Alahed
Riyad vs Washington: la relation n’est
plus spéciale
Samer R. Zoughaib
Samedi 23 avril 2016
La visite du président américain Barak
Obama à Riyad, pour assister au sommet
du Conseil de coopération du Golfe
(CCG), a montré le fossé grandissant
entre les Etats-Unis et l’Arabie
saoudite. Les divergences se multiplient
entre les deux pays et les experts
n’hésitent plus à parler de la fin d’une
relation spéciale.
Ce n’est pas un hasard que
Barak Obama ait accordé une longue
interview au magazine américain The
Atlantic, publiée dans son édition
d’avril, quelques jours seulement avant
son voyage en Arabie saoudite. Dans cet
entretien, le locataire de la Maison
Blanche expose au journaliste Jeffrey
Goldberg sa «doctrine», et ne manque pas
de critiquer très sévèrement la plupart
de ses alliés. La monarchie wahhabite et
les émirats pétroliers du Golfe
n’échappent pas aux foudres d’Obama. Il
rudoie vertement l’Arabie saoudite, qui
doit, selon lui, apprendre à «partager»
sa région avec l’Iran. Il ajoute que la
rivalité entre les deux pays «a
contribué à alimenter les guerres par
alliés interposés et le chaos en Syrie,
en Irak et au Yémen». Il s’est également
plaint auprès d’amis et de conseillers,
de ces alliés au Moyen-Orient «qui
cherchent à exploiter la ‘puissance’
américaine pour leurs propres visées
étroites et sectaires», écrit le
magazine.
Ces propos expriment le fond de la
pensée d’Obama à l’égard du royaume des
sables, et illustre le peu de respect
que lui inspirent ses dirigeants et le
modèle rétrograde qu’ils défendent dans
le monde.
Un
accueil glacial à Riyad
Les Saoudiens savent
pertinemment ce que pense d’eux le
président américain et ils ont voulu le
lui montrer, en lui réservant un accueil
glacial. Le roi Salman n'était pas
présent, mercredi, sur le tarmac de
l'aéroport pour l'accueillir, et
l'arrivée du président américain n'a pas
été retransmise en direct à la
télévision nationale, comme c'est
pourtant l’usage lors de la visite d'un
dirigeant étranger de haut rang.
Les Etats-Unis et l’Arabie saoudite sont
en désaccord sur de nombreux dossiers au
Moyen-Orient. Pour Washington, la
priorité des priorités doit être la
lutte contre les groupes terroristes et
la stabilisation des conflits régionaux,
que ce soit en Syrie, en Irak, ou encore
au Yémen. Pour la dynastie des Saoud,
toutes ces questions sont secondaires et
la seule préoccupation, devenue
obsessionnelle, est l'Iran. C’est pour
cela que l’Arabie saoudite s’est
ouvertement opposé à l’accord sur le
nucléaire entre Téhéran et les grandes
puissances, et a exercé un lobbying
agressif aux Etats-Unis pour tenter de
le faire échouer. Les Saoudiens étaient
tellement obsédés par les négociations
sur le nucléaire que le roi Salman
n'avait pas jugé bon de participer à un
sommet qui avait réuni les dirigeants du
Golfe à Camp David, en mai 2015, pour
leur exposer la vision américaine.
Pascal Boniface, le directeur de
l'Institut de relations internationales
et stratégiques (Iris) à Paris, explique
que les Saoudiens «pensent que
l’alliance conclue avec les Américains
est en train de se dissoudre ou de
s’étioler, notamment du fait du
rapprochement des Etats-Unis avec l’Iran
après l’accord sur le programme
nucléaire. Il y a une crainte d’être
abandonné au profit des Iraniens, à un
moment où les Américains ont moins
besoin du pétrole saoudien et où les
Saoudiens ont des doutes sur la nature
de l’engagement des Américains après,
selon eux, le lâchage par les Etats-Unis
du président égyptien en 2011».
«Les bons vieux jours» sont terminés
L'ancien chef du
renseignement saoudien, le prince Turki
al-Fayçal, a déclaré que «les bons vieux
jours» de l'alliance historique entre
les Etats-Unis et l'Arabie saoudite
étaient terminés, et que la relation
bilatérale devrait être «recalibrée».
«Nous ne pouvons pas compter sur un
retour aux bons vieux jours
d'autrefois», a-t-il dit.
Lors de ce voyage, Obama était censé
«rassurer» l’Arabie saoudite. Mais ses
déclarations à Riyad prouvent que rien
n’a changé dans sa vision. Il a ainsi
appelé les pays Golfe à ouvrir une
nouvelle page avec Téhéran et à trouver
des terrains d’entente, affirmant que
«personne n’a intérêt à l’éclatement
d’un conflit avec l’Iran». Il a certes
critiqué la politique iranienne «dans la
région», mais ses propos étaient surtout
destinés à caresser les Saoudiens dans
le sens du poil, car il a clairement
signalé que la priorité doit aller à la
«lutte contre le terrorisme». C’est
d’ailleurs dans ce cadre qu’il a placé
la poursuite de la coopération militaire
et sécuritaire avec l’Arabie saoudite.
La détérioration des relations entre les
deux pays n’est pas due à l’humeur du
président américain actuel. Il s’agit
d’une tendance de fond aux Etats-Unis,
qui se renforce tous les jours
davantage. Le candidat Donald Trump a
ainsi déclaré, jeudi, que «sans la
protection de l’Amérique, l’Arabie
saoudite ne survivrait pas une semaine».
Le
rôle saoudien dans le 11 septembre
La grogne contre le royaume
wahhabite a atteint le Congrès
américain, traditionnellement soucieux
de sauvegarder les relations historiques
de Washington avec ses alliés. Le
Congrès est ainsi saisi d’un projet de
loi qui permettrait aux Américains de
poursuivre le gouvernement saoudien,
s'il est prouvé que certains de ses
responsables sont impliqués dans les
attentats du 11 septembre.
Ce projet de loi intervient alors que le
débat sur l’opportunité de la
publication d’une partie classifiée du
rapport sur les attentats terroristes de
2001 a repris de plus belle et a même
atteint la Maison Blanche. Ce fameux
rapport de 800 pages a été préparé par
la Commission bipartisane et publié en
2003. La quasi-totalité du document est
accessible au public, sauf le dernier
chapitre de 28 pages, qui a été
immédiatement classifié pour des raisons
de sécurité nationale.
Les auteurs du projet de loi affirment
que cette information fera la lumière
sur le rôle du royaume wahhabite dans la
préparation des attaques contre le World
Trade Center à New York et le Pentagone.
L’enquête prouve que plusieurs des 14
kamikazes saoudiens du 11 septembre
avaient reçu de l’argent de plusieurs
consulats saoudiens aux Etats-Unis et
parfois même de membre de la famille
royale.
Il est clair que le pacte conclu entre
le président Roosevelt et le roi Abdel
Aziz Ibn Saoud à bord du navire
américain USS Quincy, n’existe
pratiquement plus. L'Arabie saoudite
n’est plus l’allié stratégique pour
lequel les Etats-Unis sont prêts à mener
des guerres. C’est pour cela que les
Saoud se cherchent de nouveaux amis et
espèrent trouver en «Israël» le
protecteur de leur trône.
Source:
french.alahednews
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