Opinion
Les enseignements de "l'affaire
Dieudonné"
Vincent Gouysse
Lundi 14 avril 2014
Nous publions ci-dessous
l’analyse faite par un camarade
marxiste-léniniste de "l’affaire
Dieudonné". Elle sort des sentiers
battus et met en lumière les enjeux de
classe de la cabale menée par
l’oligarchie et ses valets
politico-médiatiques à l’encontre de
l’humoriste. Dieudonné représente une
menace sérieuse pour le pouvoir
bourgeois si l’on en croit la débauche
de moyens de toute nature – notamment
judiciaires et policiers – mis en oeuvre
pour le faire taire. Cette analyse fait
suite à celles déjà publiées sur ce
blog, auxquelles le lecteur pourra
utilement se référer.
Après une quinzaine
d’années passées loin de la scène
médiatique d’où il a été brutalement
excommunié après avoir commencé à
dénoncer le passé colonial de l’Occident
ainsi que l’influence du sionisme dans
le monde politique et des affaires,
l’humoriste Dieudonné M’bala M’bala est
aujourd’hui de nouveau projeté sur le
devant de la scène politico-médiatique.
Il faut dire qu’en
dépit du long et assourdissant silence
des médias officiels à son sujet,
l’humoriste engagé s’est en effet
lentement mais sûrement reconstitué un
public fidèle, malgré
l’image-épouvantail "d’antisémite" que
lui a forgé la presse bourgeoise.
Au cours de ces
années, le discours de l’artiste s’est
radicalisé et il a à plusieurs reprises
pris le contre-pieds des intérêts
fondamentaux des USA, de la France, de
l’Angleterre, etc., en dénonçant par
exemple les crimes commis
quotidiennement dans la plus totale
impunité par l’Etat israélien à l’égard
d’un peuple palestinien martyr, mais
aussi en exprimant son soutien aux
ennemis déclarés des puissances
impérialistes en déclin, à l’instar de
l’Iran d’Ahmadinejad entre autre.1
Parallèlement,
l’humoriste a poursuivi ses spectacles,
et en dépit du dénigrement systématique
dont il a fait l’objet, a vu ses salles
continuer à se remplir. Aujourd’hui,
chaque vidéo postée par Dieudonné sur sa
chaîne Youtube est visionnée au bas mot
un million de fois, chose de plus en
plus inadmissible pour l’ordre
bourgeois.
En effet, Dieudonné
véhicule la plus totale insoumission
vis-à-vis des médias officiels et des
politiciens au pouvoir. Ainsi, il
contribue à faire naître la défiance des
larges masses exploitées à leur égard. A
une époque où le fossé ne cesse de
s’approfondir entre les élus de la
"démocratie représentative" et le peuple
qu’ils sont censés représenter, le
discours de Dieudonné contribue à semer
les graines de la fronde sociale.
La cible de
Dieudonné ne se cantonne en effet pas à
la dénonciation de la politique
agressive des puissances impérialistes
dominantes, mais prend de plus en plus
la forme d’une ébauche de critique
radicale du système. Nous en citerons un
exemple concret dans sa vidéo intitulée
Dieudonné répond à François Hollande
datée du 21 décembre 2013 et vue pas
moins de deux millions de fois en une
quinzaine de jours.
Dans cette vidéo,
l’humoriste donne tout de suite le ton
en rappelant l’exercice d’allégeance et
d’humiliation concédée par "notre"
président au lobby sioniste à l’occasion
de son discours au diner annuel du CRIJF
(Conseil représentatif des institutions
juives de France) du 16 décembre
dernier.
« C’est toujours un
grand moment, déclarait François
Hollande, où l’opposition rêve
d’être à la table centrale et où la
majorité sait que c’est forcément pour
un temps précaire, alors que vous vous
êtes permanents dans l’institution ».
Pour achever
"notre" président, l’humoriste entonne
ensuite une petite chanson de sa
composition sur l’air d’un chant de la
résistance :
« François,
la sens-tu,
qui se glisse
dans ton cul ,…
la quenelle !? »
Et d’ajouter pour
enfoncer le clou :
« Alors
apparemment, il la sent, il la sent
François. Là je crois que si tu la sens
pas, c’est que tu as perdu tout sens
commun. Il faut que tu te fasses
opérer ».
Mais surtout, un
peu plus loin, ce sont les fondements
même du capitalisme, à savoir
l’esclavage salarié, que dénonce
Dieudonné.
« Alors évidemment,
le maître esclavagiste, le maître
banquier, c’est lui qui dirige tout dans
nos vies (…) C’est lui qui te réveille
le matin avec le réveil : "Allez, faut
aller bosser !" "Non, je veux pas." "Oui
mais t’es obligé, faut rembourser le
crédit, connard !" (…) Alors t’arrives
au boulot : "Allez, bosse, bosse, bosse
! (…) T’as fini, t’es fatigué, allez
rentre chez toi, allez, vas-y, allumes
ta TV, baise ta femme, mange, consomme."
Et si tu ne veux pas, tu es un mauvais
esclave. Et le maître esclavagiste, il
est même capable de dire (…) que t’es un
raciste. (…) Un mauvais esclave devient
très vite un raciste, c’est ça que j’ai
remarqué… »2
Dans sa dernière
vidéo datée du 31 décembre, elle aussi
déjà visionnée plus de deux millions de
fois, l’humoriste n’a pas manqué de
récidiver, après avoir naturellement
dénoncé les appels ─ très largement
relayés ─, du sioniste notoire Arno
Klarsfeld, à manifester contre la tenue
de ses spectacles afin de susciter des
"troubles à l’ordre public" qui
serviront… de prétexte aux préfets à
l’interdiction "légale" de ses
spectacles !3 Maniant avec
dextérité l’arme acérée de la dérision
dans une ambiance "zen" dédiée à
"l’apaisement" ─ une atmosphère pour le
moins loufoque au vu des circonstances
et du costume singulier endossé par
l’humoriste ─, Dieudonné conseilla à
celui qui a servi dans les rangs de
Tsahal de ne pas céder « à la haine et à
la violence » et de cesser de vouloir
« jouer les gros bras » et faire le
« casseur ».
« On n’est pas en
Israël, t’es plus en train de faire ton
service militaire. Là t’es revenu en
France, là faut quand même que tu te
conformes à certaines règles : on ne
peut pas demander aux gens d’aller se
bastonner. A jouer au con, à menacer
tout le monde, à provoquer tout le
monde, tu vas finir par te faire
défoncer ta p’tite gueule de p’tite
chatte d’appartement ».
Un peu plus loin,
après avoir dénoncé la manipulation
médiatique de ses propos à l’égard de
Patrick Cohen, l’humoriste ciblait un
ministre de l’Intérieur enclin à
« mettre de l’huile sur le feu ».
Finalement, pour montrer qu’il n’en a
pas qu’après les sionistes, Dieudonné
dénonçait habillement la politique du
"deux poids, deux mesures" dont est
coutumier le lobby politico-médiatique
bourgeois à l’égard de l’histoire, en
l’occurrence ici celle de l’esclavage.
« Vous vous rendez
compte qu’en Martinique, aujourd’hui, au
moment où on parle, vous savez que les
Békés, (…) ils représentent 1 % de la
population et ils ont 90 % des terres
agricoles, encore aujourd’hui. (…) Les
mecs ils ont fait toute leur fortune sur
le commerce des noirs et ils s’en font
encore plein les poches, et ils ont
passé la Révolution française, tout,
tout, tout… (…) Et c’est moi le raciste
! En plus ils ne se mélangent pas, parce
qu’ils sont pour la pureté de la race,
eux ils sont complètement dingues… (…)
[Aujourd'hui], l’esclave, il n’est pas
noir, et puis cette libération (…), elle
concerne tout le monde, c’est pas
seulement une histoire de négros. (…)
Parce qu’on est tous esclaves de ce
système, il faut qu’on se libère. (…)
Libérons-nous des Békés et des
banquiers, ce sont les mêmes ».4
La présentation du
dernier spectacle de Dieudonné intitulé
Le mur ─ dont la tournée est
aujourd’hui menacée d’interdiction par
la circulaire ministérielle du 6
janvier ─, permet de comprendre les
motivations réelles de ceux qui
cherchent à réduire au silence
l’humoriste et qui vont jusqu’à brandir
la menace de la fermeture de son
théâtre.5
« On y va droit
dedans et pourtant on est dos à lui,
alors plutôt que de se taper la tête
contre, faisons le mur ! Tirons-nous le
temps d’un spectacle de ce monde de
mensonge ! Rions ensemble, amis moutons,
de notre misérable condition d’esclave…
»6
Pour ne rien
"arranger", l’humoriste ne se contente
pas de dénoncer ces faits et de parler
assez "crûment" le langage de la lutte
des classes, mais appelle
quotidiennement à la résistance et à la
désobéissance civiles : « on s’est
libéré dans nos têtes », en popularisant
notamment le geste de la "quenelle". Ce
dernier est bien loin du "salut nazi
inversé" que mettent en avant les
exploiteurs pour diaboliser l’humoriste
! Il consiste tout simplement à
signifier au système ─ de façon certes
aussi peu "élégante" que "diplomatique"
─, qu’on "l’encule" bien profondément,
lui qui nous le rend quotidiennement si
bien…
La photographie qui
suit, représentant une des "quenelles"
qui a mis le feu aux poudres, est des
plus équivoques. On y voit le ministre
de l’Intérieur "quenellisé" à son insu
par un groupe de jeunes lors d’un
déplacement à Millau le 21 septembre
2013.7
La critique sociale
de Dieudonné ainsi que ses appels à
témoigner d’une forme de résistance sont
évidemment inacceptables pour l’ordre
bourgeois, car elles constituent les
prémices d’une critique radicale des
fondements du capitalisme : qu’il
s’agisse de l’Etat et des médias non
représentatifs des intérêts du peuple,
ou bien de l’esclavage salarié.
Or l’humoriste a
une audience de plus en plus large, en
dépit du black-out et de la vindicte
médiatique dont il est l’objet depuis
plusieurs années. C’est ainsi que les
exploiteurs, excédés de voir se propager
ce discours et ces pratiques bien peu
respectueuses à leur égard, somment
aujourd’hui l’attelage gouvernemental au
pouvoir de faire taire par n’importe
quel moyen l’artiste, tous les moyens
précédents, à l’instar des menaces et
des amendes ayant lamentablement échoué.
C’est ainsi que
notre sinistre de l’Intérieur a
dernièrement proposé rien de moins que
d’étudier les recours juridiques et
législatifs pour interdire les
spectacles de l’humoriste et le réduire
au silence. Chose à priori ardue de
l’avis des juristes. Ne reste donc plus
aux "élus" qu’a tenter de saboter
localement, aussi discrètement
qu’officieusement la tenue des
spectacles de l’humoriste, à l’instar
des mairies de Nancy et de Metz…8
En effet, les déclarations de Manuel
Valls ont à l’évidence été
contre-productives en offrant à
l’humoriste une campagne de publicité
gratuite, et il faudra donc opérer plus
souplement, "dans la coulisse" et au cas
par cas…
Il est important de
noter que sur les médias internet et la
chaîne vidéo de l’humoriste, les votes
et messages de soutien dépassent de très
loin ceux de ses détracteurs : les votes
de soutien à l’humoriste représentent
ainsi 85 % des 50 000 votes d’évaluation
aujourd’hui laissés sur ses vidéos
Youtube des 21 et 31 décembre.
Comme on le voit,
dès qu’il se sent menacé, l’ordre
bourgeois foule au pied les règles les
plus élémentaires de sa "démocratie
modèle" ! Ceci illustre le mépris
réel du démocratisme bourgeois pour
ses propres mots d’ordre de "liberté
d’expression" en période de crise
économique et de contestation sociale
croissante larvée.9
S’il est une chose
à retenir de "l’affaire Dieudonné" en
cours, c’est que la tentation croissante
du recours aux méthodes réactionnaires
héritées du fascisme se fait de plus en
plus sensible à mesure que la défiance
des masses populaires s’accroit à
l’égard du lobby politico-médiatique.
« Le maître
esclavagiste, soulignait Dieudonné
dans sa vidéo du 21 décembre, il est
en panique, vous le voyez, et donc, il
veut nous terroriser, et de manière
complètement illégale, vous vous
souvenez du discours de Valls ».
Mais, avertit
Dieudonné dans sa vidéo datée de la
veille du nouvel an, l’interdiction de
ses spectacles elle-même risque bien de
se révéler être une arme à double
tranchant pour ceux qui s’efforcent par
tous les moyens de le réduire au silence
:
« Il ne faut
surtout pas enlever le rire, parce que
c’est la soupape dans une société qui
est en crise. Laissez les gens rire ! »
Pour les
communistes, la critique et l’audience
de Dieudonné sont évidemment les
bienvenues, car elles constituent une
accroche potentielle à la critique
marxiste du capitalisme. La critique
sociale de Dieudonné a quelque chose de
sain quand elle replace au centre de la
problématique la question de l’esclavage
salarié, constituant ainsi un embryon de
la désaliénation des masses populaires.
Cette dernière représente en effet le
premier pas fait en direction du combat
pour leur émancipation économique,
sociale et politique du joug du Capital.
C’est évidemment
une abomination pour l’ordre bourgeois
qui l’a bien compris et qui par
conséquent cherche à abattre par tous
les moyens ce dangereux artiste (bien)
engagé.
Vincent Gouysse,
pour l’OCF, le 03/01/201410
Notes :
• 1 Cf.
Vincent Gouysse, Impérialisme et
anti-impérialisme, p. 403 et
Le Réveil du dragon, pp. 312-313
• 2 Ces
citations sont extraites de cette
vidéo
• 3
Dieudonné : Arno Klarsfeld appelle à
manifester contre ses spectacles,
RTL.fr,
02/01/2014
• 4 Ces
citations sont extraites d’ici
• 5
Dieudonné :
Filippetti n’exclut pas de fermer son
théâtre,
Le Parisien.fr,
06/01/2013
• 6
Fiche du spectacle "Le mur"
• 7
Source de la photo :
« Quenelle » de Dieudonné : Manuel Valls
piégé lors d’un déplacement,
Le Figaro.fr,
30/12/2013
• 8 Dieudonné :
Nancy et Metz demandent l’interdiction
de ses spectacles,
Huffingtonpost.fr,
02/01/2014
• 9 Cf.
Vincent Gouysse,
Les classes sociales sous l’impérialisme,
pp. 49 et 83.
• 10
Texte amendé le 06/01/2014, en
particulier avec des éléments de la
vidéo du 31/12/2013.
Le sommaire de Dieudonné
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