En 2011,
Alain Juppé pour la France et Ahmet
Davutoğlu pour la Turquie convenaient
secrètement de faire créer un Sunnistan
à cheval sur l’Irak et la Syrie (ce sera
la fonction de Daesh) et un
pseudo-Kurdistan afin d’y expulser les
Kurdes de Turquie. Leur projet était
soutenu par Israël et le Royaume-Uni.
Lundi 28 mars 2016
On ne sait pour le moment qui a
commandité les attentats de Paris et de
Bruxelles. Plusieurs pistes ont été
énoncées. Cependant, seule l’hypothèse
d’une opération décidée par la Turquie
est aujourd’hui étayée. Thierry Meyssan
relate le conflit secret qui hante les
relations entre l’Union européenne, la
France et la Turquie depuis cinq ans.
Il est trop tôt pour
désigner avec certitude le commanditaire
des attentats qui ont frappé Paris, le
13 novembre 2015, et Bruxelles, le 22
mars 2016. Cependant, pour le moment,
seuls les éléments que nous allons
exposer en fournissent une explication
raisonnable.
* * *
Juste après la mort du fondateur de
l’islamisme turc, Necmettin Erbakan, et
alors que venait de débuter le
« printemps arabe », le gouvernement
Erdoğan conclut un accord secret avec la
France. Selon un diplomate qui a étudié
ce document, il fixe les conditions de
participation de la Turquie aux guerres
contre la Libye (qui venait de
commencer) et contre la Syrie (qui
allait suivre). La France, représentée
par son ministre des Affaires étrangères
Alain Juppé, s’engage notamment à régler
la « question kurde » sans « porter
atteinte à l’intégrité du territoire
turc » ; une formule alambiquée pour
signifier que l’on créera ailleurs un
pseudo-Kurdistan et que l’on y expulsera
les membres du PKK. Ce projet de
nettoyage ethnique, qui n’est pas
nouveau, avait été jusque-là
exclusivement évoqué dans la littérature
militaire israélienne qui décrivait le
nouvel État à cheval sur la Syrie et
l’Irak.
Le 31
octobre 2014, François Hollande
raccompagne Recep Tayyip Erdoğan sur le
perron de l’Élysée. Un autre invité
vient de sortir discrètement par la
petite porte, le Kurde Salih Muslim.
Le 31 octobre 2014, le président
François Hollande profite d’une visite
officielle de Recep Tayyip Erdoğan à
Paris pour organiser une rencontre
secrète, à l’Élysée, avec le
co-président des Kurdes de Syrie, Salih
Muslim. Ce dernier, trahissant les
Kurdes de Turquie et leur leader
Abdullah Öcalan, accepte de devenir le
président du pseudo-Kurdistan qui
devrait être créé à l’occasion du
renversement du président
démocratiquement élu Bachar el-Assad.
C’est le moment de la bataille de
Kobané. Durant plusieurs mois, les
Kurdes syriens défendent la ville face à
Daesh. Leur victoire sur les jihadistes
va renverser l’échiquier politique : si
l’on veut vraiment combattre les
jihadistes, il faut s’allier aux Kurdes.
Or, les Kurdes syriens n’ont obtenus la
nationalité qu’au début de la guerre,
jusque-là ils étaient réfugiés
politiques turcs en Syrie, chassés de
leur pays lors de la répression des
années 80. Les États membres de l’Otan
considéraient alors le PKK, principale
formation kurde de Turquie, comme une
organisation terroriste. Désormais, ils
vont distinguer le mauvais PKK turc du
bon YPG syrien, bien que les deux
organisations soient sœurs.
À l’issue
de la bataille de Kobané, François
Hollande change de camp et marque son
soutien aux Kurdes en recevant à
l’Élysée, le 8 février 2015, une
délégation du YPG.
Coup de théâtre, le 8 février 2015,
la France revient sur son engagement
antérieur. François Hollande reçoit à
l’Élysée, officiellement cette fois, la
co-présidente des Kurdes de Syrie fidèle
à Öcalan, Asya Abdullah, et la
commandante Nesrin Abdullah en uniforme
léopard. Salih Muslim est absent de la
réunion.
Recep Tayyip Erdoğan réagit en
commanditant un attentat de Daesh à
Suruç contre une manifestation
pro-Kurdes, le 20 juillet 2015.
S’emparant de la rhétorique occidentale
anti-terroriste, il déclare alors la
guerre à la fois à Daesh et aux Kurdes,
mais n’utilise ses moyens militaires que
contre les derniers. Ce faisant, il met
fin au cessez-le-feu et relance la
guerre civile dans son propre pays. À
défaut d’un pseudo-Kurdistan en Syrie,
il provoquera l’exode des Kurdes vers
l’Europe.
Le 3 septembre 2015, la publication
de la photographie d’un enfant kurde
noyé marque le début d’une vaste vague
de migration depuis la Turquie, vers
l’Union européenne, principalement vers
l’Allemagne. Durant les premières
semaines, les dirigeants allemands se
félicitent de cet afflux massifs de
nouveaux travailleurs dont leur
industrie lourde a grand besoin, tandis
que les médias expriment leur compassion
pour les réfugiés qui fuiraient la
dictature syrienne. Plus encore, le 29
septembre, les dirigeants français et
allemands se saisissent de l’empathie
envers les migrants pour étudier la
possibilité de subventionner la
poursuite de la guerre en versant 3
milliards d’euros à la Turquie ; un don
que l’on présentera à l’opinion publique
comme une aide humanitaire pour les
réfugiés.
Fin septembre 2015, la Russie débute
son opération militaire contre les
jihadistes de tous poils. Recep Tayyip
Erdoğan voit ainsi s’évanouir son
projet. Il pousse alors Salih Muslim à
lancer une opération de kurdisation
forcée du Nord de la Syrie. Des brigades
kurdes expulsent les professeurs arabes
et assyriens des écoles et les
remplacent par des enseignants kurdes.
Les Syriens se révoltent et en appellent
aux Russes qui calment la situation, non
sans évoquer une possible fédéralisation
ultérieure de la Syrie. La France est
aux abonnés absents.
Le 13 novembre, la Turquie exaspérée
des revirements de François Hollande
prend la France en otage et commandite
des attentats à Paris, faisant 130 morts
et 413 blessés.
j’écrivais alors : « Les
gouvernements français successifs ont
noué des alliances avec des États dont
les valeurs sont à l’opposé de celles de
la République. Ils se sont
progressivement engagés à livrer des
guerres secrètes pour eux, avant de se
rétracter. Le président Hollande, son
chef d’état-major particulier le général
Benoit Puga, son ministre des Affaires
étrangères Laurent Fabius et son
prédécesseur Alain Juppé font
aujourd’hui l’objet d’un chantage dont
ils ne pourront sortir qu’en révélant
dans quoi ils ont fourvoyé le pays. » [1].
Terrorisé, Paris revient
précipitamment au plan Juppé de 2011.
Avec Londres, il fait adopter le 20
novembre la résolution 2249 par le
Conseil de sécurité. Sous couvert de
lutte contre Daesh, il s’agit de
justifier la conquête du Nord de la
Syrie pour y créer, enfin, ce
pseudo-Kurdistan où Recep Tayyip Erdoğan
pourra expulser « ses » Kurdes. Mais les
États-Unis et la Russie retoquent
légèrement le texte de sorte que la
France et le Royaume-Uni ne peuvent
intervenir sans y être invités par la
Syrie ; une situation qui n’est pas sans
rappeler l’opération coloniale manquée
de 1956, lorsque les troupes
franco-britanniques tentèrent d’occuper
le Canal de Suez avec le soutien
d’Israël et de la Turquie, mais durent
se retirer face aux froncements de
sourcils des États-Unis et de l’URSS.
Durant les cinq mois et demi de
l’intervention russe en Syrie, les
relations turco-russes ne cessent de se
dégrader. L’attentat contre le Vol 9268
Metrojet dans le Sinaï, les accusations
de Vladimir Poutine au sommet du G20 à
Antalya, la destruction du Sukhoï-24 et
les sanctions russes contre la Turquie,
la publication des photographies
aériennes de la noria de camion-citernes
acheminant le pétrole volé par Daesh à
travers la Turquie, etc. Après avoir
envisagé d’entrer en guerre contre la
Turquie, la Russie décide finalement de
jouer plus subtilement et de soutenir le
PKK contre l’administration Erdoğan.
Sergeï Lavrov parvient à convaincre son
partenaire états-unien de profiter de la
déstabilisation à venir de la Turquie
pour organiser un renversement du
dictateur Erdoğan. Le régime turc, qui
se sait menacé à la fois par la Russie
et les USA, tente de se refaire des
alliés. Le Premier ministre Ahmet
Davutoğlu se rend le 5 mars à Téhéran,
tandis que le ministre des Affaires
étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif,
se déplace à Ankara, le 18 mars. Mais la
République islamique n’entend pas se
brouiller avec les deux Grands.
Le 14 mars, Vladimir Poutine annonce
le retrait des bombardiers russes, le
projet du pseudo-Kurdistan redevient
donc possible. Mais Moscou et Washington
prennent un coup d’avance : ils
commencent à livrer indirectement des
armes au PKK.
Manque de chance, cette fois, c’est
l’Union européenne qui ne veut plus
entendre parler de colonisation du Nord
de la Syrie. La majorité des
États-membres suit la politique
étrangère imposée par Paris depuis cinq
ans, avec l’absence de succès que l’on
connaît. Pour marquer leur énervement,
plusieurs États, dont la Belgique, ont
accordé l’asile politique à des leaders
kurdes turcs. Ils manifestent leur
mauvaise humeur lors du sommet
UE-Turquie des 17 et 18 mars au cours
duquel ils sont contraints d’adopter
définitivement la subvention de 3
milliards d’euros annuels à Ankara.
Je dénonçais alors le comportement
des élites européennes qui, aveuglées
par leur obsession anti-syrienne,
reproduisaient la même erreur qu’en
1938. À l’époque, obsédées par leur
anti-communisme, elles avaient soutenu
le chancelier Hitler lors de l’annexion
de l’Autriche et lors de la crise des
Sudètes (accords de Munich), sans se
rendre compte qu’elles armaient le bras
qui allait les frapper [2].
Durant le sommet UE-Turquie, et donc
indépendamment des décisions qui y
furent prises, le président Erdoğan
prononce un discours télévisé à
l’occasion du 101ème anniversaire de la
bataille de Çanakkale (« la bataille des
Dardanelles » ; la victoire de l’Empire
ottoman sur les Alliés) et en mémoire
des victimes de l’attentat perpétré à
Ankara quelques jours plus tôt. Il
déclare :
« Il n’y a aucune raison que la bombe
qui a explosé à Ankara, n’explose pas à
Bruxelles ou dans une autre ville
européenne (…) Là, je lance un appel aux
États qui leur ouvrent les bras qui,
directement ou indirectement,
soutiennent les organisations
terroristes. Vous nourrissez un serpent
dans votre lit. Et ce serpent que vous
nourrissez peut à tout moment vous
mordre. Peut-être que regarder des
bombes qui explosent en Turquie sur vos
écrans de télévision ne signifie rien
pour vous ; mais quand les bombes
commenceront à exploser dans vos villes,
vous comprendrez certainement ce que
nous ressentons. Mais alors, il sera
trop tard. Arrêtez de soutenir des
activités que vous ne tolérez jamais
dans votre propre pays, sauf
lorsqu’elles sont contre la Turquie. » [3].
Quatre jours plus tard, des attentats
frappent Bruxelles, faisant 34 morts et
260 blessés. Et pour que l’on ne pense
pas à une coïncidence, mais bien à un
acte délibéré, la presse turque du
lendemain se réjouit de la punition
infligée à la Belgique [4].
Depuis que le président Erdoğan a
relancé la guerre civile, elle a coûté
la vie à plus de 3 500 personnes en
Turquie.
Articles sous licence creative commons
Vous pouvez reproduire librement les
articles du Réseau Voltaire à condition
de citer la source et de ne pas les
modifier ni les utiliser à des fins
commerciales (licenceCC BY-NC-ND).
Abonnement newsletter:
Quotidienne -
Hebdomadaire
Les avis reproduits dans les textes
contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs.
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance
du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org