Vu du Droit
Considérations sur l’affaire Balkany
Régis de Castelnau
Mardi 17 septembre 2019 Le jugement du
tribunal correctionnel de Paris a eu la
main lourde et cette décision qui mérite
pourtant d’être comprise en prenant le
temps de l’examiner soigneusement, a
pourtant fait immédiatement l’objet d’un
déferlement de commentaires. Dans les
médias et sur les réseaux, des
journalistes, des hommes et des
organisations politiques, des syndicats,
et des simples surfeurs s’en sont donnés
à cœur joie jetant ainsi un éclairage
assez intéressant sur les contradictions
qui travaillent la société française
dans ses rapports à sa Justice.
On rappellera une
fois de plus que l’auteur s’exprime à
partir d’un lieu d’énonciation qui est
celui d’une pratique désormais assez
longue des choses juridiques et
judiciaires.
Incontestablement, les époux Balkany ont
pris cher.
Isabelle et Patrick
Balkany, après une longue procédure
d’instruction ont été condamnés à des
peines de trois ans d’emprisonnement
ferme pour elle et quatre ans ferme pour
lui assorti d’une inéligibilité de 10
ans la peine accessoire maximum. Compte
tenu du quantum qui le permettait, et
en application de
l’article 465 du code de procédure
pénale le tribunal a délivré un «
mandat de dépôt » c’est-à-dire un ordre
donné à l’administration pénitentiaire
de recevoir et incarcérer Patrick
Balkany. Il ne s’agit pas d’une peine
mais d’une mesure de sûreté du type de
celle prononcée par le juge des libertés
et de la détention à l’occasion d’une
instruction. C’est une décision spéciale
qui doit être spécialement motivée, et
qui peut être modifiée par la cour
d’appel. C’est bien cette mesure à la
violence évidente s’ajoutant à un
montant de peine inhabituel en matière
de fraude fiscale qui a provoqué émotion
et malaise. Déclenchant un concert de
protestations hétéroclites accusant, les
magistrats d’avoir voulu faire un carton
sur un élu, l’aversion française pour la
réussite, la discrimination politique,
voire l’antisémitisme (!). Il semble
nécessaire pourtant de rappeler quelques
éléments concrets relatifs à cette
affaire pour éviter de raconter
n’importe quoi.
Tout d’abord, il
s’agit d’un jugement de première
instance, ÉPISODE et non ÉPILOGUE d’une
procédure qui a commencé il y a
plusieurs années. Il n’a d’autres portée
normative opératoire pour l’instant que
le prononcé du mandat de dépôt. La cour
d’appel est désormais saisie, une
nouvelle procédure va avoir lieu devant
elle aboutissant à une nouvelle décision
qui prendra la place de la première.
Cette même décision pourra faire l’objet
d’un pourvoi en cassation, la cour
suprême, vérifiant la régularité de
l’application de la loi dans son contenu
et les formes de son prononcé. Chacun
sait que ceci interviendra dans le
meilleur des cas d’ici deux ou trois ans
et que c’est seulement à ce moment que
l’on saura à quelle sauce Patrick et
Isabelle Balkany ont été mangés par la
justice. Ajoutons en ce qui concerne la
mesure qui à juste titre pose un
problème, c’est-à-dire le mandat de
dépôt, qu’il sera possible de saisir la
même cour d’appel avant l’examen au
fond, pour demander la mise en liberté
du maire de Levallois.
Qui jugeait on ?
Ensuite, qui
jugeait on ? Tout d’abord un personnage
particulier, maire apprécié de ses
administrés, mais qui depuis son
élection en 1983, dans les glorieuses «
années fric », a régulièrement défrayé
la chronique, entretenu avec d’ailleurs
une certaine ingénuité tranquille, des
rapports élastiques avec la morale
publique, et n’a semble-t-il pas compris
que les temps avaient changé, et que
continuer ses provocations En tirant sur
la corde comme il le faisait, risquait
fort de lui donner un jour le statut peu
enviable de bouc émissaire. Le fond du
dossier difficilement réfutable, le
déroulement de l’audience, certains
jours transformés en farce, une défense
confondant prétoires et plateaux
télévisés, voire salles de théâtre, tout
cela n’augurait rien de bon. Est-ce que
cela justifiait le mandat de dépôt à
l’audience ? Sur le plan judiciaire
cette mesure de sûreté ne semble pas
fondée, et l’on a le sentiment d’une
collégialité s’étant laissé aller à une
justice pour l’exemple, qui chacun le
sait ne peut pas être exemplaire. Et
aussi que les époux Balkany ont été
rétribués pour l’ensemble de leur œuvre.
Ce n’est pas la bonne méthode non plus.
La justice n’a à juger que les faits
qu’on lui soumet, et ne doit appliquer
que des peines
« strictement et évidemment nécessaires
». Mais il ne faut pas oublier aussi
que rendue par des hommes elle juge des
hommes, et qu’il n’est pas si facile de
résister, le double degré de juridiction
étant précisément prévu pour éviter ça.
Que jugeait on ?
Enfin que jugeait
on ? Des fraudes fiscales extrêmement
importantes portant sur des sommes aux
origines très suspectes. Pourtant, le
quantum de la peine a été lui jugé
excessif s’agissant d’une infraction de
fraude fiscale que certains considèrent
comme une faute vénielle ne justifiant
pas la mort du pécheur. Si dans ce
domaine, on peut comprendre que
l’administration fiscale préférant
récupérer ses sous privilégie les
arrangements, et que la jurisprudence ne
soit en conséquence pas très sévère, il
est quand même nécessaire de rappeler
certaines choses. Tout d’abord les époux
Balkany étaient poursuivis pour dix
infractions distinctes. Ensuite, comme
Thomas Thévenoud qu’une incoercible «
phobie administrative » empêchait de
déclarer et de payer ses impôts, comme
Jérôme Cahuzac chargé de la lutte contre
la fraude fiscale (!) qui soustrayait et
donc volait à l’État des sommes
considérables, Patrick Balkany était
député. C’est-à-dire qu’il incarnait un
des fondements du pacte républicain et
démocratique celui du consentement à
l’impôt, instrument historique de
l’instauration des démocraties modernes
qui fonde l’exercice de la souveraineté
par les représentants du peuple. Que des
parlementaires dont la mission première
et fondamentale est d’élaborer, de voter
le budget, et de fixer le montant des
impôts que tout un chacun va devoir
régler, pour se dispenser eux-mêmes de
cette charge, constitue une faute
gravissime. Et il est franchement
déplaisant de l’assimiler à celle du
garagiste n’ayant pas déclaré ses
espèces.
Réflexes de
classe ?
Passons maintenant
aux réactions et aux polémiques
provoquées par cette décision. Il y a
d’abord ce que les avocats connaissent
bien et qui est l’effet fréquent
d’inversion que provoque une décision de
justice sévère. Vilipendé et lynché la
veille le condamné accède au statut de
l’individu désormais seul face au
moloch. Fini les rodomontades, les
provocations, l’absence de vergogne,
voilà Balkany dans le statut de celui
qui endure la perte de tous les
attributs du citoyen libre d’un pays
démocratique, et dont tous ceux de la
France d’en haut qui y ont été
confrontés peuvent décrire la violence.
Et cela a fort normalement nourri une
certaine réserve quand ce n’était pas
carrément de la solidarité.
Alors, tout d’abord
il est faux de prétendre que les réseaux
se sont déchaînés pour acclamer
l’embastillement du maire de Levallois.
C’est une dénonciation facile et
concrètement infondée qui permet de
prendre la pose confortable d’une
dénonciation du populisme d’une foule
avide, envieuse et prêt au lynchage. La
populace habituelle, était plutôt moins
nombreuses qu’en d’autres occasions
accompagnées par quelques politiques ne
craignant pas de se déshonorer. Mention
particulière pour le PCF tweetant : «
Balkany en prison, début de la @FetedelHumanite
: Bien belle journée ! », oubliant
le lourd passé du Parti en matière de
racket politique, négocié encore
aujourd’hui à la fête de l’Humanité au
fameux « espace collectivités ».
C’est plutôt en
revanche, la défense de Balkany et la
minimisation de ses infractions,
accompagnées de la critique virulente de
la décision, que l’on a vu s’exprimer
sur les plateaux et dans les colonnes
des gazettes. Ce qui est intéressant
c’est que ce mouvement net et
incontestable, avait semble-t-il deux
origines. Tout d’abord un classique
réflexe de classe dictée par le
sentiment « qu’il est illégitime de
s’attaquer à des gens comme nous ».
Mais aussi de façon plus intéressante,
s’est exprimée un malaise nouveau, la
condamnation du maire de Levallois étant
perçue comme un nouvel avatar des
dérives de l’appareil judiciaire depuis
quelques années. Il semble que
l’opération de diversion de la semaine
précédente avec la mise en examen de
Richard Ferrand destinée à équilibrer
l’acharnement judiciaire contre Jean-Luc
Mélenchon ait fait long feu. Les raids
partiaux contre Nicolas Sarkozy, la
destruction judiciaire de la candidature
Fillon, les poursuites systématiques
contre les opposants, la répression de
masse contre les gilets jaunes, le refus
de contrôler les violences policières,
assortis d’une protection scrupuleuse
des amis du pouvoir, tout ceci commence
à vraiment faire désordre, et enfin les
bouches s’ouvrent.
La Justice
française est en crise sérieuse, et pas
seulement en raison de ses moyens
insuffisants, mais parce qu’une partie a
accepté, parquet et juges du siège
confondus, une instrumentalisation
politique et une connivence avec un
pouvoir brutal, minoritaire et
impopulaire.
À tort ou à raison
le jugement Balkany est considéré comme
un symptôme de cette crise. Les
magistrats ne devraient pas en être
surpris.
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