Vu du Droit
Passeports Benalla :
une enquête
préliminaire étouffoir ?
Régis de Castelnau
Samedi 29 décembre 2018
Rémy Heitz
nouveau procureur de Paris (choisi par
Macron himself) marche-t-il sur les
brisées de son prédécesseur François
Molins, le virtuose du « circulez, il
n’y a rien à voir » ?
Vous savez François
Molins c’est ce procureur qui a refusé
que l’on instruise sur les raisons de la
disparition du coffre de Benalla et
évidemment sur ce qu’il y avait dedans.
Rappelons qu’au cours d’une perquisition
absolument rocambolesque, grande
première dans l’histoire judiciaire
française la police s’était retirée
avant d’effectuer la perquisition au
domicile du gorille. Pour revenir et
constater le lendemain que, ô surprise,
le coffre personnel de Benalla avait
disparu. Depuis, tout le monde se pose
la question d’un air entendu : « qui a
embarqué le coffre ? Qu’y avait-il donc
de si important dans celui-ci ? Et
pourquoi tout cela n’a pas intéressé
Monsieur Molins ? » Les méchantes
langues disent que poser la question
c’est y répondre.
Eh bien, son
successeur face au scandale provoqué par
l’ahurissante affaire des passeports
diplomatiques du body guard semble aussi
avoir choisi son camp. On rappelle que
pour effectuer des déplacements
d’affaires en Afrique et notamment
rencontrer quelques jours avant Emmanuel
Macron le président du Tchad Alexandre
Benalla aurait utilisé des passeports
diplomatiques restés en sa possession
après son licenciement, et ferait assez
ouvertement, voire officiellement dans
des courriers rendus publics, état de
liens quasi organiques avec les services
de l’Élysée. Le scandale bat son plein,
et prudemment Jean-Yves le Drian s’est
fendu d’un signalement au parquet de la
non-restitution des documents à son
ministère qui les avait délivrés.
Le parquet de Paris
nous annonce précipitamment (histoire
d’éteindre l’incendie ?)
l’ouverture d’une enquête préliminaire
pour la recherche de plusieurs
infractions. Dont la presse parle en
mettant en avant le délit « d’abus de
confiance » prévue à
l’article 314-1 du code pénal :
« L’abus de
confiance est le fait par une personne
de détourner, au préjudice d’autrui, des
fonds, des valeurs ou un bien quelconque
qui lui ont été remis et qu’elle a
acceptés à charge de les rendre, de les
représenter ou d’en faire un usage
déterminé. L’abus de confiance est puni
de trois ans d’emprisonnement et de 375
000 euros d’amende. »
On pouvait craindre
à la lecture de ce texte et la
connaissance de son application que le
parquet souhaite aller vers un
enlisement. Car considérer que le fait
de ne pas avoir rendu les passeports
caractérise en abus de confiance est un
peu tiré par les cheveux. L’article
314–1 vise essentiellement le
détournement d’argent ou d’objets de
valeur. Malgré une recherche approfondie
en jurisprudence il est à craindre qu’il
n’y ait pas précédent en matière de
non-restitution de passeport.
Mais on apprend
qu’est aussi visé dans ses deux alinéas
l’article 433-13 du code :
« Est puni d’un
an d’emprisonnement et de 15 000 euros
d’amende le fait par toute personne :
1° D’exercer une
activité dans des conditions de nature à
créer dans l’esprit du public une
confusion avec l’exercice d’une fonction
publique ou d’une activité réservée aux
officiers publics ou ministériels. 2°
D’user de documents ou d’écrits
présentant, avec des actes judiciaires
ou extrajudiciaires ou avec des
documents administratifs, une
ressemblance de nature à provoquer une
méprise dans l’esprit du public. »
Première
observation amusante,
l’article 433–12 a déjà été appliqué
à Benalla pour l’usurpation de fonctions
considérées comme effective lorsqu’il a
joué les flics place de la Contrescarpe.
Il les aura tous fait…
Cette fois-ci, il
est visé par des soupçons de s’être
comporté après son licenciement comme un
agent officiel mandaté par l’Élysée,
notamment en utilisant les fameux
passeports. Ce qui est intéressant dans
ces incriminations c’est que le parquet
prend parti dans la polémique qui oppose
l’Élysée et Benalla. Ce dernier prétend
que tout ce qu’il a fait, l’a été en
l’informant l’Élysée où il a gardé des
contacts et quasiment avec leur accord.
A priori l’enquête qui va se dérouler ne
portera pas sur le comportement des
services de l’Élysée dans leurs rapports
postérieurs au mois de juillet avec
Benalla, mais uniquement sur les
activités de celui-ci entreprises à
l’aide des passeports diplomatiques.
La ficelle est un
peu grosse. En effet on constate
aisément que ne sont pas visés par
l’enquête :
-
les conditions et les raisons de la
remise de ces passeports à Benalla
le 23 mai 2018 alors qu’il était mis
à pied. Et que d’autre part ses
fonctions officielles ne
justifiaient pas. Cela concerne
Emmanuel Macron et son entourage à
l’Élysée.
-
Les conditions et les raisons qui
ont amené le ministère des affaires
étrangères à réclamer lesdits
passeports à Alexandre Benalla à la
fin du mois de juillet (!). Et les
raisons pour lesquelles le même
ministère est resté complètement
inerte face au défaut de
restitution. Cela concerne Jean-Yves
le Drian et ses services.
-
La réalité de ce qu’avance Benalla,
c’est-à-dire que les services de
l’Élysée lui auraient remis les
passeports avec ses affaires
personnelles au début du mois
d’octobre. Date astucieusement
choisie qui permettrait de se
constituer un alibi et d’éviter les
poursuites pour faux témoignage
devant la commission d’enquête
sénatoriale, celle-ci ayant eu lieu
en septembre. Cela concerne à
nouveau les services de l’Élysée.
C’est curieux cette
impression persistante que l’on nous
prend pour des imbéciles. Il serait
peut-être opportun de nous aider à la
dissiper. Il est en effet impératif que
la lumière soit faite sur ces différents
points qui recèlent autant d’infractions
pénales.
Faux témoignage et parjure pour le
mensonge devant la commission d’enquête,
probables
faux et usage de faux pour
l’obtention de la délivrance des
passeports à Benalla au mois de mai,
détournement de biens s’il est avéré
que les services de l’Élysée ont
restitué au body guard les passeports
début octobre, et
détournement de biens par négligence
pour les services du ministère des
affaires étrangères qui n’ont accompli
aucune diligence pour récupérer les
passeports détournés. On voit donc que
pour l’instant seul Alexandre Benalla
est dans le tuyau, ses (anciens ?) amis
sont pour l’instant tranquilles, et
persiste la déplaisante impression que
la poursuite de
la protection judiciaire de la macronie
serait encore à l’ordre du jour.
La stupéfiante mise
hors de cause de Muriel Pénicaud dans
l’affaire du déplacement à Las Vegas
d’Emmanuel Macron, le maintien ridicule
d’Alexandre Benalla sous le statut de
témoin assisté au motif que l’arme qu’il
brandissait sur une photo aurait été un
pistolet à eau (!), n’ont pas eu l’air
de beaucoup affecter le nouveau
procureur de Paris. Même si ces faits
contribuent à l’effondrement de la
crédibilité de l’appareil judiciaire
dans l’opinion.
Je crois que pour
le parquet de Paris, ce serait peut-être
une bonne idée d’être un peu moins
timide, et de faire vraiment son boulot.
La République y trouverait son compte.
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