Alahed
Les S-300 russes à l’Iran:
une décision à portée stratégique
Samer R. Zoughaib
Photo:
D.R.
Mercredi 15 avril 2015
Les
Etats-Unis et «Israël» ont raison de
s’inquiéter de la levée par le président
Vladimir Poutine de l’embargo sur la
vente à l’Iran de missiles sol-air
S-300. Cette décision s’inscrit, en
effet, dans un cadre stratégique visant
à consolider les nouveaux rapports de
force au Moyen-Orient et dans le monde.
Le 13 avril, le président russe Vladimir
Poutine a signé un décret levant
l’interdiction de livrer des missiles
sol-air russes S-300 à l’Iran. L’annonce
a été faite par un communiqué publié par
le Kremlin. «Israël» et les Etats-Unis
ont immédiatement dénoncé cette
démarche.
La porte-parole du département d'Etat,
Marie Harf, a déclaré que Washington est
préoccupé par la décision de Moscou.
«Nous exprimons nos préoccupations à ce
sujet depuis déjà longtemps», a-t-elle
dit, ajoutant que le secrétaire d'Etat
John Kerry avait abordé cette question
au cours d'un entretien avec le ministre
russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov.
Pour tenter de rassurer «Tel-Aviv», le
chef de l’Etat russe a évoqué la
question dans un entretien téléphonique
avec le Premier ministre israélien,
Benjamin Netanyahu. Selon un communiqué
du Kremlin, M. Poutine a attiré
l'attention de son interlocuteur sur le
fait que «d'après leurs caractéristiques
techniques et tactiques, les S-300 sont
des systèmes strictement défensifs et
incapables, par conséquent, de
constituer une menace pour la sécurité
d'Israël ou d'autres pays du
Proche-Orient». Mais ces arguments n’ont
pas convaincu Netanyahu, qui a déclaré
au président russe que «cette démarche
ne ferait qu'accentuer l'agression de
l'Iran dans la région et compromettrait
la sécurité au Proche-Orient».
Adieu l’option militaire
Ron Ben-Yishai, spécialiste israélien
des questions de «défense», a tenté
d’atténuer ces appréhensions. Selon lui,
«la livraison du système S-300 à l'Iran
ne devrait pas entraver considérablement
la capacité d'Israël, ou de tout autre
pays, à lancer une opération militaire
contre les installations nucléaires
iraniennes, pour la simple et bonne
raison que les tactiques actuelles de
déploiement ont été conçues en prenant
en compte le système S-300». Ron Ben-Yishai
souligne que «l'aviation israélienne
comme celle des Etats-Unis, se sont
entraînées à Chypre, en Grèce et dans
d'autres pays où la technologie russe
est disponible et il est donc assez
probable d'assumer que les Israéliens et
les Américains sont bien versés avec les
tenants et les aboutissants du système,
tout comme il est raisonnable de penser
qu'ils ont mis au point des dispositifs
techniques pour lui échapper».
Mais ces propos rassurants ne cachent
pas la réalité que l’acquisition par
l’Iran de ce type de système aura des
implications stratégiques, car elle
prive les Etats-Unis et «Israël» de la
carte de l’option militaire pour
détruire le programme nucléaire iranien,
brandie régulièrement contre la
République islamique. Le S-300 est un
missile sophistiqué d’une portée de 150
kilomètres, capable d’abattre des cibles
(avions, missiles de croisière) volant à
2800 mètres/seconde à 27000 mètres
d’altitude. Cette arme est conçue pour
la défense anti-aérienne contre des
raids ennemis massifs.
Un timing significatif
Le timing de la levée de l’embargo par
la Russie n’est pas anodin. Il est lié à
la guerre menée par l’Arabie saoudite
contre le Yémen, sous le parrainage des
Etats-Unis. L’un des objectifs de cette
guerre est d’imposer de nouveaux
équilibres géopolitiques au
Moyen-Orient, plus particulièrement dans
la région du Golfe, basés sur la
supériorité aérienne des alliés des
Américains. Or la livraison des S-300 à
l’Iran annule cette supériorité et, par
conséquent, les effets de cette guerre.
Le chef de la diplomatie russe a
d’ailleurs lui-même établi un lien entre
la levée de l’embargo et la guerre du
Yémen. «Le système (S-300, ndlr) moderne
est très actuel pour l’Iran, en
particulier en tenant compte de
l’escalade des tensions dans la région,
y compris autour du Yémen», a précisé M.
Lavrov. «La nécessité de l’embargo sur
la livraison des missiles S-300 à l’Iran
ne se justifie plus, ces mesures
revêtent exceptionnellement un caractère
défensif», a-t-il encore dit.
L’acquisition par Téhéran de ce type de
système constitue par ailleurs une
pression sur les puissances occidentales
afin qu’elles concluent l’accord sur le
nucléaire iranien d’ici au 30 juin, sans
multiplier les obstacles, car la menace
de l’option militaire perdra de son
efficacité lorsque les batteries de
missiles seront installées en Iran.
D’autre part, la décision russe est la
concrétisation de la décision prise par
les deux pays de renforcer leur
coopération militaire, prise lors de la
visite à Téhéran du ministre russe de la
Défense, Sergueï Choïgou, fin janvier
dernier. La visite de deux jours de
Choïgou en Iran était la première en
quinze ans. Elle a été couronnée par la
signature d'un accord
intergouvernemental sur la coopération
militaire entre les deux pays, perçu par
les experts comme un signal fort du
retournement militaro-politique de la
Russie vers l'est. Cet accord pose les
jalons de l’évolution de la relation
entre la Russie et l'Iran du statut de
partenaires à celui d’alliés.
M. Choïgou et son homologue iranien
Hossein Dehghan avaient évoqué les
problèmes de sécurité régionale et
internationale, et convenu d’un plan
détaillé pour le renforcement des
relations. Ce plan consiste à étendre
les échanges de délégations, organiser
des négociations de commandement,
participer aux exercices en tant
qu'observateurs, préparer des cadres
militaires, échanger les expériences
dans les opérations de maintien de la
paix et la lutte antiterroriste, le
déminage humanitaire et les escales de
navires de guerre dans les ports russes
et iraniens.
La levée de l’embargo russe sur les
S-300 est la première mesure concrète et
sérieuse sur la voie de la
concrétisation du nouvel élan donné aux
relations bilatérales.
Source: fench.alahednews
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