Opinion
Arabie saoudite: Main basse des fils du
Roi
sur les postes stratégiques
René Naba
Photo:
D.R.
Vendredi 16 mai 2014
Paris – Conséquence
des revers de Syrie, une révolution de
palais vient de s’opérer en Arabie
saoudite, entrainant l’éviction des
postes de responsabilité de toute une
fratrie, le clan Sultan, responsable au
premier chef du désastre saoudien, avec
la promotion concomitante des propres
fils du roi Abdallah, fait sans
précédent dans les annales du royaume.
L’éviction du clan
Sultan, le plus proaméricain de la
configuration saoudienne.
Trois membres
éminents du clan Sultan, du nom de
l’inamovible patron du ministère de la
défense pendant trente ans, ont été
évincés par une série de décrets parus
le 14 mai 2014. Bandar Ben Sultan,
l’ancien chef des services de
renseignement, dégagé en février, a
ainsi entrainé dans sa disgrâce ses deux
frères, Salman Ben Sultan, son adjoint
opérationnel en Jordanie au sein du PC
intégré de l’alliance islamo atlantiste,
ainsi que leur frère ainé, Khaled Ben
sultan, vice-ministre de la défense,
tous les deux déchargés de leurs
fonctions.
Khaled Ben Sultan,
l’ancien interface du général Norman
Schwarzkoff lors de la première guerre
contre l’Iran, en 1990-1991, est
propriétaire du journal Al Hayat. Son
fils avait fait l’objet d’une
interception spectaculaire de la police
new yorkaise, l’été 2013, verbalisé,
menotté et plaqué à terre, pour
«stationnement abusif et rébellion à
agent de la force publique ayant
autorité». Salman, lui, a longtemps été
le plus proche collaborateur de son
frère Bandar du temps où son ainé
occupait le poste d’ambassadeur d’Arabie
saoudite à Washington. Dans la guerre de
Syrie, il dirigeait depuis Amman
(Jordanie), le PC opérationnel du bloc
islamo-atlantiste groupant l’Arabie
saoudite, les Emirats arabes Unis, la
Jordanie, les Etats Unis, la France, le
Royaume Uni et la Turquie, coordonnant
le ravitaillement en armes et munitions
des djihadistes, leur financement, leur
rétribution de même que leur transport
sur le champ de bataille.
La succession de
revers qui s’abat sur cette fratrie
apparaît parait comme la sanction d’un
échec de ce clan ; longtemps détenteur
du secteur névralgique de la défense, de
surcroît pour le plus pro américain de
la configuration saoudienne.
Les fils du Roi aux
commandes.
Le roi,
octogénaire, de santé déclinante, a
ainsi verrouillé sa succession en
confiant à ses propres fils, les postes
clés du royaume, au prétexte de
sanctionner les responsables au premier
chef du désastre de Syrie.
Acteur-clé au
Moyen-Orient et premier exportateur
mondial de pétrole brut, le Roi
Abdallah, prudent et prévoyant, a ainsi
placé son fils aîné, Mout’eb au poste
stratégique de deuxième vice-président
du conseil, scellant l’ordre de
succession au bénéfice de son fils, sans
possibilité d’en modifier l‘ordre de
succession. Son deuxième fils, Mecha’al,
a été nommé gouverneur de la région de
la Mecque, la capitale religieuse du
royaume et son 3eme fils, Turki,
gouverneur de Ryad, sa capitale
politique et financière. La fratrie
Abdallah conserve dans son giron la
«Garde Nationale», traditionnelle
contrepoids aux forces régulières.
Un tsunami sans
compensation: Un camouflet majeur pour
le Clan Soudeiry
Ce tsunami dans
l’ordre successoral du royaume et son
ordre de préséance ne s’est accompagné
de la moindre compensation pour les
autres composantes de la famille royale,
particulièrement en faveur de l’autre
grande branche de la famille royale, le
clan Soudeiry, rivale historique du clan
Shammar, dont est issu le Roi Abdallah.
Le clan Soudeiry,
du nom patronymique de l’une des épouses
du fondateur du Royaume Abdel Aziz,
groupait autour du roi Faysal, ses six
frères, le roi Fahd, Le prince Sultan,
ministre de la défense, le prince
Mohamad, ministre de l’intérieur, le
prince Salman, gouverneur de Ryad, le
prince Ahmad, gouverneur de La Mecque
ainsi que le prince Abdel Rahman, ancien
vice-ministre de la défense.
- Les héritiers
du Roi Fahd, décédé en 2005, ont été
écartés de la scène publique, en
l’espace d‘un an, sans susciter la
moindre protestation, tant leur
inaptitude au pouvoir était
manifeste: Abdel Aziz Ben Fahd,
ministre d’état sans portefeuille,
et ancien partenaire en affaires de
l’ancien premier ministre libanais
Rafic Hariri, a été démissionné du
gouvernement, sans autre forme de
procès, déconsidéré par les
gazouillis d’un mystérieux délateurs
au nom de «Moujtahed». Son frère
Mohamad, lui, a été relevé de ses
fonctions de gouverneur de la région
orientale du Royaume, la zone
pétrolifère de Zahrane. Tous deux
sont désormais mal placés dans la
course à la succession.
- Le prince
Turki Ben Salman, président d’un
important groupe de presse saoudien,
le groupe «As Chark Al Awsat», et
propre fils du prince héritier
Salman, a été dégagé de ses
responsabilités le 6 avril 2014.
Le démantèlement
d’un réseau djihadiste un revers pour le
nouveau patron du renseignement.
Ce train de mesures
a coïncide avec l’annonce du
démantèlement d’un réseau djihadiste
visant à installer un bureau de
recrutement dans le royaume pour le
compte de Dahech, l‘organisation
djihadiste présente en Syrie et qui se
propose de fonder un «Etat islamique en
Irak et au Levant». Ce réseau de 65
hommes était composé d’anciens
islamistes, dont 50 pour cent de
nationalité saoudienne, auparavant
incarcérés en Arabie saoudite, pour des
actes portant atteintes à la sécurité
nationale, puis libérés après avoir
bénéficié d’une session de
réhabilitation dans le royaume. La
sécurité saoudienne a en outre mis la
main sur une unité de production de
composants électroniques, visant à la
mise à feu à distance d’explosion, ainsi
que des équipements de brouillage et
d’interception de communication à
distance. Dans la saisie figure la somme
de 250.000 dollars, collectée par des
contributions volontaires de
sympathisants, mécontents de la décision
d’Ayman Al Zawahiri, le chef d’Al Qaida,
de privilégier Jobhat An Nosra au
détriment de Dahech dans les combats de
Syrie.
Le site «Ar Rai Al
Yom» a estimé que «la découverte de ce
réseau constitue le premier revers
majeur au nouveau patron du
renseignement saoudien, le prince
Mohamad Ben Nayef, artisan du programme
de réhabilitation en sa qualité de
ministre de l’intérieur et successeur de
Bandar Ben Sultan dans la gestion du
djihadisme».
«Le fait que le porte-parole saoudien
ait fait état d’un réseau et non d’une
cellule souligne l’ampleur du phénomène.
Son démantèlement apporte un cinglant
démenti aux allégations saoudiennes
selon lesquelles le royaume a
définitivement éradiqué le djihadisme
sur son sol, conclut le propriétaire du
site, l’influent journaliste Abdel Bari
Atwane, ancien propriétaire du journal
transarabe Al Qods Al Arabi».
http://www.raialyoum.com/?cat=249
Ce fait pourrait
expliquer l’absence de compensation non
plus au clan Nayef ben Mohamad, le
nouveau patron du renseignement pour les
nominations royales.
La propulsion des fils du Roi aux
commandes de l’état s’est accompagnée
d’une importante promotion d’officiers
supérieurs à la tête des états-majors
des trois armes (air terre mer).
Question sans doute de s’assurer
l’allégeance du commandement interarmes
saoudien longtemps aux mains du Clan
Sultan :
http://www.al-akhbar.com/node/206527
Fait accompli ou
caution américaine ?
Le réaménagement de
la structure du pouvoir en Arabie
saoudite, au cours des deux derniers
mois, s’est produit à la veille de la
visite d’importantes personnalités
américaines. En mars, la promotion du
fils du Roi au poste d’héritier du
prince héritier est intervenue à la
veille de la visite du président Barack
Obama, à Ryad, pour y sceller la
réconciliation saoudo américaine. En
mai, la promotion des deux autres fils
du Roi est intervenue à la veille de la
visite du secrétaire à la Défense, Chuck
Hagel, venu participer à la conférence
des ministres de la défense du Conseil
de coopération du Golfe. Sans qu’il ait
été possible, dans les deux cas, de
savoir si ce chamboulement répondait au
souci du roi de placer ses alliés
américains devant le fait accompli et
s’il bénéficiait de leur caution.
Face à de tels
bouleversements, le prince Saoud Al
Faysal, ministre des affaires
étrangères, a infléchi sa position
maximaliste envers l’Iran, lançant une
invitation à son collègue iranien
Mohamad Zarif, à venir en Arabie
saoudite «à la date de sa convenance
pour des entretiens visant à régler les
différends dans un esprit de fraternité
en vue de faire de la zone du golfe, une
zone de prospérité».
Le prince Saoud, un
des faucons saoudiens et beau-frère par
alliance du prince Bandar Ben Sultan,
a-t-il voulu prendre acte de la défaite
de son clan? De la dangerosité de
l’instrumentalisation de la religion
comme arme de combat comme en ont
témoigné les dérives du djihadisme
erratique en Syrie et dans sa projection
sur l’«espace européen? Anticiper
l’évolution régionale dans la
perspective d’un possible accord
nucléaire irano saoudien et l’accession
de Téhéran au rang de puissance
régionale? A-t-il enfin pris la mesure
du désastre infligé à la revendication
palestinienne à un état indépendant du
fait des guerres fratricides
interarabes? Pris conscience, et son
royaume avec, que ces modernes guerres
de religion sont des guerres d’outre
temps?
Le nouveau rapport
de force au sein du pouvoir saoudien :
http://www.al-akhbar.com/node/206634
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