MADANIYA
La « Muslim Belt » et le levier
djihadiste Ouighour
René Naba
Lundi 23 décembre 2019
Embourbés en
Afghanistan depuis près de vingt ans,
harcelés par leurs anciens alliés les
Talibans, les Etats Unis paraissent
vouloir se cramponner à ce qui a
longtemps été leur arme favorite, la
stratégie du «Muslim Belt», la ceinture
verte de l’espace musulman, ayant
vocation à encercler le «Heartland»
eurasiatique (la Chine et la Russie) qui
détient les clés de la maîtrise du
monde. Une arme quelque peu érodée par
les déboires des groupements terroristes
en Syrie, la déconfiture politique de la
Confrérie des Frères Musulmans, la
matrice originelle des groupements
takfiristes éradicateurs et la
désaffection de l’Arabie saoudite à leur
égard. À l’instigation de
Washington et d’Ankara, le Parti
Islamiste du Turkestan s’est ainsi
engagé sur la voie de la mondialisation
de son combat, avec un ciblage
prioritaire, la Chine et les
bouddhistes, autrement dit, l’Inde.
1- La Turquie et
les Etats Unis, parrains occultes du PIT
Au terme de huit
ans de présence en Syrie,
particulièrement dans le nord du pays,
dans le secteur d’Alep, le mouvement
djihadiste du Turkestan s’apprête à
donner une impulsion régionale à son
combat, au delà de la Syrie, avec un
ciblage prioritaire: la Chine.
Telle est du moins
la substance du discours mobilisateur du
prédicateur Abou Zir Azzam diffusé à
l’occasion de la fête du Fitr, en juin
2018, mettant en relief «l’injustice»
subie par le Turkestan dans ses deux
versants, le versant occidental (Russie)
et le versant oriental (Chine).
En juin 2017, la
Turquie et les Etats Unis ont encouragé
cette orientation au prétexte de
préserver les combattants de cette
formation afin de les affecter à
d’autres théâtres d’opération, contre
les adversaires des Etats Unis regroupés
au sein du BRICS (La Chine et la
Russie), le pôle contestataire à
l’hégémonie américaine à travres le
Monde.
2- La duplicité
de la Turquie
Tiraillé entre ses
alliances contradictoires, le néo
islamiste Teyyeb Reccep Erdogan, -membre
du groupe d’Astana (Russie, Iran,
Turquie) en même temps que membre de
l’OTAN-, a proposé l’aménagement d’un
vaste périmètre pour y abriter les
djihadistes dans une zone sous
l’autorité de la Turquie afin de
procéder au tri entre groupements
islamistes inscrits sur la liste noire
du terrorisme et djihadistes regroupés
sous le label VSO «The Vetted Syrian
Opposition» (Opposition syrienne validée
par les Occidentaux) dans une opération
destinée à permettre à turque de séparer
le bon grain de l’ivraie, selon le
schéma de l’Otan.
Autrement dit
libérer les Syriens, repentis et
désarmés, mettre en veilleuse les
Syriens jusqu’au-boutistes notamment le
groupe Adanani, garder sous le coude,
les combattants étrangers (Tchétchènes,
Ouighours) en vue de les exfiltrer
clandestinement vers d’autres théâtres
d’opérations.
A la faveur du
déploiement des forces américaines dans
le nord de la Syrie, dans le périmètre
de la base aérienne de Manbij et
d’Idlib, la Turquie a mis à profit cette
phase préparatoire de l’offensive pour
exfiltrer ses sympathisants,
principalement les Ouïghours et Al
Moharjirine (les migrants), les
combattants étrangers relevant de «Hayat
Tahrir As Cham» de tendance djihadiste
salafiste, dont le groupement a été
inscrit sur la liste noire du terrorisme
par l’ONU en 2013.
Le président russe
Vladimir Poutine a donné son accord à la
proposition turque au sommet de Sotchi,
dix jours plus tard, le 17 septembre,
soucieux de préserver sa nouvelle
alliance avec la Turquie en butte à une
guerre hybride de la part des Etats
Unis.
Le débauchage de la
Turquie constitue la carte maitresse de
la Russie dans ses négociations avec la
coalition occidentale au point que
Moscou paraît si soucieuse d’encourager
cette déconnection stratégique de l’axe
Turquie Etats Unis, qu’elle a été
jusqu’à promettre la livraison du
système balistique SSS 400 pour 2019.
Ankara espère, de son côté, préserver
l’essentiel de sa force de nuisance dans
la zone, avec un objectif sous-jacent
d’aménager dans le secteur d’Idlib une
enclave turque sur la modèle de la
République turque de Chypre, en
procédant à une modification
démographique de la zone en y
concentrant en une sorte de barrière
humaine les ressortissants syriens
relevant la mouvance des Frères
Musulmans qu’elle considère comme
relevant de fait de son autorité
La zone
démilitarisée concédée provisoirement à
la Turquie s’étend sur 15 km de large le
long de la frontière syro-turque dans le
secteur d’Idlib, englobant la zone de
déploiement des forces kurdes soutenues
par les Etats Unis.
Sur la duplicité de
la Turquie dans la guerre de Syrie, cf
ces liens:
3- La
terminologie marxiste en guise
d’habillage juridique au tournant.
L’habillage
idéologique du tournant du PIT a été
puisé dans la terminologie marxiste. Au
terme d’un débat interne de plusieurs
mois, les légistes de cette formation
ont décidé de donner une dimension
planétaire à leur combat en
privilégiant, L’ENNEMI PROCHE (La Chine)
sur L’ENNEMI LOINTAIN (La Syrie).
Une concurrence
jurisprudentielle s’est établie entre
les prescripteurs rivaux Abdel Rahman Al
Chami, proche du Jabhat An Nosra,
franchise syrienne d’Al Qaida, et Abdel
Halim Al Zarkaoui, proche de Daech.
4- Le discours
mobilisateur Abou Zir Azzam.
Ce prédicateur a
fait une irruption politique remarquée
par un discours mobilisateur diffusé à
l’occasion de la fête du Fitr, en juin
2018, mettant en relief «l’injustice»
subie par le Turkestan dans ses deux
versants, le versant occidental (Russie)
et le versant oriental (Chine). Lançant
un appel au boycottage commercial de la
Chine, il a énuméré les sévices
historiques infligés par les Chinois aux
Ouïghours, mentionnant «le viol des
musulmanes» et «l’obligation de manger
du porc».
«Le Parti Islamique du Turkestan
s’apprête au Djihad contre les
boudhistes», ce lien pour les locuteurs
arabophones
5 – Chine: La
Syrie, un réceptacle au terrorisme
mondial.
La fermentation
djihadiste ouighoure en Syrie, et dans
des pays de la lointaine périphérie de
la Chine ont conduit Pékin, en mars
2018, a déployé discrètement des troupes
en Syrie au motif officiel d’encadrer
des détachements de l’armée syrienne et
de leur fournir un soutien logistique et
médical.
Pékin a justifié
cette attitude de pro activité par sa
connexion idéologique avec le pouvoir
baasiste en raison de sa nature laïque,
ainsi que par la présence dans le nord
de la Syrie d’un important contingent de
combattants ouïghours.
Ce faisant, la
Chine vise à faire pièce aux djihadistes
ouighours, dont elle veut neutraliser
leur éventuel retour en Chine, alors que
se confirment les liens entre les
séparatistes islamistes des Philippines
et au Mayanmar et les groupes islamistes
opérant en Syrie, comme en témoignent
l’arrestation d’agents de l’Etat
Islamique (Daech) en Malaisie en mars
2018, à Singapour en juin 2018.
L’entrée en scène
progressive de la Chine sur le théâtre
syrien, où elle a déjà obtenu des
facilités navales dans le périmètre de
la base navale russe de Tartous est de
consolider son positionnement d’un des
trois grands investisseurs du
financement de la reconstruction de la
Syrie, au même titre que la Russie et
l’Iran.
En complément à
Tartous, la Chine a aménagé sa première
base navale à l’étranger à Djibouti, en
2017. Jouxtant le port de Doraleh et la
zone franche de Djibouti –tous deux
construits par la Chine– cette base ne
devrait abriter dans un premier temps
«que» 400 hommes.
Mais, selon
plusieurs sources, ce sont près de
10.000 hommes qui pourraient s’y
installer d’ici à 2026, date à laquelle
les militaires chinois auront transformé
cette enclave en avant-poste militaire
de la Chine en Afrique.
En superposition,
la Chine a participé aux manœuvres
navales russes au large de la
Méditerranée, début septembre, les plus
importantes manœuvres de la flotte russe
de l’histoire navale mondiale. Elle a
dépêche des troupes vers la Syrie, pour
la première fois de son histoire, en
mars 2018, pour convoyer les forces
gouvernementales syriennes lors de la
prise d’Idbib, notamment décrypter les
communications entre les djihadistes
ouighours en vue de les neutraliser.
Au regard de la
Chine, la Syrie sert de réceptacle au
terrorisme mondial, y compris pour
l’intérieur chinois. Soucieuse de
soulager la trésorerie russe et de
soutenir l’effort de guerre syrien, la
Chine a octroyé une aide militaire de 7
milliards de dollars à la Syrie dont les
forces combattent dans la bataille
d’Alep, les djihadistes Ouïghours, (des
musulmans turcophones du Nord-Ouest de
la Chine), où près de 5.000 familles,
soit près de quinze mille personnes,
sont implantés à Alep Est.
6- La
problématique ouïghoure.
L’instrumentalisation des Ouïghours par
les Américains répond à leur souci de
disposer d’un levier de pression contre
Pékin, en ce que «la Chine et les
États-Unis sont engagés, à long terme,
sur une trajectoire de collision. Les
précédents historiques montrent qu’une
puissance ascendante et une puissante
déclinante sont vouées le plus souvent à
l’affrontement», soutient l’ancien
premier ministre français Dominique de
Villepin, particulièrement à une époque
où la scène diplomatique internationale
est en pleine phase de transition vers
un monde post occidental. Son objectif
sous-jacent est d’entraver la mise en
œuvre de la 2me route de la soie».
Musulmans
turcophones, les Ouïghours djihadistes
sont originaires de la province de
Xingjiang, à l’extrême-ouest de la
Chine, frontalière de huit pays
(Mongolie, Russie, Kazakhstan,
Kirghizistan, Tadjikistan, Afghanistan,
Tadjikistan, Pakistan et Inde).
Bon nombre
d’Ouïghours ont combattu en Syrie sous
la bannière du Mouvement islamique du
Turkestan oriental (Sharqi Turkestan)
alias Xinjiang, une organisation
séparatiste de lutte armée dont
l’objectif est l’établissement d’un
«État Ouïghour Islamique» au Xinjiang.
Les combattants
ouïghours ont reçu l’aide des services
de renseignements turcs pour leur
transfert vers la Syrie, via la Turquie.
Ce fait a généré une tension entre les
services de renseignements turcs et
chinois en ce que la Chine s’inquiète du
rôle des Turcs dans le soutien aux
combattants ouïghours en Syrie, rôle qui
pourrait augurer d’ un soutien turc aux
combats au Xinjiang.
La communauté
ouïghoure en Turquie compte 20.000
membres, dont certains travaillent pour
l’Association de Solidarité et
d’Education du Turkestan Oriental, qui
fournit une aide humanitaire aux Syriens
et qui est pointée du doigt par la
Chine. Une vidéo du PIT de janvier 2017
affirme que sa brigade syrienne a
combattu avec le front al-Nosra, en
2013, dans les provinces de Raqqa,
Hassakeh et Alep.
En juin 2014, le
groupe djihadiste a officialisé sa
présence en Syrie: Sa brigade sur place,
dirigée par Abou Ridha al-Turkestani, un
locuteur arabophone, probablement un
Syrien, a revendiqué une attaque suicide
à Urumqi en mai 2014 et une attaque sur
la place Tiananmen en octobre 2013.
Le groupe a prêté
allégeance au Mollah Omar des Talibans.
Vingt-deux Ouïghours sont détenus à
Guantanamo, puis relâchés faute de
preuves. Suivant l’exemple de l’Emirat
islamique du Caucase, dont la branche
syrienne opérait dans le cadre de Jaysh
Muhajirin Wal-Ansar, le PIT a créé sa
propre branche en Syrie qui opère de
concert avec Jabhat An Nosra entre les
provinces d’Idlib et de Lattaquié.
7 –
L’environnement djihadiste de l’Inde et
son basculement vers Israël.
La destruction des
Bouddhas de Bamyan par les Talibans, en
Mars 2001, soit six mois avant le raid
du 11 septembre contre les symboles de
l’hyperpuissance américaine, a constitué
un déclic conduisant l’inde à abandonner
sa traditionnelle politique d’amitié
avec les pays arabes, notamment
l’Egypte, son partenaire majeur au sein
du Mouvement des Non Alignés, pour se
rapprocher d’Israël.
L’environnement
djihadiste de l’Inde a d’ailleurs
conduit ses dirigeants à se rapprocher
également des Etats Unis dans un
contexte marqué par la disparition du
partenaire soviétique, parallèlement à
une accentuation de la coopération
sino-pakistanaise débouchant sur le
transfert d’énergie nucléaire de Pékin à
Islamabad et le lancement d’un programme
nucléaire pakistanais avec des subsides
saoudiens.
La nouvelle
alliance avec les États Unis et Israël a
été scellée sur la base d’une
convergence d’intérêts et une approche
sensiblement analogue de pays se
présentant comme des démocraties
partageant une même vision pluraliste du
monde, ayant le même ennemi commun,
l’«Islam radical».
Le rapprochement
avec Israël s’est traduit par une
normalisation des relations
israélo-indiennes, en 1992, concrétisée
par la première visite d’un dirigeant
israélien à New Delhi, en 2003, en la
personne du premier ministre Ariel
Sharon, l’année de l’invasion américaine
de l’Irak.
Troisième puissance
régionale avec la Chine et le Japon,
l’Inde se trouve dans une position
ambivalente en ce qu’elle doit maintenir
des liens étroits avec les
superpuissances pour se maintenir dans
le peloton de tête du leadership
mondial, sans pour autant distendre ses
liens avec le tiers monde, dont elle fut
longtemps l’un des chefs de file. Sa
présence au sein du BRICS (Brésil,
Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud)
répond à cette logique.
Les Ouïghours, de
mémoire d’observateur, ne sont jamais
morts pour la Palestine pas un. Mais
nombreux l’ont été contre la Syrie, dans
un dévoiement sectaire de leur
idéologie.
Aux yeux des
stratèges du Pentagone,
l’instrumentalisation de l’irrédentisme
ouïghour devrait avoir sur la Chine le
même effet déstabilisateur que le
djihadisme tchétchène sur la Russie de
Poutine. Mais une éventuelle montée en
puissance du Parti islamique du
Turkestan pourrait initier une
redistribution de cartes, dont les
principaux victimes pourraient être les
djihadistes ouighours, à l’instar des
islamistes de Syrie. A trop vouloir
servir de «chairs à canon» à des combats
mercenaires décidés par des
commanditaires dictés exclusivement par
leur raison d’etat de leur propre
puissance, le sort des supplétifs est
inéluctablement scellé: Dindon de la
farce d’une gigantesque duperie.
8 – La défection
de trois pays musulmans alliés de
l’Occident.
Devant une telle
configuration, le Pakistan, le pompier
pyromane du djihadisme planétaire
pendant des décennies a paru amorcer une
révision déchirante de ses alliances,
renonçant à son ancien rôle de body
guard de la dynastie wahhabite pour un
rôle plus valorisant de partenaire de la
Chine, la puissance planétaire en
devenir, via le projet OBOR.
Deux autres pays
musulmans, jadis alliés de l’Occident,
lui ont emboité le pas: la Malaisie, et
sans doute la Turquie, à moyen terme,
frappée de sanctions économiques par les
Etats Unis.
Si l’hypothèse du
djihadisme anti bouddhiste se
concrétisait, elle initierait une
gigantesque tectonique des plaques à
l’effet de sceller une alliance de fait
entre la Chine et l’Inde, les deux états
continents d’Asie, de surcroit non
musulmans, en vue de terrasser l’hydre
islamiste qui rôde à leur périphérie.
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