VOSTFR
Vladimir Poutine : l'ours de la Taïga
russe se dresse face aux Etats-Unis
Lundi 19 janvier 2015
Dans cet extrait des échanges avec
les journalistes lors du Forum de Valdaï
tenu le 24 octobre 2014 (voir le
discours complet de Vladimir Poutine
prononcé à l’occasion), le
Président russe fait un bref mais
magistral rappel de de l’état des
relations internationales de 1945 à nos
jours, en mettant l’accent sur les
crises récentes qui ont toutes pour
origine l’arrogance et l’hybris
des Etats-Unis et la soumission de leurs
vassaux (Afghanistan, Yougoslavie, Irak,
Libye, Syrie…).
A travers
l’image de l’Ours de la Taïga, il
réaffirme sa détermination à défendre la
souveraineté et les intérêts nationaux
de la Russie contre toute agression, à
l’instar de ce qui s’est passé en
Crimée, ainsi que l’attachement de la
Russie à un monde multipolaire régi par
le droit international.
Dans le second
extrait, qui provient des échanges avec
les journalistes lors de la conférence
de presse annuelle du 18 décembre 2014,
le Président russe Vladimir Poutine file
sa métaphore de l’ours de la Taïga pour
affirmer que face à l’impérialisme des
Etats-Unis, il n’y a qu’une
alternative : l’humiliation de la
vassalité, ou la dignité d’une attitude
souveraine, qui nécessite une position
de force, et entraîne irrémédiablement
l’hostilité et l’agression américaines
au gré de divers crises qui ne
constituent que des prétextes.
Vladimir Poutine
se livre chaque année à cet exercice qui
peut durer jusqu’à quatre heures, et
durant lequel il répond de manière
impromptue aux questions les plus
agressives de journalistes du monde
entier.
Ce franc-parler,
cette hauteur de vues et cette stature
sont, hélas, introuvables en France, de
l’extrême gauche à l’extrême droite de
l’échiquier politique, que ce soit parmi
les (prétendus) admirateurs de Vladimir
Poutine ou ses contempteurs.
Transcription
Premier
extrait :
Texte original
(russe) :
http://kremlin.ru/news/46860
Traduction
(anglais) :
http://eng.kremlin.ru/news/23137
Version
française et vidéo :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
[...]
Journaliste
britannique SEUMAS MILNE
(retraduit depuis le Russe):
J’aimerais poser une double question.
Premièrement,
Monsieur le Président, pensez-vous que
les actions de la Russie en Ukraine et
en Crimée durant ces derniers mois
constituaient une réaction au fait que
les règles aient été violées, et donc un
exemple d’administration d’Etat sans
règles ? Et la seconde partie de ma
question est la suivante : la Russie
considère-t-elle ces violations
mondiales des règles comme un signal
pour changer sa position ? Il a été dit
ici même, ces jours-ci, que la Russie ne
peut pas être le leader dans la
situation mondiale actuelle. Cependant,
elle fait preuve des qualités d’un
leader. Comment répondriez-vous à cela ?
VLADIMIR POUTINE
: Puis-je vous demander de
reformuler la seconde partie de votre
question, s’il vous plaît ? Quelle est
précisément votre deuxième question ?
SEUMAS MILNE :
Il a été dit ici même que la Russie ne
peut pas aspirer à une position de
leadership dans le monde actuel, compte
tenu des circonstances survenues après
l’effondrement de l’Union soviétique,
mais qu’elle peut exercer une influence
décisive sur l’identité du leader.
Est-il possible que la Russie change sa
position, se réoriente, comme vous
l’avez noté à l’égard du Moyen-Orient et
des questions liées au programme
nucléaire de l’Iran ?
VLADIMIR POUTINE
: La Russie ne change jamais
d’orientation. Nous sommes un pays avec
une orientation traditionnelle qui met
l’accent sur la coopération et la
recherche de solutions communes. Voilà
le premier point.
Deuxièmement, nous ne prétendons
aucunement au leadership mondial. L’idée
que la Russie recherche une sorte
d’exclusivité ou d’exceptionnalisme est
totalement fausse. Je l’ai signalé dans
mon discours. Nous n’exigeons pas de
place spéciale sous le soleil, mais nous
agissons simplement sur la base selon
laquelle tous les participants au
dialogue international doivent respecter
les intérêts de chacun. Nous sommes
prêts à respecter les intérêts de nos
partenaires, mais nous attendons le même
respect pour nos intérêts.
Nous n’avons pas changé notre attitude à
l’égard de la situation au Moyen-Orient,
du programme nucléaire iranien, de la
crise nord-coréenne, de la lutte contre
le terrorisme et la criminalité en
général, du trafic de drogue. Nous
n’avons jamais modifié la moindre de nos
priorités, même sous la pression
d’actions hostiles de la part de nos
partenaires occidentaux, qui sont menés,
cela est manifeste dans les
circonstances actuelles et nous le
savons tous, par les États-Unis. Même
face à des sanctions, nous n’avons pas
changé de position.
Mais ici aussi, toute chose à ses
limites. Je présume qu’il est possible
que des circonstances extérieures
puissent nous contraindre à changer
certaines de nos positions, mais jusqu’à
présent, de telles situations extrêmes
ne se sont pas présentées, et nous
n’avons pas l’intention de changer quoi
que ce soit. Voilà pour la première
question.
L’autre point
concernait nos actions en Crimée. Je me
suis exprimé à ce sujet à plusieurs
reprises, mais s’il le faut, je peux me
répéter. Je vous renvoie au deuxième
paragraphe de l’article 1 de la Charte
des Nations Unies, relatif au droit des
nations à l’autodétermination. Tous ces
principes ont été consignés par écrit,
et non pas seulement en tant que droit à
l’autodétermination, mais comme le but
même de l’Organisation des Nations
Unies. Lisez attentivement l’article
pour voir ce qu’il dit.
Je ne comprends pas pourquoi les gens
qui vivent en Crimée n’auraient pas ce
droit, autant que les personnes qui
vivent, disons, au Kosovo. Cela a
également été mentionné ici. Pourquoi
est-ce que dans un cas, le blanc est
considéré comme blanc, et dans un autre
cas, le même blanc est déclaré noir ?
C’est complètement absurde, et nous
n’accepterons jamais cela. Voilà le
premier point.
Le deuxième point concernant ce sujet
est une chose extrêmement importante que
personne n’évoque, et sur laquelle je
tiens à attirer l’attention. Que
s’est-il passé en Crimée ? Tout d’abord,
un coup d’Etat a renversé le régime
légitime à Kiev. Quoi que les gens
puissent dire, c’est pour moi une
évidence : il y a eu une prise du
pouvoir par les armes.
Dans divers endroits du monde, des gens
ont accueilli ces événements avec
bienveillance, ne réalisant pas à quoi
cela pourrait mener, tandis que dans
d’autres régions, les populations
étaient terrifiées de voir que des
extrémistes, des nationalistes et des
gens d’extrême droite, y compris des
néo-nazis, s’étaient emparés du pouvoir.
Ces populations craignaient pour leur
avenir et pour leurs familles, et elles
ont réagi en conséquence. En Crimée, le
peuple a tenu un référendum.
Je souhaite attirer votre attention sur
cela. Ce n’est pas en vain que nous, en
Russie, disons qu’un référendum a été
organisé en Crimée. La décision de tenir
un référendum a été prise par l’autorité
représentative légitime de Crimée, à
savoir le Parlement de Crimée, élu il y
a quelques années selon la loi
ukrainienne, et avant tous ces graves
événements. Cette autorité légitime a
annoncé un référendum, puis sur la base
des résultats de ce référendum, tout
comme le Kosovo, ils ont adopté une
déclaration d’indépendance, puis ont
demandé à la Fédération de Russie
d’accepter la Crimée au sein de l’Etat
russe.
Vous savez, quoi qu’on puisse dire, et
quels que soient les efforts de
contorsion déployés pour agencer les
faits, il sera très difficile de récuser
ce point de vue, étant donnée la
formulation de la décision du tribunal
de l’ONU qui a clairement indiqué, au
sujet du précédent du Kosovo, que le
consentement du pouvoir suprême d’un
pays quant à la question de
l’autodétermination n’est pas
nécessaire.
Vous savez, dans de
telles situations, j’ai toujours aimé
évoquer ce que les sages d’antan
disaient. Rappelez-vous cette phrase
merveilleuse : ce qui est autorisé à
Jupiter n’est pas permis aux vaches.
Nous ne pouvons pas accepter une telle
approche. Peut-être que la vache ne sera
pas autorisée à faire telle chose, mais
je tiens à vous dire que l’ours ne se
donnera même pas la peine de solliciter
une quelconque autorisation.
Généralement, il est considéré comme le
maître de la taïga, et je sais de source
sûre qu’il n’a aucune intention de
migrer vers d’autres zones climatiques,
où il serait mal à l’aise. Mais il ne
laissera personne s’emparer de sa taïga.
Je crois que cela est clair.
Quels sont les défis de l’ordre
mondial actuel
? Soyons francs et explicites à
ce sujet,
nous sommes tous des experts.
Ici, nous parlons et nous parlons,
nous sommes comme des diplomates. Qu’est-il arrivé dans le monde ? Il y avait un
système bipolaire. L’Union soviétique s’est
effondrée, la
puissance qu’était l’Union
soviétique a cessé d’exister.
Toutes les règles régissant
la vie internationale après la Seconde
Guerre mondiale ont été conçues
pour un
système bipolaire. Il est vrai
que
l’Union soviétique était désignée
comme « la
Haute-Volta dotée
de missiles ».
Peut-être, mais elle avait
effectivement des tas de
missiles. De plus, nous avions
des personnalités politiques
aussi
brillantes
que Nikita Khrouchtchev, qui a
martelé le pupitre de
l’ONU avec sa chaussure, n’est-ce
pas ?
Et le monde entier,
principalement les
Etats-Unis et
l’OTAN, se disaient
: « Oh, il vaut mieux laisser ce Nikita tranquille,
ce fou serait capable de lancer
un missile, et ils en ont des tas, alors
il est préférable de les traiter avec
respect. »
Maintenant que l’Union
soviétique n’existe
plus, quelle
est la situation et quelles sont
les
tentations ? Nul besoin de
prendre en considération le point de vue
de la
Russie, qui est très affaiblie,
ayant subi des
transformations
lors de l’effondrement de l’Union
soviétique, et nous pouvons donc
faire ce que nous
voulons, bafouer
toutes les règles et toutes les
lois.
C’est
exactement ce qui se passe.
Dominique [de Villepin] ici
présent a
mentionné l’Irak,
la Libye, l’Afghanistan,
et avant cela
la
Yougoslavie. Est-ce que
tout cela a été géré
conformément au
droit international ? Vous voulez
nous faire avaler ces boniments ?
Cela signifie que certains
pourraient agir à leur guise et bafouer
toutes les lois, alors que
nous n’aurions même pas la
possibilité de
protéger les
intérêts vitaux de la population
russophone et russe en Crimée ?
Jamais de la vie !
Je voudrais que tout le monde
comprenne cela.
Il faut que nous nous
débarrassions de cette
tentation et de ces tentatives
de remodeler
le monde à notre convenance.
Nous devons construire un système
équilibré d’intérêts et de relations
qui est
préfiguré dans le monde depuis
longtemps,
et pour cela, il faut seulement
être respectueux.
Oui, comme
je l’ai déjà dit, nous sommes bien
conscients du fait que le monde a changé, et nous sommes prêts à le prendre en
considération et à ajuster ce système en
conséquence,
mais nous ne permettrons jamais à
quiconque de complètement ignorer nos
intérêts.
La
Russie prétend-elle à
un quelconque
leadership ? Nous n’avons pas
besoin d’être une
superpuissance,
non, cela ne serait qu’une charge
supplémentaire pour nous.
J’ai
déjà évoqué
la taïga :
elle est immense, inépuisable,
et rien que pour
développer nos territoires,
nous avons besoin de beaucoup de
temps, d’efforts et de ressources.
Nous n’avons
aucunement
besoin de nous ingérer ici ou là,
de donner des ordres et de
commander les autres,
mais nous voulons également que
les autres
ne se mêlent
pas de nos affaires et cessent de
se
poser en maîtres
du sort du monde entier. C’est tout. Et
s’il
y a un domaine dans lequel la
Russie pourrait être un leader, c’est
dans la défense des normes du droit international.
[...]
Deuxième
extrait :
Texte original
(russe) :
http://www.kremlin.ru/news/47250
Traduction
(anglais) :
http://eng.kremlin.ru/news/23406
Version
française et vidéo :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
[...]
ANTON VERNITSKY :
Anton Vernitsky, de la première chaîne
[de Russie]. Vladimir Vladimirovitch,
tous les problèmes actuels auxquels
notre économie est soumise ne
constituent-ils pas le prix à payer pour
notre action en Crimée ? Peut-être qu’il
est temps d’être honnête à ce sujet et
de le reconnaître.
VLADIMIR POUTINE : Non, ce n’est pas le
prix que nous devons payer pour la
Crimée. C’est en réalité le prix que
nous devons payer pour notre aspiration
naturelle à nous préserver en tant que
nation, en tant que civilisation, en
tant qu’Etat. Je vais vous expliquer
cela.
Comme je l’ai déjà
mentionné en répondant à la question de
votre collègue de NTV, après la chute du
mur de Berlin et l’effondrement de
l’Union soviétique (et je l’ai aussi
évoqué durant mon
Adresse à l’Assemblée Fédérale), la
Russie s’est complètement ouverte à nos
partenaires [occidentaux]. Quels en ont
été les résultats ?
Un soutien direct et total au terrorisme
dans le Caucase du Nord. Ils ont
directement soutenu le terrorisme, vous
comprenez ? Est-ce que c’est ainsi que
des partenaires se comportent,
normalement ? Je n’entrerai pas dans les
détails à ce sujet, mais c’est un fait
établi, connu et reconnu de tous.
Sur toute question,
quelles que soient nos actions, nous
devons toujours faire face à des
problèmes, à de l’opposition et même à
de l’antagonisme [de la part de nos
« partenaires » occidentaux].
Permettez-moi de vous rappeler comment
le pays se préparait pour les Jeux
olympiques de 2014, notre inspiration et
notre enthousiasme pour l’organisation
d’un événement festif non seulement pour
les amateurs de sport russes, mais pour
les fans de sport du monde entier.
Cependant, et c’est là un fait évident,
des tentatives sans précédent et
manifestement coordonnées ont été
orchestrées afin de discréditer nos
efforts pour organiser et héberger les
Jeux olympiques, et perturber leur
déroulement même. C’est un fait
évident ! Pourquoi ont-ils fait ça ? A
quoi cela servait-il ? Et je pourrais
multiplier les exemples indéfiniment.
Vous savez que durant la réunion du
forum de Valdaï, j’ai donné l’exemple de
notre symbole le plus emblématique, à
savoir celui d’un ours qui veille sur sa
taïga. Vous savez quel est le problème ?
En poursuivant cette analogie, je me dis
parfois qu’il vaudrait peut-être mieux
que notre ours se tienne à l’écart.
Peut-être qu’il devrait s’asseoir
docilement, arrêter de chasser les
sangliers et les marcassins à travers la
taïga et commencer à manger des baies et
du miel. Peut-être qu’alors on le
laissera tranquille ?
Mais non, on ne le
laissera jamais en paix, car il y aura
toujours quelqu’un qui s’efforcera de
l’enchaîner. Et dès qu’il sera couvert
de chaînes, ils lui arracheront les
dents et les griffes. Dans cette
analogie, je fais référence aux forces
de dissuasion nucléaire. Et une fois
qu’à Dieu ne plaise, cela se sera
produit et qu’ils n’auront plus besoin
de l’ours, ils vont immédiatement
s’emparer de la taïga.
Car nous avons entendu dire même par des
responsables haut placés, et à plusieurs
reprises, qu’il est injuste que la
Sibérie, avec ses immenses richesses,
appartienne entièrement à la Russie.
Pourquoi donc est-ce injuste ? Il serait
donc juste d’arracher le Texas au
Mexique, mais injuste que nous
exploitions notre propre territoire –
non, nous aurions le devoir de
partager ?!
Et ensuite, après que toutes les griffes
et les dents aient été arrachées, l’ours
ne sera plus d’aucune utilité. Peut-être
qu’ils l’empailleront, et ça sera fini.
Par conséquent, il
ne s’agit pas de la Crimée, mais du fait
que nous défendons notre indépendance,
notre souveraineté et notre droit à
l’existence. C’est ce dont nous devrions
tous prendre conscience.
Et si nous considérons que l’un de nos
problèmes actuels – y compris notre
économie à cause des sanctions – est
crucial, ce qui est le cas, car l’impact
des sanctions économiques représente 25
à 30 % de l’ensemble de nos problèmes...
Mais nous devons prendre une décision :
est-ce que nous souhaitons poursuivre de
l’avant et lutter, faire évoluer notre
économie pour le mieux, soit dit en
passant, car nous pouvons profiter de la
situation actuelle pour la retourner à
notre avantage, et faire en sorte que
notre structure économique devienne plus
indépendante, est-ce que nous voulons
passer par tout ce processus, ou est-ce
que nous voulons voir notre peau
accrochée sur un mur. C’est le choix que
nous devons faire, et cela n’a rien à
voir avec la Crimée.
[...]
Voir
également :
Vladimir Poutine :Discours à l’Assemblée
Fédérale (VOSTFR)
Tchétchénie : Kadyrov et 10 000 soldats
s'engagent au service de Vladimir
Poutine (VOSTFR)
Discours du Président Vladimir Poutine
sur l’intégration de la Crimée à la
Fédération de Russie – 18 mars 2014
Le choc des civilisations selon Vladimir
Poutine (VOSTFR)
Vladimir Poutine sur l’Ukraine et les
nouvelles sanctions US (VOSTFR)
Vladimir Poutine : histoire de
l’optimiste et du pessimiste (VOSTFR)
Le patriote russe et les saltimbanques
français: leçon de Vladimir Poutine à
Marine Le Pen, Eric Zemmour, etc.
(VOSTFR)
« Les Américains jouent au poker, les
Russes jouent aux échecs – et les
Français jouent au Monopoly »
Le
dossier Russie
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