Chronique de
Palestine
Normalisation avec Israël :
imposer une
défaite psychologique aux Palestiniens
Samah Jabr
Des manifestants se
sont rassemblés à Gaza devant un
bâtiment de l'Unesco le 15 septembre
pour dénoncer les accords de
normalisation - Photo: MEE/Mohammed
al-Hajjar
Lundi 28 septembre 2020 La normalisation
arabe avec Israël est la dernière
tentative en date pour imposer une
défaite psychologique aux Palestiniens,
écrit Samah Jabr
La semaine
dernière, le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahu et les ministres des
affaires étrangères représentant les
Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn ont
signé l’accord de paix baptisé « Accords
d’Abraham » à Washington D.C.,
normalisant ainsi leurs relations au
détriment des droits nationaux et
humains des Palestiniens. Le président
américain Donald Trump était l’hôte de
la cérémonie et il a déclaré que ces
accords ne sont qu’un début et que
d’autres pays concluront très bientôt
des accords similaires, mettant ainsi
fin à l’isolement d’Israël dans la
région et excluant ainsi les
Palestiniens.
La Ligue arabe a
refusé de soutenir les Palestiniens et
de voter une résolution dénonçant les
accords de normalisation. Auparavant,
Jared Kushner, le principal conseiller
et gendre de Trump, s’était rendu au
Moyen-Orient pour rencontrer les
dirigeants arabes, même ceux du Soudan
post-révolutionnaire à qui l’on avait
promis la fin des sanctions et le
retrait de la liste des États
terroristes s’il suivait les traces des
Émirats arabes unis. En cherchant à se
faire de nouveaux amis pour soutenir
l’occupation israélienne et à renforcer
son bilan, Kushner espère obtenir un
afflux de voix pour Trump « le faiseur
de paix », juste avant l’élection
présidentielle américaine de novembre,
le tout aux dépens des Palestiniens.
Afin de réduire
l’incompréhension des masses arabes, ce
processus politique a été synchronisé
avec une campagne de relations publiques
et de médias sociaux promouvant une «
fascination pour Israël ». Cette
campagne est soutenue par la diffusion
de récits et de films en arabe célébrant
l’humanité, la beauté et le caractère
progressiste d’Israël. Ce discours
efface complètement le récit palestinien
et les souffrances indéniables de ce
peuple depuis de nombreuses décennies.
En effet, c’est une
campagne qui salit la réputation du
peuple de Palestine, nie l’occupation
brutale d’Israël et affirme que les
Palestiniens ont volontairement vendu
leurs terres et leurs foyers à l’État
sioniste.
Ce récit mensonger
affirme que les Palestiniens et leurs
plaintes sont un fardeau pour le monde
arabe et promeut le hashtag « La
Palestine n’est pas ma cause ».
Tout cela se passe
alors qu’Israël – en pleine
normalisation avec les États arabes et
en pleine pandémie de Covid-19 – démolit
des maisons palestiniennes, assassine
des civils palestiniens désarmés et
arrête des enfants palestiniens.
Tous les partis
politiques palestiniens ont condamné les
accords négociés par les États-Unis
comme un « coup de poignard dans le dos
». Le Premier ministre palestinien les a
qualifiés de « jour noir dans le triste
calendrier » de l’histoire
palestinienne. Ils constituent en effet
une nouvelle tentative de vaincre
psychologiquement les Palestiniens.
Le peuple
palestinien est sans aucun doute indigné
par la normalisation des États arabes et
l’impuissance de ses propres
représentants. J’ai vu des Palestiniens
pleurer dans les rues en voyant les
drapeaux des pays engagés dans la
normalisation, projetés sur les murs de
Jérusalem. Ils considèrent ces accords
comme une trahison de la cause
palestinienne et un rabaissement des
sacrifices palestiniens et arabes
consentis depuis de nombreuses
décennies.
Ce que je comprend,
c’est que l’Autorité palestinienne n’est
pas opposée à la normalisation en
principe, mais plutôt à un processus de
« normalisation » qui les exclut en tant
que participants. C’est l’une des
ironies du processus actuel que les
représentants palestiniens aient,
pendant les années d’Oslo, ouvert la
voie aux dirigeants arabes pour qu’ils
avancent vers leur propre normalisation
avec Israël. De plus, l’AP craint que la
normalisation actuelle ne prépare la
voie à Mohammed Dahlan – un allié fidèle
des États-Unis, des Émirats arabes unis
et d’Israël – pour remplacer son
adversaire Mahmoud Abbas en tant que
président de l’AP.
L’appel officiel à
une « journée de colère » le 15
septembre n’a pas été suivi par de
nombreux Palestiniens, car beaucoup
d’entre eux se sont lassés de
l’hypocrisie politique et doutent qu’une
mobilisation publique ait un grand
impact sur l’ordre mondial régional et
international. Au cours des décennies
d’Oslo, les représentants palestiniens –
par leurs propres motivations
conscientes et inconscientes – ont
considérablement affaibli la résilience
des communautés en Palestine. La
résistance palestinienne légitime a été
minée par l’absence de processus
démocratique.
Aujourd’hui, les
représentants palestiniens semblent
avoir acté leur impuissance au sein de
la politique internationale et, par
conséquent, ils tentent de relancer un
discours palestinien révolutionnaire
comme moyen de se retrancher derrière
l’esprit des gens du peuple.
Le nom même des «
Accords d’Abraham » est trompeur et
masque la nature coloniale de
l’occupation de la Palestine par Israël.
En présentant le conflit comme un
conflit religieux entre les « religions
abrahamiques », Israël efface les droits
politiques des Palestiniens ;
l’occupation est dissimulée derrière la
notion que la résolution du conflit est
une question de compréhension
interconfessionnelle.
La réalité est que
les ennemis de la démocratie et des
droits de l’homme dans le monde arabe
sont en train de se réaligner dans une
coalition qui piétine les droits des
Palestiniens.
Ce faisant, ils
détruisent l’avenir des Palestiniens en
retirant leur soutien au sein du monde
arabe. Ce processus sape le lien
culturel entre la Palestine et le
contexte géographique et historique plus
large. Les Palestiniens se sentaient
déjà comme des orphelins, mais la
nouvelle normalisation ne fait
qu’ajouter à leur sentiment d’abandon
par les grands « frères arabes ».
Les discussions en
cours avec encore plus de pays arabes
qui se préparent à annoncer une
normalisation avec Israël est encore
plus dommageable et déroutante pour la
Palestine. L’expérience palestinienne
présente certains parallèles avec une
femme subissant une agression sexuelle
collective : le fait que le crime soit
commis sous l’abri protecteur du groupe
rend l’expérience encore plus
dommageable psychologiquement.
Néanmoins, laissons
Israël porter un toast à ses nouveaux
amis parmi les dictateurs arabes et
profiter des bénédictions de la Ligue
arabe en sachant que ces « représentants
» ne représentent en fait personne, et
encore moins le peuple arabe. Les
masses, en fait, restent loyales à la
Palestine, mais sont exploitées par
leurs régimes qui sont prêts à les
trahir, elles et la Palestine, en
échange du soutien politique et
militaire d’Israël et des États-Unis.
En fin de compte,
Israël devra encore traiter avec les
Palestiniens qui résistent à
l’occupation à la barrière frontalière
de fait qui entoure la bande de Gaza, au
camp de réfugiés de Dheisheh en
Cisjordanie occupée, parmi les habitants
d’Eisaweyeh, et avec d’autres qui
restent invaincus psychologiquement. Ces
personnes et ces lieux rappelleront aux
Israéliens leur travail inachevé face
aux Palestiniens, malgré les décennies
d’exploitation de la population et de la
terre.
Les Palestiniens se
battent pour leurs droits nationaux et
humains depuis des générations et
continueront à le faire.
Dans une lutte qui
prend maintenant la forme d’une invasion
du monde arabe soutenue par les
États-Unis et l’Europe mais dirigée par
Israël, la Palestine reste en première
ligne dans la lutte pour la justice.
* Le Dr Samah
Jabr est une psychiatre qui exerce à
Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle
est actuellement responsable de l’Unité
de santé mentale au sein du Ministère
palestinien de la Santé. Elle a enseigné
dans des universités palestiniennes et
internationales. Le Dr Jabr est
fréquemment consultante pour des
organisations internationales en matière
de développement de la santé mentale.
Elle est également une femme écrivain
prolifique. Son dernier livre paru en
français :
Derrière les fronts – Chroniques
d’une psychiatre psychothérapeute
palestinienne sous occupation.
24 septembre 2020 –
Middle East Monitor – Traduction :
Chronique de Palestine – Lotfallah
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