Opinion
Irak: La proclamation du califat et
ses conséquences stratégiques
René Naba
Des
combattants de l’EIIL vers Mossoul, le
11 juin 2014. REUTERS
Jeudi 3 juillet 2014
Le calife Ibrahim,
supérieur hiérarchique du roi d’Arabie
et d’Ayman Az Zawahiri, chef d’Al Qaida
Paris – La
proclamation du califat sur l’ancien
territoire des deux premiers empires
arabes (Omeyade-Syrie et
Abbasside-Irak), dimanche 29 juin 2014,
premier jour du mois sacré du Ramadan,
au-delà de sa portée symbolique dans
l’ordre religieux et
politico-historique, a bouleversé
radicalement les données de l’échiquier
régional.
Aube d’une nouvelle renaissance pan
islamique, nostalgie d’une grandeur
révolue ou pathologie passéiste?
Quoiqu’il en soit, l’instauration de ce
5eme califat de l’histoire musulmane
(1), dans la foulée de l’irruption des
djihadistes sunnites sur la scène
irakienne a, en tout état de cause,
officialisé par ricochet la connivence
israélo-kurde, jusque-là souterraine, et
accéléré le processus d’indépendance du
Kurdistan irakien, donnant de surcroît
aux djihadistes sunnites accès aux
gisements pétroliers.
Ces trois facteurs
font planer un sérieux risque de
partition de l’Irak et place désormais
ce pays à l’épicentre du conflit
transrégional; une migration intervenue
après quatre ans de guerre en Syrie en
ce que les gages territoriaux engrangés
par Dahe’ch en Irak devraient constituer
dans son esprit la revanche à ses revers
successifs en Syrie.
Sur le plan rituel, le nouveau calife
Ibrahim, de son nom de guerre Abou Bakr
Al Baghdadi, cumule pouvoir politique et
spirituel avec autorité sur l‘ensemble
des musulmans de la planète. Une posture
qui le hisse au rang de supérieur
hiérarchique du Roi d’Arabie, le gardien
des lieux saints de l’Islam La Mecque et
Médine, d’Ayman Al Zawahiri, le
successeur d’Oussama Ben Laden à la tête
d’Al Qaida, du président de la
confédération mondiale des oulémas
sunnites, Youssef Al Qaradawi, le
téléprédicateur de l’Otan. Ah la belle
audience califale en perspective.
Ah La belle
cérémonie d’allégeance des augustes
obligés du nouveau calife Ibrahim Abou
Bakr Al Baghdadi.
Si les précédents califats ont eu pour
siège des métropoles d’empire, -Damas,
Bagdad, Le Caire (chiite Fatimide) et
Constantinople (Ottoman)-, le dernier
venu a planté son pouvoir dans une zone
quasi désertique à proximité toutefois
des gisements pétroliers générateurs de
royalties, les nerfs de sa guerre. De
même sur le long chemin di Djihad, des
Emirats islamiques ont été institués au
Kandahar (Afghanistan), à Falloujah
(Irak) et au Sahel, mais aucun n’a
jamais songé à planter sa capitale à
Jérusalem. Quelle est loin la Palestine
des préoccupations de ces joyeux
guerriers.
Ce bouleversement symbolique dans la
hiérarchie sunnite sur fond
d’exacerbation du caractère sectaire de
la rivalité sunnite-chiite a modifié
sensiblement les termes du conflit en ce
que la surenchère intégriste des
islamistes sunnites. Un retournement de
situation qui a placé en porte à faux
leurs bailleurs de fonds, principalement
l’Arabie saoudite, qui pourrait pâtir de
ce débordement rigoriste et en payer le
prix au titre de dommage collatéral. La
prohibition par le nouveau calife de la
démocratie aux Musulmans va, à coup sûr,
combler d’aise les Occidentaux, les
parrains originels du djihadisme
planétaire, et renforcer leur vive
sympathie pour les pétromonarchies
rétrogrades.
Par ses répercussions sur le Liban et la
Jordanie, deux pays alliés du camp
atlantiste, l’alliance si bénéfique à ce
jour pourrait se révéler encombrante
pour les pays occidentaux et difficile
la poursuite de la coopération
islamo-atlantiste en ce que la rengaine
chère au duo socialiste Hollande Fabius
-«La faute à Bachar»- ne saurait
indéfiniment constituer une excuse
absolutoire aux turpitudes des pays
occidentaux et des pétromonarchies dont
la plus grande réside précisément dans
cette alliance contre nature entre deux
blocs antinomiques, plutôt que
d’accorder un soutien franc et résolu
aux démocrates arabes dans leur lutte
contre toutes les dictatures.
Le précédent de La
Mecque
Bien qu’à exclure
en l’état des choses, une intervention
directe iranienne trouverait néanmoins
sa justification politique et juridique
dans le précédent de la Mecque, en
novembre 1979, où le GIGN français, bien
que constitué de non musulmans, avait
opéré un nettoyage du sanctuaire, à la
demande de Ryad, pour y déloger des
opposants saoudiens. L’Iran pourrait
invoquer le même motif pour la défense
des lieux saints chiites de Najaf et de
Kerbala, dans le sud de Bagdad. La
neutralité positive observée jusqu’ici
par les Etats-Unis envers l’activisme
iranien pourrait modifier la nature du
conflit et lui substituer un conflit à
fronts renversés avec les chiites
d’Irak, au-delà l’Iran, comme garde-fou
aux nouveaux débordements de la
nébuleuse terroriste néo-islamiste
d’inspiration sunnite.
De par sa configuration géo stratégique,
l’Irak est propulsé ainsi,
involontairement et paradoxalement, en
sentinelle des pétromonarchies.
Limitrophe de la Turquie et de l’Iran,
les deux puissances musulmanes non
arabes, le premier sunnite, le second
chiite, il borde en outre la Syrie et la
Jordanie, ainsi que le Koweït et surtout
l’Arabie saoudite, qui pâtit déjà au
niveau de l’opinion internationale de
son parrainage de Dahe’ch, d’une manière
générale de l’’instrumentalisation de la
religion musulmane à des fins politiques
et de ses retombées djihadistes en
Europe, comme ce fut le cas avec les
dérapages terroristes de Mohamad Merah
et de Hédi Nammouche.
Moqtada As Sadr, le
contre feu chiite de l’ISIS (Dahe’ch).
Cette violente
redistribution des cartes a entrainé une
réplique du plus emblématique dirigeant
chiite d’Irak, Moqtada As Sadr, se
positionnant en contre feu chiite à
l’offensive djihadiste sunnite. Le
puissant dirigeant chiite s’est engagé à
relever le défi posé par l’ISIS,
promettant de « faire trembler la terre
sous les pieds de l’ignorance et de
l’extrémisme » des insurgés sunnites,
sur fond de tractations pour la
formation d’un nouveau gouvernement
irakien, alors que les divers
protagonistes du conflit d’Irak se
mettent en ordre de bataille pour
pallier les effets déstabilisateurs de
l’offensive surprise djihadiste sunnite
sur la scène irakienne. Par sa
déclaration comminatoire, le dignitaire
religieux a voulu rappeler à l’attention
du camp occidental et pétro monarchique
sa force de frappe, -son «Armée du
Mahdi», forte de 200.000 membres-,
l’équivalent irakien du redoutable
Hezbollah libanais, artisan de sérieux
revers des forces d’invasion américaines
notamment à Najaf, en 2004 et à Bassorah,
en 2008. Moqtada As Sadr s’est en outre
déclaré opposer à l’envoi de 300
conseillers militaires en Irak, dont 40
étaient mardi à pied d’œuvre, assurant
qu’il n’accepterait qu’un « soutien
international de la part de pays qui
n’occuperaient pas l’Irak », à
l’arrière-plan des efforts de la
diplomatie américaine visant à mettre
sur pied un gouvernement d’Union
nationale, faisant place à une bonne
représentativité sunnite. Ses
déclarations sont intervenues peu après
un défilé de ses combattants à Sadr
City, dans le nord de Bagdad, alors que,
parallèlement, selon le New York Times,
l’Iran, allié chiite du pouvoir de même
confession à Bagdad, aurait secrètement
déployé des drones de surveillance en
Irak où elle convoierait également du
matériel militaire par voie aérienne et
que, de son côté, la Russie donnait de
la voix, faisant savoir qu’elle ne
resterait pas les bras croisés en cas de
progression de Dah’ech (Etat islamique
en Irak et au Levant-EIIL).
Sous la bannière de
Dahe’ch, les insurgés sunnites se sont
emparés en trois semaines de larges pans
de territoire dans le nord et l’ouest de
l’Irak. Ils ont ainsi ouvert dans
l’ouest du pays une voie vers la Syrie
en s’emparant du poste-frontière de Bou
Kamal, pendant de celui d’Al-Qaïm qu’ils
contrôlent déjà, à la faveur d’une
entente locale avec Al-Qaïda.
Moqtada as Sadr, le
plus emblématique opposant à
l’occupation américaine de l’Irak.
Né en 1973 à Koufa,
ville sainte proche du sanctuaire de
Najaf, disposant du titre de Sayyed qui
signe son appartenance à la descendance
du prophète, Moqtada As-Sadr occupe une
place singulière dans l’échiquier
irakien. Frappé d’un triple sceau de
légitimité -spirituelle, nationaliste et
populaire-, il est le seul dirigeant
irakien d’envergure nationale à n’avoir
jamais transigé sur ces principes,
encore moins pactisé avec ce qu’il
considère être ses «ennemis»,
contrairement aux autres factions
irakiennes.
Si les dirigeants kurdes d’Irak,
particulièrement le clan Barzani,
passent pour être les supplétifs des
Américains et les Chiites largement
sensibles à l’influence iranienne,
notamment les partisans de M. Abdel Aziz
Hakim, chef de l’Armée Islamique du
Salut, les Sunnites se sont, eux, depuis
la jonction entre Al Qaida et
sympathisants de la guérilla baasiste
épaulée par d’anciens agents des
services irakiens, quasiment ralliés à
l’ISIS. Des groupements de Jobhat an
Nosra, la branche opérationnelle d’Al
Qaida en Syrie, ainsi que des segments
de l’Armée Syrienne Libre (ASL), en
position dans les zones frontalières
syro-irakiennes ont eux aussi fait acte
d’allégeance à Dahe’ch.
Curieux
cheminement, au passage, des baasistes
irakiens, une des composantes de l’ISIS,
plutôt que d’opposer un front
idéologique avec leurs frères baasistes
syriens, rallient leur ancien bourreau
saoudien, la caution arabe et musulmane
de l’invasion américaine de l’Irak,
abandonnant à son sort le pouvoir
syrien, qui fut leur plus ferme soutien
dans la guérilla anti américaine en Irak
et s’attira à ce titre les foudres de
Washington par la «Syrian Accountability
Act», en 2003. Selon un bilan officiel
irakien, 1 922 personnes ont été tuées
dans les violences en juin, le plus haut
bilan mensuel depuis mai 2007.
Moqtada As-Sadr
émerge, lui, du lot en tant que
dirigeant religieux nationaliste,
disposant d’une large autonomie qui le
place à l’abri d’une allégeance
contraignante, à la remorque d’aucune
puissance. De par son profil et son
parcours, il était considéré comme le
scalp idéal irakien d’un président
américain en fin de mandat, une «prise
de guerre» à l’effet de magnifier le
bilan de sa «guerre mondiale contre le
terrorisme», à l’effet de magnifier son
bilan présidentiel tout court. Par deux
fois lors de l’invasion américaine de
l’Irak, Moqtada a engagé le combat
contre les occupants de son pays
Américains et Britanniques, à Najaf, en
2004, soit il y a dix ans, à Bagdad et
Bassorah, en 2008.
La bataille de Najaf
en 2004.
En Août 2004, à
Najaf, ville sainte chiite,
l’administration néo-conservatrice avait
caressé le projet de défaire le chef
religieux dans son propre sanctuaire, en
pleine campagne présidentielle
américaine visant à la reconduction du
mandat du Président George Bush. Dans la
foulée de la destruction du fief sunnite
de Falloujah (avril 2004), la bataille
de Najaf, marquée par l’intervention
massive des mercenaires de la firme
américaine «Blackwater» avait constitué
la première épreuve de force entre
Américains et les adversaires chiites de
l’occupation américaine de l’Irak,
regroupés autour de Moqtada As Sadr. Par
son ampleur, la combativité des
miliciens sadristes, et son dénouement,
Najaf est apparue rétrospectivement
comme fondatrice d’une nouvelle
légitimité de Moqtada As Sadr, le
propulsant au centre du jeu politique
irakien, surclassant de loin les autres
protagonistes.
Les combats avaient en effet cessé par
suite de l’intervention de l’Ayatollah
Ali Sistani, l’autorité suprême chiite
en Irak, qui redoutait un désaveu de ses
coreligionnaires surpris par son silence
qu’ils assimilaient à une complicité
passive. L’ayatollah Sistani s’était en
effet envolé vers Londres à la veille
des combats et n’était retourné que pour
ordonner un cessez le feu.
En Avril 2004, qui passe pour avoir été
l’un des points les plus chauds de la
confrontation américano-irakienne, 80
mercenaires avaient été tués dans les
batailles de Falloujah, de Bagdad et de
Nadjaf, dont 14 dans la première
quinzaine d’Avril. C’est d’ailleurs la
capture et la mutilation de quatre
mercenaires à proximité de Falloujah,
dans le secteur sunnite de l’Irak, qui a
déclenché les batailles d’avril.
La bataille de
Bagdad Bassorah, en 2008.
Les Américains sont
revenus à la charge, au printemps 2008,
à Bagdad et Bassorah (sud de l’Irak), en
vue de mettre au pas ce jeune dignitaire
nationaliste chiite, dans une quête
désespérée d’un succès politique et
militaire qui gommerait d’un coup la
pire catastrophe géostratégique du monde
occidental depuis la chute de Saigon
(1975) et du Chah d’Iran (1979), il y a
trente ans. Les pertes militaires
américaines en Irak s’élevaient au 7
avril 2008, à 4.023 soldats tués, 430
suicides au sein des militaires en
activité, un nombre sensiblement plus
élevé parmi les anciens combattants,
soit un taux de suicide chez les
fantassins de l’ordre de 17,3 sur
100.000 soldats contre 11,10 pour
l’ensemble de la population américaine,
selon le «Departement of Veteran Affairs»,
avec en arrière-plan un surcoût
financier de 420 milliards de dollars et
des dommages collatéraux substantiels de
200.00 civils irakiens tués, près d’un
million de blessés et trois millions de
déplacés.
Face au bilan
calamiteux américain en Irak aux effets
corrosifs sans doute comparables à la
défaite soviétique en Afghanistan
(1980-1989), Moqtada Al Sadr, le plus
emblématique opposant à l’occupation
américaine, apparaît, au même titre que
Cheikh Hassan Nasrallah, chef du
mouvement chiite libanais Hezbollah,
comme le scalp idéal qui pouvait
justifier a posteriori l’équipée
américaine en Irak et légitimer toute la
stratégie américaine au Moyen-Orient.
Quatre ans plus tard, la bataille de
Bassorah, en Mars-Avril 2008, était
intervenue dans un contexte radicalement
différent, alors que le 2me mandat de
George Bush touchait à sa fin et que
l’administration américaine faisait
l’objet de pressions multiples visant au
retrait du corps expéditionnaire d’Irak.
Son objectif visait cette fois-là à
briser l’emprise du dignitaire chiite et
son prosélytisme religieux sur cette
métropole située à la jonction
stratégique du Koweït et du Chatt el
Arab, la voie d’eau séparant l’Irak de
l’Iran. Les combats de Bassorah avaient
fait 700 morts dans les rangs sadristes
en mars et 40 autres à Sadr City, dans
son fief chiite de la banlieue populeuse
du Nord-Est de Bagdad. C’est dire le
tribut de sang payé par le dignitaire
chiite à la libération de son pays du
joug américain.
Epilogue…
A trop laissé
vacante la place aux islamistes sur le
champ de bataille.
Face à la menace Dahe’ch, Moqtada Al
Sadr est revenu sur la scène politique
qu’il avait négligée depuis le retrait
américain de son pays. L’homme, il est
vrai, n’a pas pour vocation d’être une
victime sacrificielle que l’on immole
pour apaiser la colère des dieux, selon
les rites anciens des sociétés
primitives, ou dans le cas d’espèce,
pour satisfaire les ambitions des
puissances régionales ou
internationales. Il n’est pas non plus
un «Imam radical», comme la presse
occidentale se plait à qualifier
quiconque s’oppose à l’hégémonie
américaine.
C’est un religieux chiite, dont la
famille par le double assassinat de son
père (2000), l’Ayatollah Mohamad Sadek
As-Sadr, et de son oncle (1989) a payé
un lourd tribut à son opposition à
Saddam Hussein, l’ancien protégé des
Occidentaux. Non un «exilé de
l’extérieur» mais un résistant de
l’intérieur tant à Saddam qu’aux
Américains.
La dénomination de la banlieue populeuse
du sud de Bagdad du nom patronymique de
sa famille «Sadr-city» témoigne de la
ferveur populaire dont il bénéficie au
sein des classes défavorisées de la
société irakienne. Moqtada As Sadr est
en somme le contraire des nouveaux
dirigeants irakiens, notamment les
Kurdes et une fraction des chiites, tel
le banquier Ahmad Chalabi, venus au
pouvoir dans les fourgons de l’armée
américaine.
Au regard des états
de service de sa famille, l’assassinat
de deux dignitaires religieux, son
patriotisme ne saurait souffrir la
moindre suspicion. Il ne saurait prêter
même à la moindre contestation,
contrairement à bon nombre de nouveaux
dirigeants y compris chiites, tel
l’ancien premier ministre Iyad Allaoui,
ancien militant bassiste, opportunément
reconverti dans la collaboration avec
les services occidentaux, dont il a été
un agent attitré, à l’instar de M. Ahmad
Chalabi. A noter toutefois qu’Ahmad
Chalabi, son forfait accompli, a
retrouvé les grâces de Téhéran par ses
prise de distance avec les Etats-Unis;
un virage radicale de son positionnement
dont il a seule le secret.
Enfin, Moqtada As Sadr, dans la
léthargie arabe, est certainement un
agitateur d’idées, certainement pas un
perturbateur. Le jeune chef rebelle,
fougueux, est le grand perturbateur de
la mise au pas saoudo américaine de
l’Irak. C’est le principal grief qui
peut lui être adressé. Les nouveaux
dirigeants irakiens, tant Chiites que
Kurdes, pensaient pouvoir glaner le
pouvoir à Bagdad, dans le sillage docile
de l’occupation américaine. Mais
l’arrogance, la corruption et les
erreurs dont ils ont fait preuve et qui
constituent la marque caractéristique du
zèle des opportunistes, a nourri un
mécontentement populaire et grossi
d’autant les rangs des partisans de
Moqtada.
Sa légitimité
religieuse est plus authentique que
celle des dignitaires religieux chiites,
les exilés de l’extérieur, planqués à
Londres au temps de la répression. Sa
légitimité se nourrit d’ailleurs
directement, paradoxalement, de
l’illégitimité de ses contestataires.
Car il n’était pas sain de développer,
depuis son lieu d’exil londonien, toute
une littérature sur les Droits de
l’Homme et les injustices dont a pâti le
chiisme irakien à travers l’histoire du
pays, pour finir par apporter sa caution
à l’assaut des forces américaines contre
un des hauts lieux saint de l’Islam
chiite, le sanctuaire de Najaf. Une
telle attitude d’incohérence a
discrédité le discours de ses auteurs.
Cela a été exactement le cas des trois
chiites commis d’office par les
Américains au premier gouvernement de
l’Irak post-Saddam: Le premier ministre
Iyad Allaoui, le ministre de la défense
Hazem Chaalane, ainsi que le conseiller
pour la sécurité Mouaffak Al-Roubai,
tous trois titulaires d’un doctorat en
médecine, tous trois d’anciens membres
actifs des comités irakiens des Droits
de l’Homme depuis leur exil londonien et
prosateurs des souffrances des chiites
irakiens. Noury Al Malki récidivera dans
les mêmes erreurs, au point que le
général Qassem Souleimany, le chef de la
«Jerusalem Brigade» des pasdarans
iraniens, le qualifiait dernièrement d’
«idiot».
A trop laisser la
place vacante aux islamistes sur le
champ de bataille, à déserter le
terrain, la vacance finit par se prendre
et avec elle la direction des opérations
d’autant plus aisément que l’Amérique a
renoncé depuis longtemps à son rôle
d’«honnête courtier» entre Israël et les
Etats arabes et que face à une démission
arabe quasi-généralisée et leurs dérives
sectaires, les combattants islamistes,
tant sunnites que chiites, demeurent,
par les armes, au péril de leur vie,
seuls présents sur le théâtre des
opérations.
Le Hezbollah, artisan du dégagement
militaire israélien du Liban sans
négociation, ni traité de paix, de
surcroît un des principaux soutiens
militaires au Hamas, la branche
palestinienne des Frères Musulmans, se
vit à ce titre comme un mouvement de
libération national. Allié de la plus
importante formation chrétienne
libanaise, le «Courant Patriotique
Libanais» du général Michel Aoun,
bénéficiant de la sympathie agissante de
l’élite intellectuelle sunnite
libanaise, il se veut une antithèse des
djihadistes sunnites en ce qu’il n’a
jamais cherché à convertir vers le
chiisme des personnes d’autres religions
ou sans religion, contrairement aux
mouvements sectaires sunnites. Si le
Hezbollah libanais cible prioritairement
Israël, les djihadistes sunnites de
Dahe’ch, de concert avec Jobhat an Nosra,
émanation d’Al Qaida, s’applique
prioritairement à la destruction des
régimes séculiers arabes de la Libye à
la Syrie.
«Ce n’était pas les fascistes qui
avaient fait sombrer la République de
Weimar mais le manque de démocrates. AU
XX me siècle, souvenons-nous en, les
États ont failli à l’époque du nazisme
et du fascisme, en cédant sous la
pression de groupuscules minoritaires»
(Richard von Weizsäcker, Président de la
République fédérale allemande de 1984 à
1994).
Références
1 – Le califat: Le
calife est le successeur du prophète de
l’islam dans l’exercice politique du
pouvoir. Depuis la fondation de l’Islam,
quatre califats se sont succédé à la
tête du Monde musulman: califat omeyyade
de Damas (exilé à Cordoue); califat
abbasside de Bagdad; califat fatimide du
Caire; califat ottoman. Durant les trois
premiers siècles de la conquête arabe
(7ème au 10ème), 39 califes se sont
succédés à la direction du monde
musulman. Quatre Rachidoun, 14 omeyades
et 21 abbassides ont gouverné durant 308
ans, soit une durée moyenne de règne de
7,9 ans. Treize des 39 califes ont péri
de mort violente.
Tous droits
réservés © René Naba • 2014
Reçu de l'auteur pour publication
Le sommaire de René Naba
Le dossier
Irak
Les dernières mises à jour
|