Tunisie-Politique
Moncef Marzouki pourra-t-il barrer la
route
à Mehdi Jomaâ?
Ridha Kéfi
Dimanche 26 janvier 2014
Ni
Marzouki, ni Ennahdha, ni l'opposition
n'ont facilité la tâche de Mehdi Jomaâ,
le Premier ministre désigné par le
«dialogue national», qui a préféré jeter
l'éponge, ou presque.
Par
Ridha Kéfi
Hier, peu après minuit, avant de
rencontrer le président provisoire de la
république Moncef Marzouki, au Palais de
Carthage, il avait encore son sort entre
ses mains.
Fort du soutien d'une majorité de
Tunisiens, soucieux de mettre fin à la
crise politique et de voir leur pays se
remettre en marche, ainsi que de l'appui
discret mais réel des partenaires
internationaux de la Tunisie, qui se
sont félicités du choix d'un technocrate
indépendant pour conduire ce qui reste
de la phase transitoire, Mehdi Jomaâ
aurait pu imposer «son»
gouvernement à toutes les parties et
mettre ainsi tout le monde devant ses
responsabilités.
Ce coup de poker aurait pu marcher,
mais le Premier ministre désigné a
préféré temporiser dans l'espoir
d'obtenir un meilleur consensus autour
de sa personne et de son équipe.
Seul contre
tous...
N'ayant finalement pas présenté la
liste de son gouvernement au chef de
l'Etat, comme le stipule la loi portant
organisation des pouvoirs provisoires,
Mehdi Jomaâ a perdu le contrôle du
processus politique devant aboutir à son
installation au Palais de la Kasbah.
Pis encore : son sort dépend
désormais d'une décision du locataire du
Palais de Carthage.
Ce dernier, qui était, jusque-là,
hors-jeu, a finalement bien manoeuvré,
lui et son parti, le Congrès pour la
république (CpR), pour empêcher
l'accession de Mehdi Jomaâ à la
primature et reprendre ainsi
(provisoirement) la main.
Mehdi
Jomaâ reçu, samedi soir, au Palais de
Carthage par Moncef Marzouki:
"Je t'aime, moi non plus!"
C'est Marzouki, en effet, qui doit
décider, dans les heures qui viennent,
d'accorder encore un délai de 15 jours à
Mehdi Jomaâ pour qu'il poursuive les
discussions en vue constituer son
gouvernement de consensus, ou...
désigner pour cette tâche une autre
personnalité de son choix et de son
sérail.
Ce second scénario nous semble
cependant peu vraisemblable, car si
Moncef Marzouki désire ardemment nommer
l'un de ses proches au poste de chef de
gouvernement, il sait pertinemment qu'il
aura du mal à le faire accepter par
toutes les parties engagées dans le
«dialogue national», y compris ses
alliés du parti islamiste Ennahdha et d'Ettakatol,
qui se verraient ainsi écartées du
processus par un putsch politique de la
présidence provisoire.
Quoi qu'il en soit, Mehdi Jomaâ a
pris une décision de sagesse, même si
elle complique la situation politique
dans le pays. Considéré comme proche d'Ennahdha
par l'opposition et soupçonné, par
Ennahdha et ses alliés, d'être le cheval
de Troie de l'opposition, il a dû subir
les attaques de toutes les parties à la
fois.
Ennahdha, et ses satellites (CPR,
Wafa, Al-Mahabba), ainsi que des
éléments du bloc démocratique, ont voté
hier contre un amendement de l'article
19 de loi constituante n° 2011-6 du 16
décembre 2011, relative à l'organisation
provisoire des pouvoirs publics, visant
à porter l'approbation du retrait de
confiance au gouvernement de «la
majorité absolue des membres de
l'assemblée» (50+1), comme c'est le
cas actuellement, à un minimum de voix
requis des 3/5e des votes exprimés (60).
Cet amendement, qui aurait permis au
prochain gouvernement de travailler dans
de meilleures conditions et, surtout,
avec l'assurance de ne pas être
déstabilisé, à la première occasion, par
un vote de défiance, n'est finalement
pas passé. Et on peut estimer qu'Ennahdha
a beaucoup manoeuvré pour obtenir ce
résultat.
Par ailleurs, et en s'opposant
fermement au maintien du ministre de
l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou dans le
nouveau cabinet, l'opposition n'a pas
facilité la tâche de Mehdi Jomaâ, qui
préfère garder ce magistrat originaire
de Kasserine, à un poste où, 10 mois
après sa nomination, il commence, selon
lui, à donner satisfaction.
Les positions extrêmement tranchées
et les flèches acérées lancées de tous
côtés semblent avoir braqué Mehdi Jomaâ,
qui ne pouvait courir le risque
d'envoyer son équipe en pâture alors
qu'il a dû dépenser une grande énergie
pour convaincre certains de ses membres
d'abandonner leurs propres affaires pour
se mettre au service du pays.
Il a donc préféré, au terme de longs
et éreintants conciliabules, faire
marche-arrière, pour reprendre son
souffle. Et se donner encore une
possibilité de rapprocher les positions
et d'obtenir le consensus recherché.
Moncef
Marzouki à la manoeuvre
Il ne restait donc à Moncef Marzouki
que de tirer les marrons du feu. Ce
qu'il n'a pas manqué de faire avec une
jubilation que certains de ses
conseillers, notamment Tarak Kahlaoui,
directeur d'un fantomatique Institut des
études stratégiques (IES) rattaché à la
présidence de la république, n'ont pas
manqué d'exprimer tapageusement sur les
réseaux sociaux.
Alors, adieu le «dialogue
national» et bye-bye la
«feuille de route», comme le crie
ce dernier sur tous les toits... Pas si
vite. Car M. Marzouki, élu par moins de
7.000 voix et qui doit son poste à ses
alliés d'Ennahdha et d'Ettakatol, ne
peut se permettre, aujourd'hui, de jouer
en solo, au risque de se voir bientôt
éjecté du Palais de Carthage par un vote
de l'Assemblée.
On peut parier qu'il gesticulera
encore quelque heures pour montrer qu'il
existe encore, avant de se résigner à
accorder un second délai de 15 jours
pour Mehdi Jomaâ afin qu'il constitue
son gouvernement de consensus.
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Publié le 26
janvier 2014 avec l'aimable autorisation
de Kapitalis
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