MADANIYA
L’Egypte caution sunnite de la Russie
face à la triplette pro djihadiste
(Arabie saoudite, Qatar, Turquie)
René Naba
Vendredi 2 octobre 2015
2015 marque la fin d’un interminable
cauchemar pour l’Egypte et le début du
recouvrement de sa souveraineté
diplomatique : L’inauguration du nouveau
Canal de Suez concomitant de la
découverte d’un important gisement
gazier dans le domaine maritime égyptien
paraissent devoir dégager quelque peu
l’Égypte de l’étouffante tutelle
économique et diplomatique
pétro-monarchique et permettre à
l’ancien chef de file du nationalisme
arabe de l’époque nassérienne de
reprendre pleinement son rôle moteur
dans le Monde arabe, dans un partenariat
renouvelé avec la Russie, dont il sera
la caution arabe et sunnite.
Telle pourrait être la signification
des dernières démarches diplomatiques du
Caire sur la scène arabe.
Ali Mamlouk au Caire ou la
résurrection de l’homme fort du
renseignement syrien dont la disgrâce a
été annoncée par les journalistes
spécialisés français
Réticent à l’égard d’une nouvelle
aventure du Yémen que bon nombre
d’Arabes considèrent comme une «
agression pétro-monarchique » contre le
plus pauvre pays arabe, l’Egypte s’est
bornée à déployer des troupes le long de
la frontière saoudienne pour la défense
du Royaume évitant soigneusement les
zones de combat, particulièrement le
secteur controversé de Jīzān. Dans la
foulée, le Maréchal Abdel Fattah Sissi a
offert l’hospitalité au « Congrès
fondateur de l’opposition démocratique
syrienne » au Caire en juin 2015, dans
un spectaculaire geste de défiance à
l’égard de la diplomatie wahhabite,
avant de compléter sa démarche par une
rencontre, fin Août, avec le Général Ali
Mamlouk, le chef des services de
renseignements syriens, dans un geste de
défi cette fois à la stratégie
atlantiste, donnant à savoir que « La
Syrie constitue la première ligne de
défense de l’Égypte en ce que les deux
pays combattent le même ennemi « la
confrérie des frères musulmans », selon
des déclarations rapportées par la
presse arabe.
La mort d’Ali Mamlouk a été annoncée
au printemps 2015 par la presse
britannique dans une opération
d’intoxication destinée à démoraliser
les troupes gouvernementales syriennes à
la veille d’une offensive combinée des
djihadistes depuis le Golan et le Front
sud, le secteur Deraa, région frontière
syro jordanienne. Cette opération menée
sous encadrement d’officiers jordaniens
et israéliens a tourné court par suite
de la défaillance djihadiste sur le
terrain. Des journalistes français
généralement présentés comme étant de
grands connaisseurs des affaires du
Moyen-Orient ont repris l’information
concernant Ali Mamlouk en mentionnant sa
destitution et brodant abondamment sur
les raisons de son éviction. De telles
élucubrations, sur fond de présupposés
idéologiques postcoloniaux, expliquent
pour une large part le désastre
stratégique de la France en Syrie.
Sur ce lien, l’éviction du général
Ali Mamlouk annoncé par des journalistes
français prétendument spécialistes du
Monde arabe :
-
http://www.liberation.fr/monde/2015/05/11/damas-la-chute-de-mamlouk-patron-des-services-secrets_1307029
-
http://www.liberation.fr/monde/2015/05/14/le-regime-al-assad-sent-le-vent-tourner_1309632
Autre exemple de la divagation de ces
mêmes prétendus spécialistes français du
Monde arabe, la trop fameuse métaphore
animalière du « cobra » Mohamad Morsi
terrassant la « mangouste » (armée
égyptienne) ; un papier qui se voulait
définitif sur ce sujet, alors que le
président néo-islamiste a été emporté au
terme d’un an de son mandat présidentiel
:
-
http://www.lemonde.fr/international/article/2012/08/13/le-president-egyptien-frappe-l-armee-a-la-tete_1745535_3210.html
Depuis l’annonce de sa mort anglaise
et de sa disgrâce française, Ali Mamlouk
a multiplié les déplacements dans les
capitales arabes. Depuis juin, l’homme
clé des négociations du président syrien
Bahar Al Assad avec les divers
protagonistes du conflit de Syrie s’est
ainsi rendu à Ryad, à Mascate puis au
Caire, indice irréfutable de sa
vitalité, de sa viabilité et de sa
vivacité.
Sur ce lien, l’entretien « musclé »
d’Ali Mamlouk à Ryad, en juin, avec le
fils du roi, le prince Mohamad Ben
Salmane.
http://www.madaniya.info/2015/08/15/vers-une-revision-des-priorites-saoudiennes-en-matiere-de-designation-de-l-ennemi-principal-l-iran-ou-daech/
Sur ce 2me lien, sa rencontre avec le
Maréchal Sissi (Égypte) au Caire mi-août
: La Syrie première ligne de défense de
l’Égypte
-
http://www.al-akhbar.com/node/241871
Comme pour bien ancrer dans l’opinion
arabe et internationale ce nouveau
message égyptien au Monde, une
délégation de journalistes égyptiens
s’est rendue pendant une semaine en
Syrie pour une tournée d’information
dans les diverses provinces sous
contrôle du gouvernement, parallèlement
à une interview de Walid Mouallem, le
ministre syrien des Affaires étrangères,
à la chaîne égyptienne « An Nahar ».
Abou Dhabi et Mascate… Sur le chemin
de Damas
Les déplacements d’Ali Mamlouk dans
les pays arabes ont donné lieu à
chassé-croisé entre Damas et le Golfe.
Six mois après l‘enlisement
pétro-monarchique dans le bourbier
yéménite, la Péninsule arabique apparaît
comme un nœud de vipères, le lieu de
règlement de compte souterrain entre les
prétendus alliés. Ainsi l’Arabie
saoudite et les Emirats arabes Unis,
artisans du reflux houthiste du sud
Yémen, notamment d‘Aden, sont agités par
une sourde rivalité concernant tant leur
comportement vis-à-vis des Frères
Musulmans que vers la Syrie. Une
rivalité si vive au point qu’Abou Dhabi,
rompant la solidarité monarchique, a
dépêche une délégation diplomatique et
sécuritaire à Damas pour discuter avec
le pouvoir baasiste des modalités de
réouverture de l’ambassade des Emirats à
Damas et de la contribution d’Abou Dhabi
à la reconstruction de la Syrie. Le
Sultanat d’Oman, neutre pour sa part
dans le conflit yéménite et lieu
d’intermédiation régionale, notamment
entre Américains et Iraniens sur le
contentieux nucléaire, a emboité le pas
à Abou Dhabi pour soulever auprès des
autorités syriennes la question de la
contribution de Mascate à la
reconstruction de la Syrie.
Abou Dhabi, qui a déjà déjoué une
tentative de coup d’état de la confrérie
des Frères Musulmans, et le Sultanat
d’Oman redoutent en effet qu’un
effondrement de la digue syrienne ne
déclenche un déferlement djihadiste sur
les pétromonarchies et ne perturbe la
quiétude des roitelets du Golfe.
Une position qui converge
furieusement avec celle de l’Egypte et
de la Russie en plein redéploiement
militaire en Syrie, au grand dam des
Occidentaux. « La sécurité de la Syrie
fait partie intégrante de la sécurité de
la Russie », a martelé début septembre
Mikael Bogdanov, vice-ministre russe des
affaires étrangères, à une délégation
des forces patriotiques libanaises,
comme pour bien marteler à destination
des puissances occidentales la ferme
détermination de Moscou à ne pas lâcher
le seul dirigeant arabe qui lui soit
resté fidèle à l’implosion de l’Empire
soviétique.
Mikael Bogdanov : La sécurité de la
Syrie partie intégrante de la sécurité
de la Russie
http://www.al-akhbar.com/node/242050
La fin de la tutelle diplomatique
des pétromonarchies sur l’Égypte
Voie stratégique entre l’Asie et
l’Europe, d’une longueur de 193 km, le
nouveau Canal de Suez offre un raccourci
considérable aux transporteurs
maritimes, leur évitant ainsi de
contourner l’Afrique par le cap de
Bonne-Espérance et de réduire ainsi de
manière substantielle les coûts de
transport. 18.000 bateaux empruntent
chaque année le Canal de Suez ; un
trafic qui représente environ 8 % du
commerce maritime international. Sans
Suez, leur trajet serait rallongé de 7 à
10 jours.
La découverte du « plus grand
gisement off-shore de gaz dans les eaux
de l’Égypte », fin Août, pourrait
représenter un potentiel de 850
milliards de mètres cubes, sur « un
secteur de 100 kilomètres carrés »,
assure la compagnie italienne ENI,
maître d’œuvre du forage, mentionnant un
« champ de gaz super-géant ». La
découverte, faite à 1450 mètres de
profondeur, pourrait également « devenir
l’une des plus grandes réserves de gaz
naturel au monde » et satisfaire les
besoins de l’Égypte durant des
décennies, en même temps que de
torpiller les projets israéliens en la
matière.
Ces deux faits devraient libérer
l’Égypte de la lourde tutelle saoudienne
et déblayer le terrain à un
rapprochement avec l’Iran, un des
nouveaux pôles de référence régional
depuis la conclusion de l’accord
international sur le nucléaire iranien,
en vue de faire contre point, par une
alliance de revers, à l’axe wahhabite
salafiste représentée par l’Arabie
saoudite, le Qatar et la Turquie.
L’Égypte, qui se pose en concurrent
du Qatar au niveau du ravitaillement
gazier de l’Europe occidentale, a
d’ailleurs décliné une offre de Doha
visant à une médiation entre l’Égypte et
les Frères Musulmans, qu’une lutte à
mort oppose depuis la chute de la
monarchie égyptienne en 1952. Le Caire a
prolongé son refus de la médiation
qatarie par sa décision de rétablir
progressivement ses relations
diplomatiques avec Damas, son ancien
partenaire dans quatre guerres
israélo-arabes (1948, Suez 1956, 1967 et
octobre 1973).
Mohamad Hassanein Haykal, l’ancien
confident de Nasser et nouveau confident
de son lointain successeur Sissi a
déblayé la voie à un tel rapprochement
dans une interview au quotidien libanais
As Safir. Une convergence tacite
égypto-iranienne plutôt qu’une alliance
en bonne et due forme afin de ne pas
mécontenter le grand frère saoudien
gardien du dogme sunnite.
Sur ce lien, l’interview de Hassanien
Haykal au journal libanais As Safir
-
http://mobile.assafir.com/Article/431935
Depuis son arrivée au pouvoir, en
2012, le président égyptien a déjà
effectué trois voyages en Russie, indice
patent d’un réchauffement des relations
entre Moscou et le Caire, alors que la
Russie redevenait un des principaux
équipementiers de l’armée égyptienne,
parallèlement à un renforcement de la
présence militaire russe en Syrie.
En Syrie même, et en complément à la
base navale de Tartous et de la
fourniture d’un lot de missiles SA 22,
la Russie a entrepris l’été 2015
d’aménager une base militaire en annexe
de l’aéroport civil de Lattaquié, «
l’Aéroport Bassel Al Assad » pour des
vols de repérage dans les zones
contrôlées par Daech, dans les zones
frontalières de l’Irak et de la Turquie.
En réplique à une mise en garde
américaine contre une trop forte
implication de la Russie aux côtés du
président syrien Bachar Al Assad, Moscou
a ordonné le déploiement en Syrie de son
plus moderne avion de combat Sukhoi 30
et des manœuvres navales aux larges des
côtes syriennes, avec la participation
de croiseurs lance-missiles.
La pantalonnade de la France et la
promotion de l’Arabie saoudite à la
fonction de ‘brebis galeuse’ de la
stratégie islamo-atlantiste
La présence navale et aérienne de la
Russie en Syrie viserait tout autant à
consolider le pouvoir de son allié
syrien, éprouvé par cinq ans de guerre,
qu’à marquer les nouveaux intervenants
sur le champ syrien, notamment la
France. A veiller notamment que les
prochaines frappes françaises ne
favorisent pas, au détriment de Daech,
l’évanescente Armée Libre de Syrie
(ALS), voire pis, son rival Jabhat An
Nosra que la diplomatie française
pourrait être tentée d’impliquer, en
guise de gage dans de futures
négociations, en substitution de
l’opposition off-shore défaillante.
Jabhat an Nosra, rappelle-ton, est
l’ancien geôlier de quatre journalistes
français en Syrie, l’artisan d’une prise
d’otages de 17 religieuses du village
chrétien de Maaloula. Ce groupement a
été gratifié en son temps par Laurent
Fabius, ministre français des Affaires
étrangères, d’un certificat de bonne
conduite sous forme d’un constat abject
: « Jabhat An Nosra fait du bon travail
en Syrie ».
Soixante ans après le désastre militaire
de Bien Bien Phu et du désastre
diplomatique de Suez, la France subit en
cet automne 2015 la plus grande
pantalonnade stratégique de sa
diplomatique avec son virage radicale
sur la guerre de Syrie.
Quant à son mécène saoudien, affligé de
la malédiction des Lieux saints qu’il a
tant instrumentalisé sur fonds de
négligence et d’incompétence avec coup
sur coup la chute de la grue sur
l’édifice de La Mecque et l’étouffoir du
tunnel d’Al Minna (près 900 morts et
1.000 blessés), bouc émissaire des
revers occidentaux en Syrie, est promu
au rang de brebis galeuse de la
stratégie islamo-atlantiste, au même
titre que la Turquie et le qatar.
Le retour en force de la Russie sur
le plan militaire au Moyen Orient, pour
la première fois depuis la déroute
d’Afghanistan et l’implosion de l’Empire
soviétique, recrée ainsi la verticale
stratégique reliant Moscou à la
Méditerranée avec des points d’appui
consolidés : Moscou, Téhéran, Bagdad,
Damas, Beyrouth, avec son prolongement
au sud Liban, fief du Hezbollah, au nord
vers Tartous au sud vers l’Egypte.
Trente ans après la guerre anti
soviétique d’Afghanistan, la Russie se
lance à la chasse des disciples des
djihadistes afghans depuis la Syrie -où
combattent dans les rangs djihadistes
près de 2.500 de ses ressortissants et
3.500 d’Asie centrale-, sur la base
d’une alliance renouvelée avec les deux
puissances régionales en phase de montée
en puissance : l’Égypte, sa caution
arabe et sunnite, et l’Iran, sa caution
chiite, dans une configuration qui
constitue l’exacte contre-pied de la
triangulation atlantiste visant à
étouffer la revendication nationaliste
arabe de la période post indépendance
avec l’alliance d’Israël avec les deux
pays musulmans non arabes du Moyen
Orient, la Turquie (sunnite) et l’Iran
impériale (chiite).
L’ennemi public numéro 1 des Arabes
se retrouve ainsi, trente ans après,
sinon le sauveur des Arabes, à tout le
moins pour une large fraction de la
population arabe, le libérateur de leur
cauchemar matérialisé par la maléfique
alliance entre les pétromonarchies
rétrogrades et le bloc atlantiste.
La stratégie est une science de
prospective méticuleuse du long terme et
non une fanfaronnade démagogique à
portée électoraliste. Et la vengeance un
plat qui se mange froid.
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