Tribune
Alexandre Benalla, pour tout l’or du
Tchad
Thomas Dietrich
Seconde audition
d’Alexandre Benalla au Sénat, à Paris ce
lundi.
Photo Albert
Facelly pour
Libération
Mercredi 23 janvier 2019
Alexandre Benalla, pour tout
l’or du Tchad, par Thomas Dietrich ,
écrivain, ex-haut fonctionnaire français
Quel était le
véritable objet du voyage de l’ancien
garde du corps du président Macron au
Tchad ? La question reste entière,
malgré l’audition de l’intéressé devant
une commission sénatoriale ce lundi.
C’est peut-être en direction de la
nouvelle manne du pays, l’or du Tibesti,
qu’il faut chercher la raison de cette
mission qui a suscité le scandale.
Alexandre
Benalla, pour tout l’or du Tchad
Tribune. Ils
s’appelaient Galmaye Derdimi et Hassan
Kelle Lony. Ce n’était pas des enfants
de chœur, loin de là. Il y a une dizaine
d’années, ils avaient participé aux
grandes rébellions qui, de l’est du
Tchad, avaient fondu sur la capitale,
N’Djamena. Leur rêve de gloire et de
richesse s’était brisé à 300 mètres du
palais présidentiel, sous le feu de
l’armée française venue à la rescousse
du potentat local, Idriss Déby. Après
l’éparpillement de la rébellion, ils
s’étaient retrouvés comme deux joueurs
plumés au arbatachar, le poker tchadien.
Alors, quand ils avaient appris
l’existence de gisements d’or au
Tibesti, cette immense région désertique
et montagneuse de l’extrême-nord, ils
n’avaient pas hésité. Avec leurs
dernières économies, ils avaient acheté
un peu de matériel artisanal, pas
grand-chose, juste de quoi extraire
quelques pépites. Comme des centaines
d’autres, ils s’étaient installés à
Kouri Bougoudi, une ville minière non
loin de la frontière tchado-libyenne.
Les conditions de vie y sont rudes. Le
vent souffle en rafales et le sable
griffe les visages. Le matin, un froid
mordant engourdit les corps, avant que
ne tombe une insoutenable chaleur, comme
un couvercle sur une casserole en fonte.
Il n’y a pas d’eau
à Kouri Bougoudi, l’or bleu est convoyé
par citernes et certains jours, quand le
ravitaillement n’arrive pas, il se
négocie presque plus cher que l’or
jaune. Mais tout de même, pour les deux
comparses, c’était le Pérou. Les pépites
se trouvaient là, à portée de main, il
ne fallait pas creuser bien profond pour
les dénicher et les vendre une petite
fortune. Et puis, il y eut cette aube
terrible du 13 septembre. Les
orpailleurs entendirent d’abord un bruit
au loin, un brassement d’air saccadé et
hypnotique, et quand ils comprirent
enfin que c’était des pales
d’hélicoptères, c’était déjà trop tard,
les aéronefs étaient entrés en action,
ils mitraillaient le camp des
orpailleurs, on les avait envoyés pour
tuer. Quand enfin les deux hélicoptères
s’éloignèrent, les survivants relevèrent
les corps sans vie de Galmaye Derdimi et
de Hassan Kelle Lony. Ils avaient
succombé à une attaque surprise de
l’armée tchadienne.
Au bord de la
faillite
Pour comprendre le
bombardement de Kouri Bougoudi mais
aussi la visite d’Alexandre Benalla au
Tchad, il faut revenir bien en arrière.
Le président tchadien Idriss Déby est
arrivé au pouvoir en 1990, avec l’appui
opérationnel de la DGSE. Déby, ancien
élève de l’Ecole de guerre à Paris,
s’est vite découvert des talents
d’autocrate, à tel point que le
magazine The Economist le
considère comme le pire dictateur du
continent africain. Pourtant, le
militaire aurait pu être une sorte de
Kadhafi sahélien et offrir à son pays
une prospérité que l’exploitation des
champs pétrolifères de Doba permet, en
théorie. Il n’en fut rien. Déby et son
entourage, principalement composé de
Soudanais issus du même clan zaghawa que
lui, ont fait main basse sur l’or noir,
comme le souligne un rapport de Swissaid
de 2017. La population, quant à elle,
continue de végéter dans la misère. Le
Tchad est actuellement classé 186e sur
189 à l’indice de développement humain
des Nations unies.
Mais ce qui
stupéfie encore davantage, c’est qu’à
l’heure actuelle, le régime tchadien ne
tire pratiquement plus aucun bénéfice de
l’exploitation de son pétrole, qui se
monte pourtant à 170 000 barils par
jour. La faute à un colossal imbroglio
qui oppose l’Etat à Glencore, sulfureux
négociant anglo-suisse en matières
premières. En 2014, Déby entend racheter
les parts de l’américain Chevron dans le
consortium qui exploite le pétrole
tchadien. Il emprunte alors
1,36 milliard de dollars (1,12 milliard
d’euros) à Glencore, qui doit se
rembourser «en nature», en prélevant une
part du pétrole exploité. Problème : le
prix du baril chute drastiquement dans
les mois qui suivent et les
hydrocarbures extraits ne suffisent plus
à couvrir les échéances de
remboursement ; d’autant que les caisses
publiques demeurent désespérément vides.
Selon les Panama
Papers, le clan au pouvoir aurait
détourné 10,76 milliards de dollars pour
les placer dans des paradis fiscaux.
Début 2018, le Tchad est au bord de la
faillite. Déby sabre le salaire des
fonctionnaires d’un tiers, mais il ne
récolte rien d’autre qu’une grève
générale. Glencore ne desserre pas
l’étau, réclamant un remboursement
immédiat de l’argent prêté. C’est alors
que la France vole encore une fois au
secours de Déby. Il faut dire que Paris
a de tout temps considéré le Tchad comme
sa chasse gardée. N’Djamena est le siège
de l’opération Barkhane et Déby a rendu
de bons et loyaux services dans la lutte
contre les jihadistes au Mali. L’ancien
employeur d’Emmanuel Macron, la banque
Rothschild, est missionné pour appuyer
l’Etat tchadien dans les négociations
avec Glencore. Le 23 février, au plus
fort de la contestation sociale, un
accord est trouvé. Le soldat Déby est
sauvé. Mais le coup est passé près.
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Impitoyable
répression
Dès lors, l’homme
fort du Tchad se met en quête d’autres
sources de revenus. Et un rapport du
Bureau de recherches géologiques et
minières (BRGM) va éveiller son intérêt.
Pendant trois ans, les experts de cet
organisme public français ont
cartographié les ressources minières de
l’ensemble du territoire. Dans la région
du Tibesti, ils ont découvert des
quantités incommensurables d’or. Certes,
depuis 2012, des orpailleurs creusaient
de manière artisanale les premières
couches du sous-sol mais personne ne
pouvait s’imaginer les trésors que la
terre aride du Tibesti contient en son
sein. Dès lors, la fièvre de l’or ne
quitte plus le Palais rose, la
présidence tchadienne. Mais avant que
des multinationales ne s’installent dans
les zones aurifères et ne puissent
exploiter de manière industrielle le
précieux métal, il faut chasser les
orpailleurs qui s’y sont installés.
C’est précisément à ce moment-là, en
août, que les bombardements de
l’aviation tchadienne commencent. Mais
les orpailleurs ne s’en laissent pas
compter et prennent les armes, s’alliant
avec les rebelles du CCMSR (Conseil de
commandement militaire pour le salut de
la République). La population Toubou,
elle aussi, se soulève, se fédérant en
comités d’autodéfense.
Des villes comme
Yebbibou ou Miski chassent l’armée
régulière de leurs murs. Il faut dire
que le Tibesti, malgré sa faible
population (environ 30 000 habitants),
est coutumier des insurrections. Et les
Toubou ne veulent pas être les grands
oubliés de la ruée vers l’or, réclamant
leur part du butin, mais aussi des
routes, des centres de santé, des
écoles, tout ce dont le pouvoir central
les a toujours privés. En face, le
régime répond par une impitoyable
répression. Au cours des mois de
novembre et décembre, l’aviation
tchadienne bombarde à de multiples
reprises la ville de Miski, ôtant
indistinctement la vie à des insurgés du
comité d’autodéfense mais aussi à des
femmes et des enfants. Un convoi de
mariage est même attaqué. Le 12 janvier,
des mercenaires soudanais sont envoyés
par le régime pour anéantir les derniers
orpailleurs de Kouri Bougoudi. Pour Déby,
il ne s’agit pas seulement de faire
taire des doléances économiques, mais
bien de procéder à ce que d’aucuns, sur
place, n’hésitent plus à qualifier
d’épuration ethnique. Quoi qu’il en
soit, le régime tchadien tente
désespérément de reprendre pied dans une
région qui l’inquiète de par ses
velléités insurrectionnelles et sa
proximité avec la frontière libyenne, un
véritable triangle des Bermudes en plein
désert où se croisent trafiquants,
mercenaires et rebelles.
Diplomatie de
l’ombre
Dans ce conflit
secret, l’armée française n’est jamais
loin. Ses drones fournissent aux forces
tchadiennes de précieux renseignements
sur les mouvements des comités
d’autodéfense dans une région qui ne
compte pas un seul jihadiste. La France
approvisionne en carburant l’armée
tchadienne, à hauteur de 4 millions
d’euros par an. C’est une information
officielle, connue. Ce qui est moins
rendu public, c’est que ce carburant
alimente certainement les hélicoptères
qui s’en vont massacrer des civils dans
le Tibesti. A Faya-Largeau, à un peu
moins de 500 kilomètres de la ligne de
front, un hôpital de campagne est tenu
par des médecins tricolores et les
blessés des forces régulières s’y font
soigner. Et l’on ne peut s’empêcher
d’établir un parallèle avec les heures
les plus sombres de la Françafrique,
lorsque Paris appuyait la répression des
insurgés camerounais de l’UPC ou le
génocide des Tutsis au Rwanda, quand
Paris oubliait d’être, selon la formule
de Clemenceau, «un soldat de
l’humanité» pour fermer les yeux sur
des crimes contre cette même humanité. Car
l’Elysée sait ce qui se passe au
Tibesti, il n’ignore rien de cette
sordide guerre de l’or auquel Alexandre
Benalla va se retrouver également mêlé.
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Hababou et Vincent Miclet : deux portes
d’entrée de la Françafrique de Benalla
Dans ce pan de
l’affaire, l’homme-clé n’est pas
l’ancien garde du corps de Macron mais
bien son nouveau mentor, Philippe
Hababou Solomon. L’homme d’affaires
israélien est un habitué du Palais rose,
où Déby le reçoit en ami. Et Hababou
Solomon le lui rend bien : il a
récemment joué les missi dominici pour
réconcilier le Tchad avec deux Etats. Le
Qatar tout d’abord, pour qui Hababou
Solomon travaille en tant que
consultant, cultivant sa proximité avec
la famille de l’émir Tamim al-Thani.
Israël, ensuite. Même si des mercenaires
liés au Mossad travaillent depuis 2006
au Palais rose où ils sont affectés à la
cellule d’écoutes téléphoniques, les
relations diplomatiques entre le Tchad
et l’Etat hébreu étaient rompues
depuis 1972. Le lien s’est reconstitué à
la faveur d’un séjour de Déby à
Tel-Aviv, fin novembre. A cette
occasion, le Premier ministre, Benyamin
Nétanyahou, a consenti d’importantes
ventes d’armes au président tchadien,
notamment des véhicules blindés RAM MK,
indispensables à la «pacification» du
Tibesti.
Fin novembre, moins
d’une semaine après le retour du
président tchadien en provenance
d’Israël, c’est au tour d’Hababou
Solomon d’atterrir à N’Djamena, en
compagnie d’Alexandre Benalla. La visite
est aussi courtoise qu’intéressée.
Hababou Solomon vient chercher sa
rétribution pour ses bons offices, sa
diplomatie de l’ombre au Qatar et en
Israël. La délégation de dirigeants de
la société turque Sur International qui
les accompagne et qui vient vendre des
uniformes militaires est un leurre, une
couverture. Hababou Solomon et Benalla
ont des ambitions de Rockfeller plutôt
que de fripiers. Au soir du 3 décembre,
Hababou Solomon annonce à Déby que des
investisseurs qataris proches de l’émir
sont prêts à se lancer dans l’extraction
de l’or du Tibesti.
Les Qataris ne sont
pas des néophytes en la matière.
En 2014, ils avaient déjà participé à
l’exploitation de l’or du Batha, une
région du centre du pays. Là, l’affaire
promet d’être encore plus juteuse. Le
montage est simple : une joint-venture
domiciliée en Turquie mais à capitaux
qataris, Barer Holding, doit
discrètement prendre le contrôle d’une
société fantôme, Sogem SA, qui dispose
déjà d’un agrément étatique pour
exploiter l’or depuis le 11 avril. Il
faut dire que la Sogem SA est contrôlée
en sous-main par des proches de Déby,
notamment son neveu et grand argentier,
Abderrahmane Mahamat Itno, alias «Bedey».
En échange, Barer Holding s’engage à
apporter la mise de fonds pour démarrer
l’exploitation aurifère. La
joint-venture pourra ensuite
s’approprier 65 % des bénéfices, 35 %
allant au clan Déby.
Atout maître
Dans la
négociation, l’ancien garde du corps
d’Emmanuel Macron a été plus qu’un
intermédiaire. Il s’est révélé atout
maître. Car Déby en est persuadé : en
s’adressant à Benalla, il parle à
l’oreille d’Emmanuel Macron. Est-ce
réellement le cas ? Emmanuel Macron
a-t-il fait de son ancien garde du corps
l’instrument d’une diplomatie
parallèle ? Pourtant, l’Elysée a
toujours affirmé tout ignorer de
l’équipée de Benalla en terre
tchadienne, passeports diplomatiques en
poche. Quoi qu’il en soit, les 22 et
23 décembre, le président français s’est
rendu à N’Djamena et a affiché un
soutien indéfectible à Déby. Sans un mot
bien entendu pour la tragédie qui se
déroule dans le nord, loin des caméras.
Pendant ce temps, la ville de Miski n’a
pas cessé d’être assiégée, Kouri
Bougoudi d’être un théâtre
d’affrontements et chaque matin sur les
montagnes acérées d’un Tibesti-martyr,
d’une région bientôt envahie par les
pelleteuses des multinationales de l’or,
se lève une aube encore plus rouge que
la veille.
Contactés par Libération, Alexandre
Benalla et Philippe Hababou Solomon
n’ont pas donné suite.
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