Alahed
Le «Nouveau Moyen-Orient» ne sera pas
américain
Samer R. Zoughaib
Samedi 17 octobre 2015
L'engagement militaire de la Russie en
Syrie tourne définitivement la page de
l'unilatéralisme américain, qui a
caractérisé les relations
internationales depuis l'effondrement de
l'Union soviétique. Les conséquences de
ce changement stratégique se feront
ressentir sur tous les dossiers dans la
région et dans le monde.
En fin stratège, Vladimir
Poutine a su choisir les bons arguments
et le moment propice pour s'engager
militairement en Syrie. Il a placé son
intervention dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme, qui a frappé, en
premier lieu, des pays de l'Occident en
général et de l'Europe de l'Ouest en
particulier (Etats-Unis -attentat de
Boston-, France -la tuerie du Charlie
Hebdo-, Belgique-attaque contre le musée
juif). Il a, en outre, attendu le timing
adéquat, alors que l'Europe était
submergée par des vagues de migrants
venus des pays secoués par des guerres
au Moyen-Orient. Ces deux arguments ont
très vite convaincu l'opinion publique
occidentale, comme le montre un sondage
effectué en Grande-Bretagne, où 70% des
personnes interrogées ont dit appuyer
l'intervention de l'armée russe en
Syrie. Face à cette réalité, les
gouvernements des Etats membres de
l'Otan ne sont pas parvenus à enclencher
une dynamique médiatique, politique et
diplomatique pour renforcer l'isolement
de la Russie sur la scène
internationale. Ils ont réagi en rangs
dispersés, sans réelle coordination, et,
par conséquent, sans efficacité.
Les arguments avancés par
Poutine (terrorisme et crise des
migrants) ont constitué une passerelle
pour aider des pays, enfermés dans leurs
rhétoriques et positions anti-syriennes
viscérales, à amorcer un changement de
cap. De la même manière qu'il avait
offert à Barak Obama, en septembre 2013,
une échelle pour descendre de l'arbre
sur lequel il avait grimpé, lors de la
crise de l'attaque chimique de la Ghouta
orientale de Damas. Parfaitement
conscient qu'Obama ne souhaitait pas se
lancer dans une nouvelle guerre en Syrie
malgré les pressions considérables de la
Turquie, des Arabes du Golfe et de
certains pays européens, Poutine avait
sorti de son chapeau la carte du
démantèlement de l'arsenal chimique
syrien, en contrepartie de l'enterrement
de l'option militaire contre Damas.
La
Russie brise son isolement
David Cameron, Angela
Merkel et d'autres dirigeants européens
se sont empressés d'emprunter cette
passerelle en abandonnant leurs
conditions rédhibitoires du départ du
président Bachar al-Assad avant toute
solution politique. Seul François
Hollande, complètement déconnecté des
réalités et inféodé aux pétromonarchies
-dans l'espoir de décrocher quelques
contrats- continue d'exprimer les mêmes
positions.
Le fait que la Russie ait
placé les Etats-Unis et leurs alliés
devant le fait accompli confirme
l'évolution des rapports de force
internationaux. Son intervention
militaire en Syrie va consolider ces
nouveaux rapports et instaurer des
réalités géopolitiques incontournables.
En effet, en envoyant ses
forces armées en Syrie, Moscou a fait
échec au plan de l'Otan visant à
confiner la Russie à l'intérieur de ses
frontières, en élargissant le
déploiement des troupes de l'alliance
atlantistes jusqu'en Pologne et les pays
baltes, et en créant un foyer
d'instabilité en Ukraine. Si ce plan
avait réussi, la Russie n'aurait plus eu
aucun accès aux mers chaudes et aurait
été évincée de la Méditerranée, ce qui
aurait eu pour effet d'isoler la flotte
de la Mer noire. La Russie est devenue
aujourd'hui une puissance maritime
méditerranéenne, avec le soutien du
Vatican (1), qui a déclaré
qu'elle pourrait jouer un rôle important
dans la stabilisation de cette région du
monde. Cette objectif s'inscrit
d'ailleurs au cœur de la doctrine
géopolitique de la Russie, qui a
annoncé, en 2014, la création d'une
flottille déployée en Méditerranée, avec
comme principal port d'attache Tartous,
en Syrie.
On comprend, dès lors, que
la chute de l'Etat en Syrie est une
ligne rouge que la Russie ne permettra
pas de franchir, quel que soit le prix à
payer. Ceux qui ont été surpris par
l'engagement militaire russe aux côtés
des troupes syriennes n'ont rien compris
à l'évolution des rapports de force.
Coordination avec l'Iran
Pour mettre en œuvre sa
stratégie, Moscou a constitué une
alliance solide avec l'Iran. Il
apparait, aujourd'hui, que les détails
du déploiement russe en Syrie ont été
étudiés lors d'une visite en Russie, en
août dernier, du chef de la Brigade al-Qods
des Gardiens de la Révolution iranienne,
le général Qassem Suleimani. Lors de ce
voyage, M. Suleimani aurait été reçu par
le président Poutine en personne.
L'officier iranien aurait effectué un
second déplacement dans la capitale
russe dans le courant de l'été. Des
mécanismes ont été créés pour coordonner
les opérations militaires aériennes et
terrestres. Tout cela a nécessité la
mise en place, à Bagdad, d'un centre de
renseignement entre la Russie, l'Iran,
l'Irak et la Syrie.
Il s'agit en réalité d'une
alliance politico-militaire qui s'est
mise en place, face à la coalition
conduite par les Etats-Unis et les
pétromonarchies. L'alliance et la
coalition s'affrontent indirectement sur
un même champ de bataille, même si elles
affirment lutter contre le même ennemi
terroriste.
Il est loin le temps où les
Etats-Unis agissaient seuls dans tout le
Moyen-Orient, en entrainant derrière eux
le reste de la planète. Aujourd'hui,
Washington est en train de céder une
partie du terrain à la Russie et à ses
alliés, car il n'a plus les moyens de
les en empêcher.
Le «Nouveau Moyen-Orient»
est en train de voir le jour. Les
Etats-Unis n'y seront qu'un acteur parmi
tant d'autres, au grand dam de
Condoleezza Rice.
(1) Le secrétaire
d'Etat du Vatican, (ministre des
Affaires étrangères), Mgr Richard
Gallagher, a déclaré dans une interview
au quotidien La Stampa, le 4 août, que
la Russie peut aider à stabiliser la
Méditerranée, comme elle a déjà aidé à
parvenir à l'accord sur le nucléaire
iranien. «La Russie est un acteur
international d'une grande importance et
je pense que nous avons tous besoin de
marcher ensemble, non séparément ou
encore moins l'un contre l'autre. La
Fédération russe peut jouer un rôle dans
la stabilisation de la Méditerranée,
comme elle a joué dans l'obtention d'un
accord sur le nucléaire avec l'Iran», a
déclaré l'archevêque Gallagher.
Source:
french.alahednews
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