Opinion
Soraya Hélou
Jeudi 23 janvier 2014
On ne l'espérait plus, tant l'opposition
syrienne s'était fait tirer l'oreille,
mais la conférence de Genève 2 s'est bel
et bien ouverte hier à Montreux. Le
moment est sans doute solennel et reste
porteur d'espoir, surtout pour les
Syriens en Syrie ou dans les pays
d'accueil qui le suivent avec émotion.
S'il est vrai que nul ne peut s'attendre
à grand-chose dans le contexte régional
et international actuel, l‘élément
positif de cette conférence est sans
conteste la reconnaissance par le monde
entier que la solution ne peut être que
politique. L'autre élément positif c'est
la participation officielle d'une
délégation du régime syrien présidée par
le ministre des Affaires étrangères
Walid Moallem, qui apparaît comme une
reconnaissance de son rôle dans l'avenir
de la Syrie, surtout après l'opposition
d'abord des Etats-Unis et de la France
et ensuite de l'Arabie saoudite et de
ses protégés au sein de l'opposition, à
une telle participation.
C'est d'ailleurs en victorieux, mais
soucieux du sort de son pays, que le
ministre Moallem s'est adressé aux
représentants des 30 pays invités à
la Conférence de Genève, prenant
largement son temps pour exposer la
situation et les origines du
conflit, dénonçant les parties
arabes et étrangères qui ont
contribué, sinon causé, à ce bain de
sang et rappelant que la solution ne
peut être que syrienne et elle passe
par une lutte généralisée contre ce
terrorisme à visage islamique qui
ravage la Syrie. Théoriquement, les
intervenants avaient un droit de
parole de 7 minutes qui pouvait être
prolongé jusqu'à dix. le ministre
russe des Affaires étrangères n'a
parlé que 5 minutes, et le
secrétaire d'Etat américain 7
minutes exactement, mais Walid al
Moallem a parlé pendant 35 minutes.
Au secrétaire général des Nations
Unies qui le rappelait à l'ordre à
l'aide d'une sonnerie qu'il avait
justement installée pour limiter le
temps de parole, il a répondu
sèchement : «vous vivez à New York.
Nous sommes sur le terrain en
Syrie». Autrement dit, il faut nous
laisser parler et surtout nous
écouter puisque c'est nous qui
recevons les coups et c'est notre
pays qui est détruit. Sans la
moindre complaisance, et dans un
langage somme toute bien peu
diplomatique, Walid Moallem a
raconté les méfaits et les horreurs
commises par les factions de
l'opposition qui, selon lui, ont
apporté la honte à la Syrie, à
travers la barbarie de leur action,
mais aussi parce qu'elles ont trahi
leur pays, en acceptant l'aide de
l'étranger, son argent et ses
combattants pour détruire leur
propre pays. Cet homme à la longue
carrière diplomatique (il avait été
ambassadeur de son pays à
Washington) n'avait pas habitué ses
interlocuteurs à exprimer ses
sentiments. Il était au contraire
connu pour son pragmatisme, voire sa
froideur. Mais devant les
délégations participant à la
Conférence de Genève 2, il a parlé
avec émotion des souffrances du
peuple syrien dues à la volonté de
certains pays voisins d'en changer
le régime. Il a développé les
horreurs commises par les
combattants takfiristes qui
cherchent à détruire le tissu social
syrien et les composantes de l'Etat
en se battant sous la bannière de
l'opposition. Et, sans prendre des
gants, il a ouvertement accusé les
dirigeants saoudiens, qatariens et
turcs d'avoir attisé le feu en
Syrie, sans atteindre toutefois leur
objectif, à cause de la solidité du
régime syrien, de la cohésion de
l'armée et du soutien de la
population, toutes confessions
confondues. Walid Moallem a parlé en
position de force, car même les
protagonistes de Genève sont obligés
de reconnaître les avancées des
forces du régime sur le terrain, sur
tous les fronts, de Qalamoun à
Damas, jusqu'à Alep. Les forces du
régime apparaissent donc plus
cohérentes que jamais face à une
opposition qui se déchire et qui,
dans les régions passées sous son
contrôle, n'a pas réussi à
convaincre les Syriens en leur
donnant un modèle de pouvoir
milicien, barbare et sans la moindre
vision d'avenir.
Au point que cette opposition, en
abritant dans ses rangs les groupes
les plus extrémistes du monde, venus
des quatre coins de la planète est
devenue une menace pour les pays
d'Occident, en tête la France,
l'Allemagne, la Belgique et la
Grande Bretagne. Les Européens
reconnaissent eux-mêmes avoir 2500
combattants en Syrie, dont 550
Français (une grande partie d'entre
eux sont des mineurs) de l'aveu même
du ministre français de l'Intérieur
Manuel Valls. Et ces pays commencent
à appréhender sérieusement le retour
de ces combattants dans leurs pays
afin d'y mener des attaques
terroristes. C'est pourquoi la
plupart d'entre eux a repris contact
avec les forces du régime dans une
tentative de coopérer en vue du
règlement de ce problème grave.
Toutes ces données en mains, Walid
Moallem a donc parlé appelant les
délégations présentes à se rallier
autour des forces du régime syrien
pour former une large coalition
contre le terrorisme takfiriste
aveugle et barbare. Ce thème ne peut
laisser personne indifférent, même
ceux qui sont hostiles au régime
syrien. Et l'appel de Moallem a
résonné longtemps dans la salle de
conférences de Montreux, bien après
que le ministre syrien ait achevé
son discours. Dans ce contexte, les
appels à la chute du régime «pour
cause de répression féroce» lancés
par le chef de la délégation de
l'opposition Ahmed al Jarba et par
son parrain, le ministre saoudien
des Affaires étrangères l'émir Séoud
al Fayçal semblaient complètement
décalés, voire hors sujet. Si le
régime s'en va aujourd'hui, qui
parviendra à endiguer les
takfiristes ? D'autant que depuis
bientôt un mois, le Front islamique
qui regroupe, avec l'argent
saoudien, des factions de
l'opposition, tente d'éliminer Daech
(créée avec les mêmes fonds mais
devenue encombrante) sans y
parvenir... Que serait-ce alors si
le régime syrien disparaissait ?
Même l'occident ne veut même pas y
penser. C'est dire combien les
choses ont évolué depuis le
déclenchement de la crise
syrienne... A Montreux, tout ce qui
se dit n'est donc pas réalité. Il
s'agit plutôt d'une mise en scène
pour sauver la face des perdants.
Seul Moallem a parlé au nom du
peuple syrien et ce peuple, l'a
justement entendu.
Source : Al-Ahednews
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