Vu du Droit
Gilets jaunes : des détentions
arbitraires
Régis de Castelnau
Mardi 16 avril 2019
Atlantico a sollicité mon avis après
les révélations publiées par David
Dufresne sur la façon dont
les forces de police manipulaient les
gardes à vue. Piochant après les
arrestations pour trouver un motif
justifiant ses privations de liberté.
Nouveau scandale qui montre à quel point
le pouvoir d’Emmanuel Macron se moque
des libertés publiques. Faisant
commettre à cette occasion aux forces de
police, et sans que cela n’arrache un
froncement de sourcils à la justice,
l’infraction gravissime de détention
arbitraire par agent public. À un
moment, il faudra sérieusement lui
demander des comptes.
MANIFESTATIONS
GILETS JAUNES : anatomie d’un cas
de garde à vue à motif aléatoireCe lundi
15 avril, le journaliste David Dufresne
publiait son 624e signalement au
ministère de l’intérieur, dans le cadre
du mouvement des Gilets jaunes,
s’appuyant sur un enregistrement audio
pointant un motif aléatoire retenu pour
une garde à vue.
Atlantico : Cet
enregistrement permet-il de caractériser
cette situation ? Comment interpréter ce
cas ?
Régis de
Castelnau : Très simplement. Les
parquets ont reçu des consignes de la
chancellerie pour procéder à des
arrestations « préventives » illégales
accompagnées de gardes à vue illégales.
Le Canard enchaîné avait révélé le
contenu d’un e-mail envoyé par le
procureur du tribunal du grande instance
de Paris à ses troupes. D’après ces
consignes, les procureurs étaient
invités à maintenir les gens arrêtés en
garde à vue, même s’il n’y avait aucun
motif pour le faire. L’objectif étant
bien évidemment de les empêcher
d’exercer leur liberté constitutionnelle
de manifestation. Il semble que cette
pratique se soit généralisée à la France
entière ce qui en dit long sur la
conception du pouvoir macroniste du
respect des libertés publiques
fondamentales et en particulier celles
d’aller venir et de manifester. Parce
qu’à l’écoute de l’enregistrement, nous
avons l’illustration des techniques
utilisées. On arrête les gens
massivement, on les met en garde à vue,
et c’est seulement à ce moment-là que
l’on pioche dans le Code pénal pour
savoir quelles infractions les services
de police vont pouvoir utiliser pour
justifier la rétention des personnes
arrêtées. « Plouf plouf, toi ce sera «
dégradations », plouf plouf, toi ce sera
« rébellion », plouf plouf, toi ce sera
« jet de projectiles ». Et tout ceci est
évidemment couvert par des magistrats
zélés qui ne voient aucun inconvénient à
d’aussi grossières violations de la loi
qu’ils sont pourtant chargés de faire
respecter.
Il serait peut-être
utile de rappeler aux agents publics que
sont les procureurs et les
fonctionnaires de police le texte de
l’article 432-4 du Code pénal :
« Le fait, par
une personne dépositaire de l’autorité
publique ou chargée d’une mission de
service public, agissant dans l’exercice
ou à l’occasion de l’exercice de ses
fonctions ou de sa mission, d’ordonner
ou d’accomplir arbitrairement un acte
attentatoire à la liberté individuelle
est puni de sept ans d’emprisonnement et
de 100 000 euros d’amende. »
Si l’État de droit dont le pouvoir se
rengorge à toute occasion, n’était pas à
géométrie variable désormais dans notre
pays, il y a longtemps qu’il aurait été
mis fin à ces pratiques et que les
responsables auraient été sanctionnés.
Que peut révéler
ce cas d’espèce sur la situation globale
des gardes à vue depuis le début du
mouvement des Gilets jaunes ?
Les brutalités
policières à foison que chacun peut voir
sur d’innombrables vidéos qui circulent
relèvent de la législation sur les
violences accomplies par des
fonctionnaires dans l’exercice de leurs
fonctions. Depuis le début mouvement des
gilets jaunes, ceux qui s’y livrent sont
scrupuleusement protégés de toute
poursuite malgré les évidences. Mais
s’agissant de ces interpellations et de
cette utilisation systématique,
délibérée et organisée des gardes à vue
comme outil d’arrestations préventives,
nous sommes en présence d’une décision
politique pour porter atteinte au droit
de manifester. Le pire répétons-le est
que ces dérives sont organisées par ces
magistrats, pourtant chargés de faire
respecter la loi. Auxquels les forces de
police ne font qu’obéir. On rappellera
cependant à ces dernières, qu’obéissant
ainsi à des ordres aussi manifestement
illégaux, elles engagent leurs propres
responsabilités pénales.
Nous avons là
l’illustration de l’acharnement obtus
d’Emmanuel Macron, qui incapable
d’imaginer une solution politique à la
crise, n’envisage comme sortie qu’une
répression policière et judiciaire sans
précédent depuis la guerre d’Algérie. Et
avec cette instrumentalisation, il a
pris le risque de porter atteinte à la
confiance qui devrait exister entre les
citoyens et les autorités policières et
judiciaires. Cette confiance est
désormais lourdement obérée, et
probablement pour longtemps.
Quels sont les
recours potentiels dans un tel cas ?
Quelles pourraient en être les
conséquences, à terme, pour le
gouvernement ?
La question est de
savoir combien de temps une partie la
magistrature française peut accepter de
continuer à faire ce sale boulot. On
rappellera que malheureusement au zèle
des parquets à exécuter les ordres
illégaux du gouvernement, s’est ajouté
celui de beaucoup de juges du siège qui
ont oublié que leur mission n’était pas
de rétablir l’ordre mais de rendre la
justice, ce qui n’est pas la même chose.
Procédures illégales, incriminations
fantaisistes et peines parfois
délirantes, le mouvement des gilets
jaunes a payé un lourd tribut à cette
ivresse répressive.
En ce qui concerne
les recours, il n’y a pas grand-chose à
espérer pour le moment parce qu’en effet
la répression des illégalités exposées
ici relève de la compétence de la
justice… Tout le monde aura noté
l’assourdissant silence des
organisations syndicales de magistrats
pourtant habituellement très prolixes
quand il s’agit de donner de leçons. Il
faut simplement prendre date, et que
toutes ces infractions et ces atteintes
aux libertés fassent l’objet de plaintes
et qu’il en reste ainsi la trace.
Car en fait la
question est essentiellement politique.
La presse et les gouvernements
étrangers, jusqu’aux institutions
internationales stupéfaits de ces
dérives ont manifesté leur émotion. Dans
l’opinion publique française la
perception de cette réalité est acquise.
Les deux corps concernés, police et
justice qui ont accepté, d’être le bras
armé de la seule solution répressive,
sont aujourd’hui incontestablement
traversés par des contradictions. Il est
clair que des changements politiques
adviendront, personne ne pouvant
raisonnablement penser que cette
situation de blocage puisse perdurer. Il
n’est pas audacieux de dire que le
quinquennat d’Emmanuel Macron est
terminé sous sa forme initiale. Ceux qui
ont été à la manœuvre de ce qui s’est
produit depuis le mois de novembre en
matière d’atteintes aux libertés auront
à rendre des comptes. Il faudra y
veiller.
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