Alahed
La lutte de clans s’intensifie chez les
Saoud
Samer R. Zoughaib
Photo:
D.R.
Mercredi 29 avril 2015
Le roi d'Arabie saoudite,
Salmane ben Abdel Aziz, a écarté, mardi
soir, le prince héritier et le ministre
des Affaires étrangères dans le cadre
d'un vaste remaniement destiné à
raffermir l'emprise de son clan sur les
rênes du pouvoir, au détriment des
autres courants de la dynastie des Saoud.
Dans un décret royal
pris mardi soir et rendu public mercredi
matin, le roi Salmane ben Abdel Aziz,
intronisé il y a trois mois seulement, a
procédé à de vastes changements à la
tête du royaume. Il a remplacé son
héritier au trône, le prince Moqren ben
Abdel Aziz, par le ministre de
l'Intérieur Mohammad ben Nayef (55 ans),
qui était jusqu'ici deuxième dans
l'ordre de succession. «Nous avons
décidé d'accepter sa demande d'être
relevé de sa fonction de prince
héritier», a indiqué le palais royal.
Moqren a aussi été relevé de son poste
de vice-Premier ministre. Mohammad ben
Nayef a été également désigné
vice-Premier ministre et conservera ses
fonctions de ministre de l'Intérieur,
selon le décret.
Par un autre décret royal, le souverain
saoudien a nommé l'un de ses fils, le
prince Mohammad ben Salmane,
vice-héritier, ce qui le place second
dans l'ordre de succession au trône.
Mohammad ben Salmane conserve ses
fonctions de ministre de la Défense et
de président du Conseil économique et de
développement, un organe de coordination
créé par son père, et qui lui permet
d'avoir la haute main sur la politique
économique de l'Etat.
Le timing de ces changements est très
significatif. La nomination de Mohammad
ben Nayef au poste d'héritier a été
précédée par l'annonce par les autorités
saoudiennes, cette semaine, du
démantèlement de cellules de
l'organisation terroriste «Etat
islamique» et de l'arrestation d'une
centaine de leurs membres. Le nouveau
prince héritier, qui est également
ministre de l'Intérieur, vient donc
auréolé de cet «exploit» dans la lutte
contre les extrémistes, ce qui est
susceptible de renforcer sa légitimité
aux yeux des Américains. Mohammad ben
Nayef est connu pour sa «cruauté», selon
les confidences faites par l'ancien
Premier ministre libanais, Saad Hariri,
aux responsables américains, selon les
révélations de Wikileaks.
L'«impitoyable» Mohammad ben
Salmane
Pour propulser son
fils Mohammad au second rang dans la
succession au trône, le roi Salmane
s'est servi du sang des Yéménites, versé
abondamment par son aviation depuis plus
d'un mois. En sa qualité de ministre de
la Défense, Mohammad ben Salmane est
considéré comme le principal artisan de
cette guerre. L'âge de ce prince est un
mystère. Il aurait entre 27 et 30 ans,
et serait le fils ainé de roi de sa
troisième épouse. Mais il a plusieurs
demi-frères plus âgés, ce qui ne
manquera pas d'attiser les jalousies au
sein de la famille royale.
Lorsque le leader de la révolution
iranienne, l'ayatollah Ali Khamenei, a
qualifié, dans un discours le 9 avril,
les nouveaux dirigeants de l'Arabie
saoudite de «jeunes inexpérimentés», il
faisait sans doute allusion, entre
autres, à Mohammad ben Salmane. Depuis
l'accession de son père au trône, ce
prince a été propulsé à une vitesse
vertigineuse aux plus hautes sphères du
pouvoir. Pourtant, il n'a occupé que des
fonctions de second plan. Il était
responsable du cabinet de son père
lorsque ce dernier était prince
héritier. Puis d'un coup, il a été nommé
ministre de la Défense, chef du cabinet
royal, président du Conseil du
développement économique, taillé sur
mesure, et membre du Conseil des
affaires de sécurité, un autre
organe-clé de décision. Occupant le
devant de la scène depuis le début de
l'agression contre le Yémen, le 26 mars
dernier, il a même éclipsé son cousin,
Mohammad ben Nayef. En l'espace de
quelques jours seulement, on l'a vu à
Bahreïn pour inviter le roi Hamad Al
Khalifa à Riyad, puis au Caire pour des
entretiens avec le président Abdel
Fattah al-Sissi. Pendant ce temps, les
médias Arabie ont montré des photos de
lui lors de réunions séparées avec le
commandant du CentCom américain, le
général Lloyd Austin III, l'ambassadeur
des Etats-Unis à Riyad, Joseph Westphal,
et l'ancien Premier ministre britannique
Tony Blair.
Simon Henderson, spécialiste des pays du
Golfe au «Washington Institute For Near
East Political Studies», affirme que
Mohammad ben Salmane s'est forgé la
réputation de politicien «impitoyable».
Lorsque Salmane est devenu ministre de
la Défense, fin 2011, le prince a
utilisé sa fonction de chef du cabinet
de son père pour écarter plusieurs
vice-ministres de la Défense, occupé par
quatre princes différents entre avril
2013 et juin 2014. De même, en tant que
président du Conseil du développement
économique, il est jugé responsable du
limogeage des ministres du Logement et
de Santé, ces deux derniers mois.
Le Conseil d'allégeance ignoré
Le vaste remaniement
opéré par le roi Salmane traduit une
lutte de clans au sein de la dynastie
des Saoud. Les changements décidés mardi
ont pour but, entre autres, de renforcer
le contrôle de la branche Soudairi de la
famille royale, qui avait perdu en
influence sous le roi Abdallah.
D'ailleurs, avant de procéder à ces
changements, Salmane a pris soin
d'éloigner de Riyad la puissante Garde
nationale, formé de membres de tribus
fidèles aux Saoud, présidée par le
prince Metheb ben Abdallah. Le roi a
ordonné à la Garde de se déployer à la
frontière avec le Yémen, ce qui
transforme Metheb de prétendant au
trône, comme le souhaitait son père
Abdallah, en simple garde-frontière.
Salmane a également écarté la branche
des Fayçal, en remerciant le ministre
des Affaires étrangères Saoud al-Fayçal,
en poste depuis 40 ans, pour le
remplacer par un fonctionnaire, Adel al-Jubair,
ambassadeur saoudien à Washington.
Ce remaniement marque aussi l'échec de
la tentative orpheline
d'institutionnaliser la succession au
trône, afin d'éviter des dissensions au
sein de la famille.
Le «Conseil d'allégeance», créé en
octobre 2006 par le roi Abdallah pour
assurer une transition en douceur,
n'existe vraisemblablement plus que sur
les papiers d'archives. Constitué de 35
princes et présidé par le doyen des
Saoud, le prince Mechaal ben Abdel Aziz,
ce conseil avait pour rôle de désigner
le prince héritier à la majorité de ses
membres. Le décret royal d'octobre 2006
stipule qu'«à la mort du roi, le Conseil
tient une réunion d'urgence pour
déclarer le prince héritier roi». Le
nouveau souverain est alors tenu de
proposer au Conseil, dans un délai de
dix jours, ses candidats au poste de
prince héritier ou de demander au
Conseil de proposer ses propres
candidats à ce poste dans le même délai.
Evidemment, tous les changements opérés
par le roi Salmane l'ont été à l'insu de
ce conseil fantomatique. Abdallah a
d'ailleurs été le premier à ne pas
respecter les règles qu'il a lui-même
décrétées, puisqu'en juin 2012, il a
choisi son demi-frère Salmane comme
prince héritier, sans en référer au
Conseil d'allégeance.
Pendant ce temps, la population
saoudienne, complètement tenue à l'écart
du partage du pouvoir au sein de la
famille des Saoud, a été appelée, par le
roi Salmane, à «faire allégeance» dès ce
mercredi aux princes Mohammad ben Nayef
et Mohammad ben Salmane.
Au royaume des Saoud, le temps semble
s'être figé au Moyen-âge.
Source :
French.alahednews
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