Irak
Irak : Attentisme US
ou piège tendu à l'Iran et à la Syrie ?
Salim Harba
Photo:
D.R.
Mercredi 18 juin 2014
1. Docteur Harba,
vous dites que l’invasion de l’Irak par
les hordes « daechistes » [de l’EIIL]
est une conséquence de la résistance de
la Syrie durant trois années ; Daech
ayant échoué en Syrie, il s’est déplacé
en Irak. De son côté, Daech a clairement
annoncé que ce à quoi nous assistons
aujourd’hui est le point de départ de
l’édification effective de l’« État
Islamique en Irak et au Levant ». Si
jamais ils y arrivent, jusque quand
l’Irak pourra-t-il éviter la partition
du pays et/ou une guerre
confessionnelle ? Dans ce cas, ne
peut-on craindre que cela ne se
répercute sur la Syrie ? Et,
partagez-vous l’analyse de ceux qui
pensent que c’est un coup porté, avant
tout, contre l’Iran ?
Ceux qui soutiennent le terrorisme en
Syrie sont ceux-là mêmes qui le
soutiennent en Irak, et par les mêmes
moyens. Mais avant de répondre à vos
questions, je dirai que nous sommes
favorables à tout effort international
qui déciderait de briser le terrorisme
non seulement en Syrie et en Irak, mais
partout dans le monde.
Ceci étant dit, cela fait trois années
que le terrorisme, quel que soit le nom
qu’il se donne, tue des Syriens.
Cependant, il n’a pas réussi à réaliser
les objectifs de tout ce qui a pu être
planifié par les Services de
renseignement et les chambres
opératoires américano-sionistes, ou
autres ; alors que trois jours lui ont
suffi pour réussir en Irak. Et, je pense
qu’il lui faudrait trois heures
seulement pour réussir en Jordanie !
Maintenant, croire que cette offensive
de Daech a été menée sur l’Irak sans que
les Etats-Unis ne le sachent, alors que
leurs réseaux d’espionnage et de
satellites sont constamment braqués sur
notre région, est d’une extrême naïveté.
D’autant plus, que ces hordes sauvages
ont traversé des espaces désertiques
avec armes, véhicules, et matériels…
D’ailleurs, j’ai pu lire aujourd’hui que
l’Ambassade US était au courant [1].
Certes, il est désormais plus que
probable que les daechistes ont
bénéficié de complicités internes [2],
notamment celle du gouverneur de la
province de Ninawa, Assir al-Noujaïfi;
lequel, et c’est un fait, avait rendu
visite au gouvernement d’Erdogan et
avait rencontré le chef des services
secrets turcs, Hakan Fidan, une semaine
avant l’attaque. Nous savons aussi qu’il
y avait trois contingents sur place,
deux contingents de militaires et un de
la police nationale ; autrement dit,
près de 30000 combattants étaient
présents dans cette province [3]
quand le gouverneur Assir al-Noujaïfi a
appelé le peuple irakien à ne pas
affronter Daech. Par conséquent, un
environnement politique favorable
préexistait en Irak, Daech n’étant
qu’une des façades du terrorisme qui le
frappe.
2. Environnement
favorable signifie, ici,
confessionnalisme. Non ?
C’est vite dit, car ce sont les
États-Unis qui dirigent maintenant cette
agression et ceci dans plusieurs
dimensions.
-
La première
dimension est d’ordre politique.
Elle vise, surtout depuis les
résultats des élections législatives
qui ont confirmé le bloc de M. Al-Maliki,
le rôle de l’Irak dans la région et
notamment ses prises de position en
faveur de la Syrie et de la
Palestine… Les États-Unis cherchent
à prouver que l’Irak est désormais
un « état défaillant », ce qui les
obligerait à traiter le problème par
une intervention militaire, directe
ou indirecte, pour l’arracher au
« Front du refus »
[Iran-Syrie-Liban] et le ramener
dans le giron de l’Arabie saoudite
et des Pays du Golfe.
En l’occurrence, je considère
le plan en cours d’application, que
je qualifie de « Plan Balfour 2 »,
comme encore plus dangereux que le
Plan Balfour 1 [4].
Car, si le plan 1 [de 1917] a été
l’une des premières étapes de
l’installation de l’entité sioniste
en Palestine, celui-ci est la
première étape de la création d’une
« entité sioniste-wahhabiste-takfiriste »
dans cette région de la plus haute
importance
géostratégique.
-
La deuxième
dimension est d’ordre économique.
D’abord en raison des ressources
pétro-gazières de l’Irak, notamment
dans la région de Ninawa, de Dyala,
d’Al-Anbar… Le prétendu état
islamique [EIIL] devrait ainsi son
existence à cette immense richesse
énergétique et, partant de là,
pourquoi ne s’étendrait-il pas
jusqu’en Jordanie, en Arabie
saoudite et même, comme ils en ont
la prétention, à Al-Raqqa et Deir
ez-zor en Syrie, puis… en Turquie !?
Ceci, sans oublier la
possibilité de concrétiser enfin le
projet d’acheminement du gaz et du
pétrole d’Arabie saoudite et du
Qatar vers la Turquie [5],
pour empêcher l’aboutissement du
projet qui permettrait de
transporter le gaz iranien vers la
Méditerranée via l’Irak et la Syrie
[6] ;
et, du même coup, menacer les
gazoducs
transitant par l’Ukraine en
direction de l’Europe… sujet
d’actualité [7].
-
La troisième dimension est d’ordre
militaire.
En réalité, nous pouvons dire que
l’administration américaine est
toujours aussi déterminée et
poursuit sa coopération avec le
terrorisme international où qu’il
sévisse, ce qui explique ce que
d’aucuns qualifient d’« attentisme
des États-Unis » [8]
face à l’offensive de Daech en Irak.
Ils ne sont pas intervenus
« immédiatement », comme annoncé [9][10],
pour sauver le gouvernement central
irakien ainsi que l’armée qu’ils ont
recomposée, et ils n’interviendront
pas de sitôt.
D’où le danger, au sens qu’il pourrait
s’agir d’un piège tendu à l’Iran. Car
s’il devait intervenir en Irak, cela
pourrait servir de prétexte pour que les
États-Unis, et leurs alliés, prétendent
qu’il ne le fait que pour protéger les
chiites irakiens ; ce qui renforcerait
l’idée d’une « guerre sunnite-chiite »
expliquant tous les maux de la région.
Dès lors, les zones de combat se
déplacerait vers les frontières
iraniennes, le pays étant pris entre les
deux branches d’une tenaille ; à l’est,
par les Talibans ; à l’ouest, par les
daechistes.
Par ailleurs, il ne faudra pas s’étonner
si, prochainement, on commence à nous
expliquer qu’une fraction de ces
terroristes n’est nullement affiliée à
Daech, autrement dit à Al-Qaïda, mais
fait partie d’une « opposition armée
modérée », exactement comme ils ne
cessent de le laisser croire pour la
Syrie.
Pour rester bref, je pense que les
États-Unis sont en train de poursuivre
plusieurs buts à la fois. Ils pensent
piéger l’Iran d’une façon ou d’une
autre, et abandonnent le terrain syrien
à ceux qu’ils font passer pour des
« opposants modérés » ; lesquels
prétendus opposants ne sont que le
deuxième assortiment d’Al-Qaïda.
D’ailleurs, les États-Unis sont en train
de travailler à « vider » le terrain
dans l’intérêt de Daech et du leur. Je
m’explique en rappelant un fait marquant
survenu lorsque Al-Zawahiri [successeur
de Ben Laden et chef d’Al-Qaïda] a
dépêché six de ses délégués pour sommer
Abou Bakr Al-Baghdadi [dirigeant de
Daech] et Abou Mohammad
Al-Joulani
[dirigeant de Jabhat Al-Nosra] de
quitter la Syrie pour s’occuper des
malheureux frères irakiens [11].
Nous savons tous qu’Al-Baghdadi s’est
ravisé et a répondu à l’appel d’Al-Zawahiri
en quittant la Syrie pour se replier sur
l’Irak sans, pour autant, cesser
d’assurer le transport d’armes et de
combattants vers la Syrie jusqu’à cet
instant précis, les véhicules blindés US
en provenance d’Irak sont d’ores et déjà
parfaitement visibles autour de Hassaka,
de Deir ez-Zor , et d’Al-Qamichli ;
tandis qu’Al-Joulani a refusé.de lui
prêter allégeance.
Nous pouvons en déduire qu’il nous
faudra attendre quelques jours pour
commencer à entendre parler de divisions
au sein d’Al-Nosra ; une partie
acceptant de rejoindre Daech, et donc
Al-Qaîda ; l’autre partie s’y refusant
pour rester du côté d’Al-Joulani qui
s’alliera avec le « Front islamiste »
[dernier né des groupes terroristes à
l’usage exclusif de la Syrie][12].
Ce sera alors l’occasion que saisiront
les États-Unis pour nous présenter Al-Joulani
et Cie, comme la « nouvelle opposition
modérée syrienne », puisqu’ils pourront
dire qu’elle est composée d’éléments
ayant refusé de prêter allégeance à
Al-Qaïda !
D’ailleurs, les daechistes sont déjà les
« méchants », puisqu’ils ont très vite
crié qu’ils avaient l’intention de
détruire les lieux sacrés que ce soit à
Samarra, à Najaf, ou à Karbala…
En fin de compte, c’est toujours
l’administration américaine qui
chapeaute toutes ces organisations
terroristes-takfiristes-wahhabistes, et
il ne faut jamais oublier que ce sont
les États-Unis qui ont créé Al-Qaïda
pour les besoins de leurs « causes » en
Afghanistan [13].
Et les revoilà qui persistent et
recommencent, alors que leur propre
peuple souffre encore de la terrible
amertume d’un certain 11 Septembre. Mais
telles sont les mœurs de ses
dirigeants : ils sont prêts à s’allier
avec le diable pour réaliser leurs
propres intérêts.
Malgré cela, il nous faut distinguer
entre le rêve et la réalité. Ils ne
pourront atteindre leurs objectifs, ni
en Syrie, ni en Irak, ni dans la région…
3. Mais comment faire pour que cela
s’arrête ?
Ce ne sont pas les États-Unis qui
arrêteront, mais c’est à la société
internationale d’assumer ses
responsabilités et de faire en sorte
qu’on arrête de soutenir le terrorisme
qui tue des Syriens et des Irakiens…
Quant à nous, nous nous battrons jusqu’à
ce qu’il disparaisse, et il disparaîtra
parce qu’il doit disparaître !
4. Vous parlez d’une résolution
internationale de lutte contre le
terrorisme ?
Je dis que ce terrorisme doit être
éradiqué car il menace toute humanité et
toute l’humanité ! Sinon et si les
États-Unis, en particulier, continuent à
le soutenir, plus de Syriens et
d’Iraquiens, mais aussi plus d’Européens
et d’Américains perdront leur vie. Car
je crois que le mot de la fin revient
toujours aux États-Unis, bien qu’un chef
de Daech, nommé Mazen Abou Mohammad, ait
été ostensiblement hospitalisé il y a
quelques jours dans un hôpital public
turc, et qu’un journal autrichien ait
publié il y a très récemment un article
détaillant l’implication de l’Arabie
saoudite dans le soutien de Daech en
Irak, etc, etc… Oui, je crois que le mot
d’ordre qui arrêterait ce terrorisme
sanguinaire et destructeur appartient en
premier lieu aux États-Unis.
Dr Salim Harba
16/06/2014
Source :
TV syrienne / Al-Ikhbariya [dernier
quart d’heure d’une émission consacrée à
la libération de Kassab et de ses
environs], le Dr Harba est interrogé par
Mme Alissar Moala
http://www.youtube.com/watch?v=YqYUuLACLXI
Transcription et traduction : Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[1] L’ambassadeur américain était au
courant de l’avancée de Daech
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=FrsVadeLlI4
[2] Les daéchites à
Mossoul / Vidéo Irak 10/06/3014
http://www.youtube.com/watch?v=3dx5u90vC9k
[3] The Engineered Destruction and
Political Fragmentation of Iraq. Towards
the Creation of a US Sponsored Islamist
Caliphate
http://www.globalresearch.ca/the-destruction-and-political-fragmentation-of-iraq-towards-the-creation-of-a-us-sponsored-islamist-caliphate/5386998
[5] Syrie : Le trajet
des gazoducs qataris décide des zones de
combat !
http://www.mondialisation.ca/syrie-le-trajet-des-gazoducs-qataris-decident-des-zones-de-combat/5311934
[7]
Le gaz russe a bien été coupé aux
ukrainiens
http://terredebrut.over-blog.org/article-1504530.html
[9] Obama n’exclut
rien… [12 Juin 2014]
https://fr.news.yahoo.com/video/irak-obama-affirme-%
C3%A9tudier-toutes-201444710.html
[10]
Irak : Obama n'enverra pas de GIs contre
les islamistes [13 Juin 2014]
http://www.dailymotion.com/video/x1zd1oo_irak-obama-n-
enverra-pas-de-gis-contre-les-islamistes_news
[11] Syrie : Zawahiri somme Al-Nosra de
cesser de combattre les autres
djihadistes
http://www.france24.com/fr/20140502-zawahiri-enregistrement-
al-nosra-syrie-combat-eiil-djihadistes-al-qaida/
[12] Syrie : Lexique
de la terreur en prévision de Genève II
!
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.nasser_kandil.070114.htm
Le Docteur
Salim Harba est chercheur et
analyste politique syrien, résidant à
Damas.
Le sommaire de Mouna Alna-Nakhal
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