MADANIYA
Abou Dhabi, vers une colonisation
économique de l’Afrique
René Naba
Dimanche 15 novembre 2020
L’Arabie saoudite est avec Israël l’un
des grands colonisateurs de la planète.
S’inspirant de l’exemple saoudien, Abou
Dhabi lui a emprunté le pas en Afrique.
L’Arabie saoudite a
mis sur pied une société publique pour
financer les entreprises privées du
royaume qui achètent des terres à
l’étranger. Elle s’est tournée vers
l’Afrique, en raison de sa proximité
avec le Royaume. La firme saoudienne «Haïl
Hadco» loue ainsi des milliers
d’hectares au Soudan avec pour objectif
d’en cultiver 40.000, alors que les
firmes BTP saoudiens sont engagés s’est
en Asie à la tête d’un consortium,
espérant, à terme, gérer 500 000
hectares de rizières en Indonésie, dans
le cadre d’un projet agricole de 1,6
million d’hectares comprenant la
production d’agro carburant.
Pour aller plus
loin sur ce thème : https://www.madaniya.info/2015/06/21/israel-et-larabie-saoudite-deux-grands-colonisateurs-de-la-planete/
Lui emboîtant le
pas et fort de son expérience dans la
gestion des ports maritimes, Dubai
authority Ports a engagé une coopération
avec le Sénégal pour la gestion du
nouveau port en construction à 35 km de
Dakar.
Situé à Sendou à 35
km de la capitale, d’un coût total de
plus 290 milliards de FCF, ce port
minéralier et vraquier d’une capacité de
7millions de tonnes dès sa première
année d’exploitation va transformer la
localité dotée d’une nouvelle centrale
électrique, en un véritable hub
industriel de référence dans la
sous-région ouest africaine.
Outre le Sénégal,
les Émirats sont présents au Mozambique,
en Somalie en infraction aux décisions
du gouvernement central, au Ruanda, en
Algérie et au Mali où un accord a été
signé avec Bamako pour l’installation
d’une plateforme logistique ainsi qu’en
République Démocratique du Congo pour
l’aménagement d’un port en eau profonde
d’une valeur d’1 milliard de Dollars.
Sur le plan
bancaire, «Islamic Dubai Bank» finance
des projets agricoles au Kenya et «Emirates
Global Aluminium» a financé
l’exploitation des gisements de bauxite
en Guinée, alors qu’un investissement de
3,3 milliards de dollars a été affecté
au Mozambique pour le financement de 52
projets agricoles, pétroliers et dans le
domaine de l’enseignement.
Au Nigéria, qui
doit servir de plate forme de gestion
pour l’Afrique occidentale, les Émirats
participent à la prospection pétrolière
en coopération avec ARAMCO et Nigerian
National Petroleum Corporation (NNPC).
Pour aller plus
loin sur ce thème, cf ce lien: Les
Emirats cherchent à coloniser l’Afrique
du journal libanais Al Akhbar
Le double jeu de la
Chine dans le Golfe
Conscients du poids
majeur de la Chine dans les routes
maritimes de la région, les Émirats
arabes unis ont été prudents de suivre
une logique de complémentarité de leurs
investissements avec les investissements
chinois. Il est cependant arrivé à
plusieurs reprises que l’expansion de la
présence chinoise s’opère au détriment
des intérêts émiratis.
À Djibouti
notamment, la Chine a remporté les
droits pour développer sa base militaire
au détriment des EAU, et des rumeurs
courent selon lesquelles le gouvernement
djiboutien a mis fin à son contrat avec
Dubai Ports World pour la gestion du
port commercial de Doraleh, avec
l’ambition de le confier à la Chine
De la même manière,
les investissements chinois dans les
ports omanais et qataris pourraient
rendre ceux-ci capables de concurrencer
le port émirati de Jabal Ali. La Chine
joue sur une logique de neutralité et de
diversification de ses partenariats et
investissements dans la région, refusant
en théorie d’interférer dans les
clivages politiques et les affaires
internes des États.
La Chine s’est
montrée prudente en diversifiant ses
partenariats et ses investissements dans
la région, y compris avec les rivaux
d’Abou Dabi. Elle a même parfois su
jouer des rivalités régionales pour
faire avancer ses propres objectifs.
La Chine a
notamment maintenu des relations
bilatérales étroites avec le Qatar. Les
deux pays ont signé un accord de
partenariat stratégique en 2014, et
leurs échanges commerciaux ont
considérablement augmenté l’année
dernière, faisant de la Chine le plus
gros exportateur vers le Qatar en 2018
devant les États-Unis.
La Chine a
également beaucoup investi dans
l’infrastructure du port de Hamad à
Doha, tandis que le Qatar aurait acquis
des missiles balistiques à courte portée
SY-400 de fabrication chinoise
Friture dans les
relations entre l’Arabie saoudite et
Abou Dhabi.
Le partenariat
entre les deux princes héritiers agités
d’un prurit belligène est intervenu sur
fond de fritures dans leurs relations.
Dans la foulée du bombardement des
installations du géant pétrolier
saoudien ARAMCO, sur fond d’une épreuve
de force entre l’Iran et les Etats Unis,
Abou Dhabi a fait des ouvertures à
l’Iran et à la Syrie, d’une part, se
retirant du sud Yémen, d’autre part,
alors que l’Arabie Saoudite menait, de
son côté, des négociations secrètes avec
ses ennemis houthistes à Mascate.
Une sorte de police d’assurance
supplémentaire afin de placer cet émirat
à l’abri des missiles des Houthistes,
qui ont frappé durement son grand voisin
saoudien, notamment ses aéroports du sud
du Royaume, sa capitale à 1.000 km des
frontières du Yémen, et, enfin les
installations du géant pétrolier
saoudien ARAMCO.
La guerre du Yémen
et la fonte des réserves saoudiennes
Le partenariat
saoudo-abou dhabien viserait en fait à
compenser la fonte des réserves
saoudiennes du fait de sa guerre tout
azimut trans-régionale. Un partenariat
scellé par leur bellicisme commun.
A la tête de la
coalition pétro monarchique, l’Arabie
Saoudite a déjà engagé près 500
milliards de dollars au Yémen,
s’ajoutant au 127 pour engagé dans la
guerre en Syrie, soit la somme
astronomique de 627 milliards de
dollars, sans la moindre percée
stratégique majeure, alors que le
Royaume wahhabite, 3eme client de
l’armement mondial, dispose d’un nombre
de chasseurs bombardiers supérieurs à
ceux du Royaume Uni. Une contre
performance qui en fait la risée du
monde.
Pour aller plus
loin sur ce thème :
https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-face-cachee-de-la-guerre-au-yemen_fr_5c92a35ce4b0983cd4e3b36e
A cette somme
pharamineuse s’ajoutent les achats
d’armement saoudiens aux États Unis, 170
milliards de dollars depuis 1973.
Pour éponger son déficit, l’Arabie
saoudite a dû se résoudre à brader ses
bijoux de famille, introduisant en
bourse l’ARAMCO, le fleuron économique
du Royaume à un prix cassé, défiant
toute concurrence: la souscription de
départ fixée à 3 trillions de dollars a
été revue à la baisse à 1,7 mille
milliards de dollars, soit une décote de
40 pour cent de la valeur de
l’entreprise.
Le “grand frère”
saoudien a même intimé au petit frère
d’Abou Dhabi de souscrire à l’opération
de renflouement. L’Arabie saoudite a
d’ailleurs battu un record le 12
décembre 2019, en introduisant à la
Bourse de Riyad 1,5 % du capital de
Saudi Aramco.
L’opération a
permis au géant pétrolier national de
lever 25,6 milliards de dollars et en a
fait le champion historique des entrées
en Bourse, devant le chinois Alibaba. Le
spécialiste du commerce en ligne avait
collecté «seulement» 25 milliards lors
de sa cotation en 2014 à New York.
Le mastodonte
public saoudien, qui génère l’essentiel
des revenus du royaume, a franchi un
autre record. La cession de ses titres a
été réalisée au prix de 8,53 dollars par
action, soit le haut de la fourchette de
30 à 32 rials proposée aux
investisseurs. Aramco est ainsi valorisé
1700 milliards de dollars, soit bien
plus que le champion mondial,
l’américain Apple, dont la
capitalisation boursière atteint 1170
milliards de dollars.
Les investisseurs
du royaume et du Golfe, notamment les
fonds souverains d’Abou Dhabi et du
Koweït, sollicités par les autorités
saoudiennes, ont répondu favorable à la
requête saoudienne.
En comparaison, le
Qatar a engagé 3 milliards de dollars
pour les rebelles dans la guerre de
Syrie de 2011-2013), sans compter les
dépenses en Libye pour la propulsion
d’Abdel Karim Belhadj au poste de
gouverneur de Tripoli; de Mohamad Morsi
à la présidence de l’Égypte; et la
coalition Nahda-Marzouki en Tunisie. Au
Total près de dix milliards de dollars,
avant de se voir retiré le commandement
de la contre révolution arabe au profit
de l’Arabie saoudite.
https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20130517trib000765147/syrie-le-qatar-aurait-depense-3-milliards-de-dollars-pour-armer-les-rebelles.html
Les Émirats qui ont
déjoué un coup d’état fomenté par les
Frères Musulmans se sont montrés
prudents en Syrie. Mais, par leur
acharnement contre l’islam politique
sunnite, ils en viennent à considérer,
que ce soit au Yémen ou en Libye, les
mouvements salafistes comme un moindre
mal. Au Yémen, ils peuvent soutenir des
milices salafistes, aux visions ultra
conservatrices de la société qui ne
correspondent pas à l’image de l’Islam
«modéré» que les Emirats prétendent
promouvoir.
Retour militaire de
la Turquie dans le Monde arabe pour la
première fois depuis la chute de
l’Empire Ottoman.
Une décennie de
bruits et de fureur, de larmes et de
sang consacrée à la destruction des
régimes arabes de type républicain
(Libye, Syrie, Yémen) offre un paysage
contrasté, aux antipodes des vœux des
incendiaires du Monde arabe, avec le
déploiement militaire de la Turquie dans
le Monde arabe, fait nouveau depuis la
chute de l’Empire ottoman.
Ce déploiement
s’est accompagné de l’exclusion des
grands pays arabes de la résolution des
grands conflits régionaux et leur
remplacement par l’Iran et la Turquie,
comme en témoigne le processus d’Astana
sur la Syrie.
La Turquie a mis à profit le désordre
arabe pour se déployer au Qatar, où elle
dispose d’un contingent militaire de
5.000 hommes. En Somalie, où elle
dispose d’une base d’entraînement à
Mogadiscio où la Turquie a investi plus
de 50 millions de dollars pour pouvoir
entraîner de 5 000 à 10 000 recrues
venues de Somalie et d’autres pays
africains.
Enfin au Soudan qui
a accepté que la Turquie restaure le
port de Souakin, situé sur la côte de la
Mer Rouge. Situé à 60 kilomètres au sud
de Port Soudan, le Souakin servait
autrefois de base navale à la marine
ottomane. L’accord a été signé lors
d’une visite officielle du président
Erdoğan au Soudan en décembre 2017.
L’Iran un
croquemitaine pour éponger les déficits
américains.
Les principautés du
Golfe présentent cette singularité
unique au monde de compter davantage de
travailleurs expatriés que de nationaux
et le nombre d’ouvriers en bâtiments
dépasse de loin le nombre de citoyens au
point que le Koweït a cherché dans la
décennie 1990 à se débarrasser des
Bidouns (sans papiers, sans
nationalité), en proposant aux Comores
d’accueillir quatre mille d’entre eux en
échange de lourds investissements
koweïtiens dans le secteur économique.
Abou Dhabi Pour décourager
l’installation durable des immigrés
asiatiques, Abou Dhabi a proposé, lui,
de limiter leur permis de travail et de
résidence à un séjour unique de six ans.
Face à l’Iran, la
constellation des pétromonarchies du
Golfe s’est ainsi transformée en une
véritable base flottante américaine, au
point que se pose la question de la
viabilité stratégique et de la
pertinence politique des gros contrat
d’armement de l’histoire, jamais conclu,
en temps de paix, entre les Etats Unis
et les pays membres de la zone.
Des contrats à tous
égards qui outrepassent les capacités
d’absorption des bénéficiaires de même
que les capacités d’assimilation de cet
armement par ses servants locaux Les
lourds investissements, notamment dans
le domaine militaire, paraissent
stimulés parfois, non pas tant par les
impératifs de sécurité, mais par la
perspective alléchante des commissions
et rétro commissions. A l’indice mondial
de la corruption, l’Arabie Saoudite se
situe hors classement. A croire que les
surfacturations tiennent lieu de «police
d’assurance tous risques» contre
d’éventuelles tentatives de
déstabilisation, de rétribution déguisée
pour un zélé protecteur, une sorte de
mercenariat officieux.
Épilogue: La crainte
d’un retour de flammes.
Commentant les
performances du Fonds Norvégien, le site
en ligne «Ar Rai al Yom», propriété de
l’influent journaliste arabe Abdel Bari
Atwane n’hésitera pas à tancer les
pétromonarchies en ces termes:
Le fonds pétrolier
norvégien génère des intérêts supérieurs
aux revenus du pétrole et du gaz, dont
l’exploitation de surcroît est
postérieure d’une dizaine d’année à
l’exploitation pétrolière saoudienne et
la production infiniment inférieure à la
production saoudienne.
La Norvège alloue
ainsi annuellement 200.000 dollars par
an de pension à ses retraités et la
famille royale n’assume aucune
responsabilité dans la gestion du fonds
souverain.
En contre champs,
les pétromonarchies ont fait fi de l’ère
post pétrolière. Le gaspillage, les
dépenses inconsidérées ont accentué le
taux de chômage dans le Monde arabe, de
même que la pauvreté. Et plutôt que de
consacrer ces fortunes à la défense du
Monde arabe, notamment la Palestine, les
pétromonarchies se sont appliquées
méthodiquement à détruire les pays
arabes (Libye, Syrie, Yémen, Soudan,
Irak) et à déstabiliser l’Égypte et
l’Algérie.
La Norvège devrait
leur servir d’exemple en ce que son
comportement tranche avec la corruption,
la mauvaise gestion, la gabegie, le
clientélisme et la marginalisation des
personnes dotées de compétences au
profit des êtres dociles et serviles qui
caractérisent la gouvernance arabe».
Au terme d’une décennie de furie, les
chameliers du Golfe semblent s’être
rendus compte, un peu tardivement, que
leur fantasia pourrait se révéler contre
productive. Que les incendies qu’ils ont
allumé aux quatre coins du Monde arabe
pourraient atteindre un jour leurs
rivages. Un retour de flammes vers des
rives hautement inflammables. Un retour
de bâton bien mérité; le plus mérité
sans doute de l’histoire contemporaine.
Pour le locuteur
arabophone, le commentaire d’Ar Rai Al
Yom à propos de la performance du Fonds
Souverain Norvégien
sur ce lien
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