Vu du Droit
Privatisations : quand Emmanuel
Macron
prend des libertés avec la loi
Régis de Castelnau
Jeudi 25 avril 2019
Christophe
Lèguevaques est avocat, c’est lui qui a
saisi la juridiction administrative d’un
recours pour excès de pouvoir contre la
procédure conduite par Emmanuel Macron
alors ministre de l’économie et qui
avait abouti à la privatisation de
l’aéroport de Toulouse-Blagnac au profit
d’un consortium chinois. Constatant
l’illégalité du processus mené par
Bercy,
la Cour administrative d’appel de Paris
a annulé le 11 mars dernier le
processus administratif ayant permis de
choisir la société Casil. Curieusement,
pour ce qui constitue quand même un
événement important en ces temps de
polémiques politiques autour de la
privatisation d’Aéroport de Paris voulue
par le président de la république, les
médias ont été relativement modestes.
Nous avons demandé
à Christophe Lèguevaques de nous fournir
son éclairage sur la façon dont les
choses se sont passées.
Regis de
Castelnau – La cour
administrative d’appel vient d annuler
la procédure ayant conduit au choix du
repreneur des 49,99 % du capital de la
société AEROPORT DE TOULOUSE BLAGNAC
« ATB », pouvez-vous nous rappeler
comment nous en sommes arrivés là ?
Christophe
Lèguevaques – Le 4 décembre 2014, M.
Emmanuelle MACRON annonce fièrement que,
sur les recommandations de la commission
des participations et de transferts, il
vient de choisir l’acquéreur des actions
de l’Etat dans la société qui exploite
l’aéroport de Toulouse. Il convient de
rappeler que c’est l’aboutissement d’une
procédure de privatisation initiée par
son prédécesseur au poste de ministre de
l’économie, Arnaud Montebourg. Cette
opération est présentée comme un modèle
réussi de valorisation des bijoux de
famille de l’État et politiques et
médias tressent des lauriers à celui qui
était encore il n’y avait pas longtemps
un parfait inconnu. Comme sous cette
forme cette procédure et une première,
Bercy chargé du pilotage a rédigé un
cahier des charges qui fixait les règles
concernant la soumission par les
opérateurs privés intéressés de leur
candidature. Comme pour toute procédure
publique, ce cahier des charges par
lequel le maître d’ouvrage détermine les
critères et le déroulement devant
aboutir au choix est l’un des éléments
déterminants du dossier. Saisi par toute
une série de requérants, élus,
riverains, associations, parti
politiques et surtout syndicats, opposés
soit au principe même de cette
privatisation soient à son résultat j’ai
été chargé de saisir la juridiction
administrative de ce que l’on appelle un
recours pour excès de pouvoir contre la
décision du ministre.
Il a fallu se
plonger dans un dossier complexe et
volumineux, dans le moins que l’on
puisse dire est qu’il n’était pas
transparent ! On ne reviendra pas sur
toutes les péripéties procédurales, mais
il faut insister sur les difficultés à
obtenir les documents essentiels dont
Emmanuel Macron refusait la
communication, les prétendants frappés
de secret ! Il y avait notamment un
incroyable pacte d’actionnaires révélé
par le journaliste Laurent Mauduit par
lequel l’Etat acceptait de se lie les
mains avec l’opérateur privé, pour une
durée de 12 ans sans contrepartie !
Sur le plan de la
régularité administrative, le moyen
principal était celui du non-respect par
l’État lui-même du cahier des charges de
la privatisation qu’il avait élaborée.
Les services de
Bercy avaient mis en place un mécanisme
en plusieurs étapes. À chacune de l’une
d’entre elles, des candidats étaient
retenus pour la suite alors que d’autres
étaient exclus. Rappelons tout d’abord
que les candidats à une telle
privatisation se présentent très
fréquemment en groupement de plusieurs
sociétés chacune apportant sa compétence
spécifique. Lorsqu’un candidat
représentant un groupement était retenu
pour une étape, il n’était pas possible
pour lui de poursuivre la procédure en
modifiant la composition du groupement
par la suite. Et ce pour une raison
évidente, le choix est ce que l’on
appelle l’intuitu personnae,
c’est-à-dire en fonction des
caractéristiques spécifiques de la
société choisie. Les deux critères de
sélection les plus importants exigés des
candidats étaient avec la surface
financière, la capacité technique de
gérer un aéroport de cette taille.
Rappelons qu’il s’agit du 4e
aéroport français avec 7 millions de
passagers en 2014.
En septembre 2014,
l’offre d’un consortium sino-canadien
est déclarée recevable. En effet, les
actionnaires chinois, les sociétés
SHANDONG HIGH SPEED et FREEMAN PACIFIC
apportent la surface financière. L’une
d’elle vient en effet d’acheter pour 10
milliards d’AIRBUS et les deux sont des
émanations de l’Etat chinois. Le
partenaire canadien quant à lui, la
multinationale SNC LAVALLIN, apporte sa
compétence aéroportuaire incontestable
puisque cette société gère déjà une
quinzaine d’aéroport régionaux en
France. Sur le papier, l’offre parait
sérieuse. Catastrophe en octobre, la
BANQUE MONDIALE décide de placer la SNC
LAVALLIN sur sa liste noire pour des
faits avérés de corruption, notamment en
Libye. L’affaire continue encore
aujourd’hui et éclabousse le premier
ministre canadien, Justin Trudeau, qui
serait intervenu pour éviter des
poursuites. Bref, la SNC LAVALLIN
devient infréquentable. L’offre initiale
est modifiée, exit les Canadiens. Or la
lecture du cahier des charges démontre,
et c’est fort logique, que cette
modification n’était pas possible. Plus
de capacité technique avérée, la
proposition chinoise devenait une simple
offre financière portée par des
spéculateurs n’ayant aucun projet
industriel. Ils en feront d’ailleurs la
démonstration en faisant
adopter au conseil d’administration de
la société exploitante de l’aéroport une
délibération précisant que tous les
bénéfices réalisés seront distribués
sous forme de dividendes et ce pendant
cinq ans. Aucun investissement, aucun
report à nouveau, un exemple de
capitalisme actionnarial spéculatif
chimiquement pur.
Malgré l’évidence
de son caractère irrecevable, l’offre du
consortium chinois est examinée et sera
retenue. Peut-être existait-il des
accords diplomatiques secrets ?
Curieusement, alors que tout le monde
s’attendait à un prix entre 140 et 180
millions, le consortium en propose …
309. Ils emportent le morceau.
Illégalement, puisque la cour
administrative d’appel m’a suivi et
vient de trancher : cette candidature
n’aurait pas dû être examinée et en la
gardant dans la course, cela constitue
un vice substantiel affectant la
procédure qui doit être annulée.
Régis de
Castelnau -quelle est la portée de cette
décision, et quelle incidence sur la
propriété des actions cédées par l’État
au consortium ?
Christophe
Lèguevaques – Nous sommes en fait à
la première étape d’une longue marche
procédurale. Car le juge administratif
ne peut pas apprécier la validité d’un
acte de vente qui est un acte de droit
privé. Relevant de la compétence des
juridictions judiciaires. Il faudra donc
encore obtenir la nullité de l’acte
signée en avril 2015 par une personne
dont la cour administrative d’appel nous
dit qu’elle n’en avait pas le droit car
habilité par une procédure annulée, et
par conséquent censée n’avoir jamais
existé. Devant le juge du contrat
commercial, sera le tribunal de
commerce. Où l’on peut imaginer que
l’État nous attend au tournant en
prétextant que les syndicats n’ont pas
d’intérêt à agir car seul lui-même peut
agir pour défendre ses intérêts. Même
s’il ne le fait pas ? Pourtant, le
maintien d’une vente obtenue dans des
conditions déclarées illégales par le
juge de la puissance publique serait
d’autant plus choquant que l’acquéreur
essaye de revendre sa participation en
empochant au passage une plus-value de
200 millions d’euros ! Cette prédation
de la richesse nationale au profit d’un
état étranger est proprement
insupportable.
Régis de
Castelnau– Cette décision pourrait-elle
avoir des conséquences sur une autre
procédure de privatisation d’aéroport,
en l’occurrence celle d’Aéroport de
Paris ?
Christophe
Lèguevaques – Le dossier ADP est
d’une autre nature. Toulouse est un
aéroport régional. ADP est une service
public national représentant plus de 105
millions de passagers entre Orly –
Roissy et Le Bourget. ADP participe de
la souveraineté nationale et, en sa
qualité de premier propriétaire foncier
d’Ile de France (il possède la surface
de 2 arrondissements parisiens), son
action dépasse la seule région île de
France. Son hub est le 2e hub
européen derrière Heathrow et devrait
connaître un effet de boost à cause du
Brexit. Plus de 65 % de son chiffre
d’affaires provient des redevances pour
service rendu. Bref ADP est un monopole
de fait. Tout cela pose une question
essentielle : la loi peut elle autoriser
la privatisation d’ADP ? La réponse est
dans l’alinéa 9 du préambule de la
constitution de 1946. Ce n’est pas
possible car en présence d’un service
public national ou d’un monopole, les
constituants inspirés par le programme
du Conseil national de la résistance,
ont prévu que ce bien commun doit rester
la propriété de la collectivité.
C’est la raison
pour laquelle on m’a demandé de
m’associer à la procédure de contrôle de
constitutionnalité de la fameuse loi
PACTE voulue par les parlementaires et
de saisir le Conseil Constitutionnel
d’un « mémoire porte étroite
citoyenne ». Nous en reparlerons
prochainement car je le dépose le lundi
5 mai. D’ici là j’invite tous les
citoyens qui le souhaitent d’ajouter
leur nom à la longue liste des enfants
du Conseil National de la Résistance
qui ont signé la pétition et refusent de
voir ainsi brader le patrimoine
national.
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