Vu du Droit
Macrongate : le petit roi et son mépris
du droit
Régis de Castelnau
Lundi 23 juillet 2018
La presse nous rapporte ce
qu’aurait déclaré, en garde à vue,
celui que beaucoup appellent désormais «
le gorille à Manu ». La première chose
qui frappe, c’est l’étonnant culot dont
il fait preuve. La seconde, c’est qu’il
est clair qu’il a été dûment chapitré et
que la stratégie de la Macronie sera de
semer la confusion en espérant continuer
à profiter de la complaisance dont elle
a bénéficié d’une partie du haut
appareil judiciaire. C’est la raison
pour laquelle il est utile sinon
indispensable de revenir sur un certain
nombre d’aspects essentiels de la partie
qui se joue aujourd’hui. D’autant plus
essentiels qu’ils constitueront les
enjeux du débat judiciaire. Or, avec un
exécutif aujourd’hui plaqué au sol et un
législatif transformé en cirque, la
justice est le seul des trois pouvoirs
dont on puisse espérer qu’il sera
capable de rester à peu près debout.
Gare au « gorille »
Le jour du
déclenchement du scandale, après avoir
vu la
vidéo des faits, nous avions établi la
nature des infractions qui devaient être
reprochées à Alexandre Benalla et le
caractère inadmissible de la protection
dont il avait bénéficié après ses
exactions. Le feuilleton qui se déroule
désormais nous apporte une révélation
toutes les heures sur le statut et les
avantages délirants, et manifestement
indus, dont bénéficiait le « gorille ».
Chacun de ces faits doit faire l’objet
d’une analyse juridique qui permette
d’en caractériser l’aspect pénalement
répréhensible, et d’en identifier les
auteurs.
Dans la mesure où
les événements que nous allons étudier
ont fait l’objet de décisions prises par
des fonctionnaires dans le cadre de
structures hiérarchiques, rappelons les
principes de responsabilité qui
gouvernent cette matière.
Tout d’abord, en
application de l’article
28 de la loi sur le statut de la
fonction publique, le fonctionnaire est
tenu à un devoir d’obéissance. Assorti
d’un devoir de désobéissance si l’ordre
qui lui est donné est manifestement
illégal. L’article
122–4 du Code pénal exonère le
fonctionnaire auteur d’une infraction
accomplie sur ordre à la condition qu’il
n’en ait pas connu le caractère illégal.
Apparemment accordés à la demande
d’Emmanuel Macron, les avantages dont a
bénéficié Monsieur Benalla ont fait
l’objet pour chacun de décisions
administratives. Tous les fonctionnaires
impliqués sont donc responsables et il
est indispensable qu’ils en répondent.
Viens chez moi,
j’habite chez un copain
Premier exemple, la
rémunération exorbitante (environ 10 000
euros par mois) perçue par l’homme de
main, selon Le
Parisien. S’agissant de fonds
publics, il est clair qu’il ne peut y
avoir d’arbitraire dans la fixation de
la rémunération des collaborateurs de
l’Élysée. De ce que l’on comprend
aujourd’hui, le montant était
directement lié, non pas à l’utilité de
la mission, mais à la faveur du prince.
Celle-ci ne saurait servir de support à
une décision régulière. Les chiffres qui
circulent dans la presse sont
effectivement complètement excessifs, et
peuvent encourir les foudres de
l’application de l’article
432–15 Code pénal relatif au
détournement de fonds publics. Le
président de la République et ses
collaborateurs, et notamment son chef de
cabinet, sont responsables du maniement
des fonds publics dont ils sont
dépositaires. Les engagements de
dépenses doivent être conformes à
l’intérêt public et non pas le fruit de
faveurs voulues et dispensées par le
chef de l’État. Emmanuel Macron sera
protégé par son immunité présidentielle.
Ce n’est pas le cas de son directeur de
cabinet qui a dû signer le « contrat de
travail » et saisir le comptable public
de l’engagement des dépenses
correspondant à la rémunération. Il est
indispensable qu’il en réponde dans le
cadre d’une procédure judiciaire. Ceci
n’a rien de fantaisiste, on apprend par
un télescopage du calendrier, que Maryse
Joyssains, maire d’Aix-en-Provence, vient
d’être condamnée pour avoir promu
indûment son chauffeur et fourni à ses
proches des emplois de complaisance !
Deuxième exemple,
le logement de fonction. Accordé,
rappelons le, le 8 juillet dernier,
alors même que les communicants de
l’Élysée, empêtrés dans leurs mensonges,
nous affirment que le « gorille à Manu »
était puni. Dans la fonction publique,
concernant les logements de fonction, en
application du
décret du 9 mai 2012, il existe deux
régimes de « concession de logement ».
D’une part, celle par « nécessité
absolue de service » qui impose au
fonctionnaire une disponibilité totale,
et ne donne pas lieu à perception d’une
contrepartie, c’est-à-dire d’un loyer.
D’autre part, une concession avec
paiement d’un loyer, pour les
fonctionnaires qui sans être assujettis
à la nécessité absolue sont tenus
d’accomplir un service d’astreinte. Il
est clair que Monsieur Benalla, au
statut complètement flou, ne rentre dans
aucune des catégories. Et que l’on ne
nous parle pas de sécurité, celle-ci est
assurée dans le cadre de la loi
républicaine par le
Groupe de sécurité de la présidence de
la République (GSPR), composé de
fonctionnaires formés. Qui a pris la
décision d’attribuer ce logement ?
Quelle modalité a été choisie ? Quelle
est la justification de cet avantage en
nature ? Monsieur Benalla est-il
assujetti au versement d’un loyer en
application des stipulations du décret
du 9 mai 2012 ? Si cette attribution, ce
qui est fort probable, est contraire à
la réglementation, l’article 432–15 du
Code pénal trouvera encore à
s’appliquer. Même motif, même punition
pour celui qui a signé sur ordre le
contrat de bail.
Aux armes, etcaetera
Parlons maintenant
de la pseudo-sanction infligée au faux
policier après ses exploits place de la
Contrescarpe. Il apparaît d’ores et déjà
que les soi-disant mise à pied et
rétrogradation sans salaire n’ont jamais
été appliquées. Qu’en est-il de la
rémunération? Le bruit court qu’elle
aurait quand même été versée,
contrairement à ce qui a été dit. Et
pourquoi donc ? À la demande de qui ?
Encore le 432–15 ? Cela devient une
habitude. Il serait bien de s’en
expliquer devant un juge d’instruction.
Il y a également
l’attribution au « gorille » d’un permis
de port d’armes. Autorisation
invraisemblable, mais manifestement sur
ordre du château après un premier refus
circonstancié de la préfecture de
police. Tout simplement parce que les
conditions juridiques n’étaient
probablement pas réunies. Qu’à cela ne
tienne, le prince cède à son homme qui
rêve depuis longtemps d’être «
enfouraillé ». Comme le démontre la
lecture des «Macronleaks », il en avait
formé la demande pendant la campagne
présidentielle. La valeur juridique de
cette nouvelle autorisation mériterait
d’être regardée de près. Son grand ami
Vincent Crase, le salarié du parti LREM,
s’est quant à lui passé de
l’autorisation légale puisqu’il parade,
place de la Contrescarpe, avec un
flingue bien visible sur les photos et
les vidéos. Sous les yeux des policiers
vrais et faux mélangés que ça n’a pas
l’air de gêner. Port d’arme prohibé, et
de première catégorie, excusez du peu.
Là aussi, il serait intéressant de
savoir pourquoi et comment des civils
aussi douteux que nos duettistes peuvent
se promener ainsi armés jusqu’aux dents.
Cela relève des investigations d’un juge
d’instruction.
Et ça continue
encore et encore…
Nous avons ensuite
l’hérésie d’attribuer
un pass d’entrée donnant accès à
tous les locaux de l’Assemblée nationale
et notamment à l’hémicycle (!) à notre
homme de main qui ne pouvait bien sûr y
avoir droit… Il serait intéressant que
François de Rugy, le président de
l’Assemblée nationale, vienne
s’expliquer sur ce manquement
gravissime, qui serait de nature à
éclairer sur le dispositif qu’Emmanuel
Macron commençait à mettre en place pour
privatiser à son profit les services de
sécurité de l’Élysée.
On parlera aussi
de la
fulgurante montée en grade d’Alexandre
Benalla (il était réserviste) dans la
gendarmerie. Plusieurs fonctionnaires de
police ont déjà été mis en garde à vue
et mis
en examen. Trois d’entre eux, aux
grades conséquents, ont trouvé tout à
fait normal de
trahir leur secret professionnel et
de mettre à la disposition d’une
personne visée par la justice des
éléments strictement confidentiels.
Encore bravo !
La liste devrait
normalement s’allonger. Alors à ce
stade, à tous ceux qui, par cupidité,
arrivisme ou lâcheté, ont prêté la main
aux dérives voulues par le chef de
l’État, on rappellera l’existence d’un
autre article du Code qui les concerne
tous.
L’article 433-1 du Code pénal, celui qui
réprime tous ceux qui ont pris des
mesures pour faire échec à l’exécution
de la loi. Tous les faits, toutes les
manœuvres, tous les ordres qui viennent
d’être décrits ci-dessus en relèvent.
Mais que fait la
justice ?
Depuis déjà un
moment, la justice s’est laissée
déshonorer par les agissements de la
juridiction d’exception du Pôle
financier flanquée du Parquet national
financier (PNF). Outil politique acharné
à fausser l’élection présidentielle,
d’abord contre Nicolas Sarkozy puis
contre François Fillon. Outil dirigé
plus récemment contre
le Rassemblement national. Il semble
symétriquement avoir servi d’étouffoir
dès lors que des choses très gênantes
pouvaient être reprochées aux amis du
Parti socialiste ou à la Macronie. Que
sont devenus Kader Arif, Bruno Leroux,
Faouzi Lamdaoui ? Où en sont les
affaires Ferrand, Collomb, Las
Vegas, les
irrégularités financières grossières de
la campagne électorale du candidat
Macron ?
En allant au fond
des choses, le parquet de Paris et les
juges d’instruction du même tribunal ont
l’occasion de commencer à reconstruire
une crédibilité et une légitimité
lourdement entamées auprès de l’opinion.
Il serait vraiment opportun de la
saisir. Pas sûr que l’histoire repasse
les plats.
Quant au président
de la République, il pourrait apparaître
comme l’auteur initial, et par
conséquent le responsable, de tout ce
que le scandale vient de mettre au jour.
Sachant que ce n’est probablement pas
fini. À l’abri de son immunité, il va
peut-être enfin faire un peu
l’expérience du fait que la politique
est d’abord et avant tout un rapport de
force.
Son inconséquence
l’a singulièrement isolé et il pourrait
faire l’expérience de l’ingratitude des
hommes, et de leur capacité à rapidement
chercher des passerelles pour quitter le
navire.
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