algérie, Qatar, Oman,
Libye, Djibouti, Mauritanie et les Iles
Comores.
o
Question 25 : dans le travail une
femme qui tombe enceinte sera contrainte
à démissionner ou sera sanctionnée.
o
Question 26 : la femme peut décider
de la date de conception et du nombre de
ses enfants.
6- Violence contre la
femme : La Tunisie est
classée à la 3e place après les Iles
Comores et l'Algérie. La fondation
Thomson Reuters est basée à Londres avec
des représentations aux Etats unis, en
Amérique du sud, au Sénégal, en chine,
en Inde et en Egypte, seul pays arabe.
La méthodologie est bonne et les
questions sont bien ciblées. Le problème
réside dans les réponses qui semblent
non conformes et en déphasage avec le
pays, à l'exemple du cas de la Tunisie.
Sans douter du professionnalisme de
la fondation Thomson Reuters, la
question se pose au sujet de
l'échantillon des 336 spécialistes qui
ont répondu au questionnaire à la base
de ce sondage. Quel est leur degré de
connaissance des pays arabes, maghrébins
et surtout de la Tunisie? En fait, leurs
réponses au regard de droit de
reproduction, de la situation de la
femme tunisienne dans l'économie, dans
la société et la famille montrent une
ignorance ou peut-être une subjectivité
voulue.
*Exploration Manager.
Article lié:
La condition de la femme en Tunisie
recule sous le régime islamiste
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Publié le 19
novembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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