Actualité
Cuba face à l’administration Trump (2/2)
Retour à la politique de la
confrontation
Salim Lamrani
Samedi 1er février 2020
Salim Lamrani
Université
de La Réunion
L’Humanité
https://www.humanite.fr/cuba-trump-22-retour-la-politique-de-la-confrontation-683739
2.
Nouveaux
obstacles migratoires et restrictions de
transferts d’argent vers Cuba En mars 2019,
l’ambassade des Etats-Unis à La Havane a
annoncé que la validité des visas B2
octroyés aux Cubains ayant de la famille
aux Etats-Unis passerait de cinq ans à
trois mois avec une seule entrée
possible sur le territoire. Cette mesure
rend plus difficile la possibilité pour
les habitants de l’île de rendre visite
à leurs proches installés en Floride ou
ailleurs. Cette décision s’ajoute au
fait que Washington a déjà fermé les
services consulaires à Cuba, obligeant
les candidats à une visite sur le sol
étasunien à se rendre en Colombie pour
faire une demande de visa, sans aucune
garantie d’obtenir le laissez-passer.
Les coûts extrêmement élevés liés à ce
type de démarche rendent ce service
inaccessible pour l’immense majorité des
Cubains, créant un nouvel obstacle aux
visites familiales, et violant les
accords migratoires bilatéraux[1].
La difficulté
à obtenir un visa a considérablement
dégradé la coopération universitaire,
scientifique et médicale promue par
l’administration Obama. Désormais, les
échanges sont retombés à leur plus bas
niveau et de nombreux accords signées
sous la mandature démocrate sont à
présent au point mort[2].
Les
transferts d’argent de la part de la
communauté cubaine installée à
l’étranger constituent la deuxième
source de revenus pour l’île.
L’administration Trump a décidé de
limiter le montant qu’un émigré cubain
peut envoyer à sa famille à 1.000
dollars par trimestre, affectant ainsi
gravement les conditions de vie de la
population de l’île. Cette restriction
contrevient au principe d’égalité des
droits reconnus par la Constitution des
Etats-Unis et affecte uniquement les
ressortissants d’origine cubaine. En
effet, toutes les autres minorités des
Etats-Unis disposent de la liberté de
transférer des sommes sans aucune limite
de montant. Par ailleurs, la communauté
cubaine des Etats-Unis ne pourra plus
utiliser le système U-Turn qui
permettait à l’argent de transiter par
une banque étasunienne, même si
l’émetteur et le récepteur du transfert
financier n’étaient pas des citoyens du
pays[3].
Selon les estimations du Département
d’Etat, les transferts d’argent en
provenance de la communauté cubaine
représentent 3,5 milliards de dollars
par an[4].
3.
Nouvelles
restrictions contre le secteur
touristique
Depuis juin 2019, le Département du
Trésor, par le biais du Bureau de
contrôle des biens étrangers (OFAC),
interdit à tout bateau ou avion privé de
se rendre à Cuba. « Les avions privés et
de corporation, les bateaux de
croisière, les voiliers, les bateaux de
pêche et autres avions et embarcations
similaires en général ne seront plus
autorisés à se rendre à Cuba », indique
le document officiel[5].
Cette décision porte un coup rude au
secteur touristique qui constitue la
troisième source de revenus de l’île.
Les quatre compagnies de croisière
étasuniennes ont été contraintes
d’annuler toutes les visites prévues à
La Havane, sous peine de fortes
sanctions, privant les habitants de la
capitale d’un apport touristique non
négligeable et privant les citoyens des
Etats-Unis de la possibilité de
découvrir la plus grande île de la
Caraïbe[6].
Le même mois de juin 2019, l’OFAC a
annoncé l’imposition de sanctions de
plusieurs centaines de milliers de
dollars contre les groupes spécialisés
dans le tourisme international Expedia,
Hotelbeds USA et Cubasphere pour avoir
violé la réglementation sur les
sanctions économiques contre Cuba[7].
Par ailleurs, depuis le 10 décembre
2019, le Département d’Etat a interdit
tous les vols commerciaux réguliers
entre les Etats-Unis et Cuba, à
l’exception de La Havane. Les vols
commerciaux reliant les Etats-Unis aux
villes de Santa Clara, Holguín et
Camagüey ont tous été supprimés[8].
Un mois plus tard, le 10 janvier 2020,
cette interdiction a été étendue à tous
les vols charters[9].
L’objectif est de limiter au maximum les
possibilités de voyage à Cuba aussi bien
pour la communauté cubaine des
Etats-Unis que pour les ressortissants
de ce pays.
Suite aux pressions exercées par
Washington et aux menaces de procès
devant les tribunaux étasuniens[10],
l’entreprise touristique allemande
Trivago a éliminé Cuba de son système de
réservation. Ainsi, l’un des principaux
sites touristiques en ligne du monde ne
référence plus l’île de la Caraïbe, ce
qui aura inévitablement un impact sur ce
secteur vital pour l’économie cubaine[11].
Le Département d’Etat a établi depuis
2017 une liste noire sur laquelle se
trouvent 211 entreprises cubaines, parmi
lesquelles beaucoup sont liées au
secteur touristique, principalement des
hôtels. Ainsi, la Compañía Turística
Habaguanex, le Grupo de Turismo
Gaviota – principaux groupes
touristiques cubains –, les agences de
tourisme, les principales Marinas, une
dizaine de magasins de souvenirs, ainsi
que 118 hôtels les plus importants du
pays, sont placés sur cette liste. La
conséquence est que les citoyens des
Etats-Unis ont l’interdiction formelle
d’y recourir, sous peine de fortes
amendes[12].
De la même manière, en octobre 2019,
plusieurs compagnies aériennes
étrangères ont décidé d’annuler leur
contrat de location d’avions à
l’entreprise Cubana de Aviación,
suite aux menaces de sanctions de la
part des Etats-Unis. De nombreux vols
internationaux ont dû être annulés,
impactant près de 40.000 passagers et
occasionnant une perte financière de
l’ordre de 10 millions d’euros en
l’espace de deux mois pour la compagnie
cubaine, car cela a réduit sa capacité à
transporter des touristes[13].
Ces nouvelles mesures restrictives
ont logiquement eu un impact négatif sur
le secteur touristique cubain. Ainsi, de
janvier à novembre 2019, le tourisme a
chuté de 8,5% par rapport à la même
période de l’année précédente, soit près
de 360 000 visiteurs en moins. Le nombre
de citoyens en provenance des Etats-Unis
a quant à lui chuté de près de 20% avec
plus de 100.000 visiteurs en moins[14].
En 2018, le nombre total de touristes
était de 4,7 millions, alors qu’il était
être seulement de 4,3 millions en 2019.
Les prévisions officielles envisageaient
un total de 5,1 millions de visiteurs et
des revenus à hauteur de 3 milliards de
dollars[15].
4.
Mise en
application du Titre III de la loi Helms
Burton
L’administration Trump a décidé
d’activer le Titre III de la loi
Helms-Burton de 1996 qui permet de
poursuivre devant les tribunaux
étasuniens les entreprises qui
réaliseraient des investissements à Cuba
sur des propriétés nationalisées dans
les années 1960 et ayant appartenu à des
ressortissants étasuniens ou ayant
acquis par la suite la citoyenneté
étasunienne. L’objectif est de dissuader
les entreprises étrangères de s’engager
dans des affaires avec Cuba. Depuis
l’adoption de cette loi au caractère
rétroactif – elle s’applique pour des
faits survenus il y a plus de soixante
ans – et extraterritorial – elle
concerne tous les pays du monde –,
c’est-à-dire illégale aux yeux du droit
international public, les différents
gouvernements depuis l’administration
Clinton ont systématiquement suspendu
l’application du Titre III. Depuis le 2
mai 2019, la loi Helms-Burton s’applique
dans son intégralité[16].
L’Union
européenne a exprimé son opposition à la
nouvelle politique des Etats-Unis,
rappelant qu’elle violait les accords
conclus en 1997 et 1998 entre Bruxelles
et Washington :
« Cette décision provoquera des
frictions inutiles et sape la confiance
à l'égard du partenariat
transatlantique, ainsi que la
prévisibilité de celui-ci.
L'UE considère que l'application
extraterritoriale de mesures
restrictives unilatérales est contraire
au droit international et elle
s'appuiera sur toutes les mesures
appropriées pour réagir aux effets de la
loi Helms-Burton, y compris en ce qui
concerne ses droits dans le cadre de
l'OMC et par le recours à la loi de
blocage de l'UE. L'UE continuera de
travailler avec ses partenaires
internationaux qui ont également fait
part de leurs préoccupations à cet égard[17]. »
Le Canada, par la voix de sa ministre
des Affaires étrangères Chrystia
Freeland, a condamné l’application du
Titre III de la loi Helms-Burton et a
fait part de son intention de défendre
les intérêts de ses investisseurs
présents à Cuba :
« Le Canada est profondément déçu de
l’annonce d’aujourd’hui. Nous
examinerons toutes les options pour
répondre à cette décision américaine.
J’ai communiqué avec des
entreprises canadiennes pour réaffirmer
que nous défendrons pleinement les
intérêts des Canadiennes et des
Canadiens qui font du commerce et mènent
des activités d’investissement légitimes
avec Cuba.
La Loi
Helms-Burton […] vise à interdire à tous
les pays étrangers de s’engager dans le
commerce international avec Cuba ; elle
soumet également les ressortissants
étrangers à des restrictions de voyage
et les expose à des recours financiers
aux États-Unis[18] ».
Dans une
déclaration officielle, le Royaume-Uni a
également rejeté l’application
extraterritoriale des sanctions
économiques :
« Le
Royaume-Uni partage les inquiétudes
exprimées par l’Union européenne à
propos de l’annonce des Etats-Unis
concernant l’application du Titre III de
la loi Helms-Burton.
L’application
extraterritoriale des sanctions du Titre
III, que nous considérons comme
illégales aux yeux du droit
international, menace les entreprises
britanniques et européennes qui font des
affaires légitimes à Cuba en les
exposant à des poursuites devant les
tribunaux étasuniens. Nous travaillerons
avec l’Union européenne pour protéger
les intérêts de nos entreprises.
Le
Royaume-Uni, tout comme l’Union
européenne, est convaincu que la
meilleure façon d’encourager Cuba à
respecter les libertés démocratiques et
les droits humains, à appliquer une
réforme politique ou à jouer un rôle
moins contraignant au Venezuela passe
par le dialogue et la coopération, et
non pas par l’isolation[19] ».
Le reste de
la communauté internationale, que ce
soit la Chine, la Russie, l’Inde,
l’Afrique du Sud, le Mexique,
l’Indonésie, le Groupe des 77,
l’Association des Nations de l’Asie du
Sud-Est ou l’Organisation de la
Coopération islamique, ont unanimement
condamné cette recrudescence des
sanctions économiques contre Cuba[20].
En novembre 2019, pour la 28ème
année consécutive, l’Assemblée générale
des Nations unies à une nouvelle fois
condamné à son tour l’état de siège
économique unilatéral des Etats-Unis
contre Cuba avec une écrasante majorité
de 187 voix contre 3 (Etats-Unis,
Israël, Brésil)[21].
5.
Sanctions
contre les entreprises pétrolières
étrangères liées à Cuba
Dans le but
de créer une pénurie énergétique, les
Etats-Unis ont décidé d’imposer des
sanctions aux entreprises pétrolières
qui prospecteraient à Cuba ou qui
transporteraient du combustible dans
l’île. Ainsi, la compagnie britannique
Acteon a été condamnée à une amende de
plusieurs centaines de milliers de
dollars en avril 2019 par le Département
du Trésor[22].
En septembre 2019, l’OFAC a imposé des
sanctions à plusieurs entités
pétrolières de Chypre et du Panama qui
étaient chargées de fournir du
combustible à l’île.[23].
En décembre 2019, six nouveaux bateaux
pétroliers étrangers ont été placés sur
la liste noire des Etats-Unis pour avoir
transporté du pétrole à Cuba[24].
En bloquant
les livraisons de pétrole, les
Etats-Unis ont généré une pénurie
d’énergie à Cuba, qui s’est vue obligée
de mettre en place un plan de
rationnement de l’essence. L’impact sur
l’économie, l’agriculture et la
production d’aliments, les transports
publics et les déplacements des Cubains,
a été très important. La population
cubaine, déjà victime des sanctions
économiques imposées par les précédentes
administrations, a dû faire face à des
difficultés rappelant, pour certaines,
la Période Spéciale[25].
Conclusion
Alors que
Barack Obama avait entamé un processus
de normalisation avec Cuba sous les
applaudissements de la communauté
internationale, affichant sa volonté de
mettre un terme à une politique
anachronique qui avait isolé Washington
sur la scène internationale, Donald
Trump a au contraire décidé de revenir à
une politique hostile basée sur les
sanctions économiques. Cette dernière
est vouée à l’échec car, comme
l’illustre l’histoire des relations
bilatérales depuis 1959, les autorités
de La Havane n’ont jamais accepté de
négocier sous la menace ou la
contrainte. En revanche, en l’espace de
deux ans, de 2014 à 2016, en basant sa
politique sur le dialogue et le respect
mutuel, Washington a réalisé des progrès
inédits lors des six dernières
décennies.
Cuba a
toujours affirmé sa disposition à régler
pacifiquement le différend qui l’oppose
à Washington, malgré le caractère
asymétrique du conflit où la première
puissance économique mondiale impose un
état de siège à une petite nation du
Tiers-monde. Le dialogue devra néanmoins
se baser sur un socle de principes non
discutables : l’égalité souveraine, la
réciprocité et la non-ingérence dans les
affaires internes. La Havane a réaffirmé
à maintes reprises que son système
politique et son modèle socioéconomique
n’étaient pas négociables car ils
relèvent de la compétence exclusive du
peuple souverain de Cuba.
Docteur ès
Etudes Ibériques et Latino-américaines
de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, spécialiste
des relations entre Cuba et les
Etats-Unis.
Son nouvel
ouvrage s’intitule Fidel Castro,
héros des déshérités, Paris,
Editions Estrella, 2016. Préface
d’Ignacio Ramonet.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page
Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Nora Gámez Torres, “Trump
Readies New Sanctions on Cuba;
Immigration Policies Likely to
Remain Same in 2020”,
The
Miami Herald,
30
décembre 2019.
[21]
Nations unies, « Assemblée
générale : La levée immédiate du
blocus imposé à Cuba réclamée, à
la même majorité écrasante, pour
la vingt-huitième année
consécutive », 7 novembre 2019.
https://www.un.org/press/fr/2019/ag12212.doc.htm
(site consulté le 1er janvier
2020).
[25]
Reuters,
« Explainer: What Is Causing
Cuba’s Acute Shortage of Fuel”,
24 septembre 2019.
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