Vu du Droit
Répression des gilets jaunes :
un
polytechnicien dangereux
Régis de Castelnau
Mercredi 13 mars 2019 Régis Portalez est
un homme dangereux. Heureusement, la
Garde des Sceaux et le procureur du
tribunal de grande instance de Paris,
son relais répressif zélé, veillent et
sont décidés à le mettre hors d’état de
nuire.
Pensez donc, voilà
quelqu’un qui a passé le concours de
l’École Polytechnique et qui l’a réussi.
Il a étudié quatre ans dans cette école
pour en sortir muni de son prestigieux
diplôme. Pendant sa scolarité, et comme
tous ses condisciples il portait dans
les cérémonies, officielles ou non, le
fameux uniforme bleu foncé assorti du
bicorne à cocarde avec l’épée au côté.
Ce n’est pas un uniforme militaire,
simplement une tenue civile que la
tradition autorise à porter une fois
l’école quittée, dans les occasions qui
le méritent : cérémonies familiales,
mariages, réunions d’anciens élèves etc.
etc. Il se trouve que Régis Portalez a
été touché par le surgissement du
mouvement des gilets jaunes, et qu’il a
souhaité faire part à cette France d’en
bas de sa solidarité et de sa gratitude.
Parce que ce diplôme prestigieux, il le
doit évidemment à son talent, mais aussi
aux citoyens de ce pays qui l’ont
financé. Il a trouvé logique de saluer
leur combat pour la dignité et de leur
dire merci et quel meilleur moyen que de
se rendre dans une de leurs
manifestations, revêtu de cet uniforme
si reconnaissable. On imagine aisément
que sentimental, il a aussi pensé au
précédent dont rend compte le
célébrissime tableau de Delacroix « la
liberté guidant le peuple » ou apparaît
sur la barricade le bicorne d’un de ses
condisciples de 1848. Un peu tendu au
départ il se demandait ce que serait
l’accueil. Ce fut chaleureux, fraternel
et reconnaissant pour ce message de si
belle allure qui disait beaucoup.
Que n’avait-il fait
malheureux ! Fraterniser avec la foule
haineuse, oser dire à la France d’en bas
qu’il n’y a qu’une seule France,
exprimer une opinion politique contraire
à celles d’Emmanuel Macron ? Mais
Monsieur, non seulement c’est interdit,
mais c’est une infraction pénale qui
doit être réprimée sans pitié.
Probablement immédiatement saisie, la
direction de l’école fut sommée de sévir
à l’encontre de quelqu’un avec lequel
elle n’avait pourtant plus aucun lien
juridique. En rupture avec la tradition,
le nouveau président de l’X récemment
nommé par Emmanuel Macron, n’est pas
issu de l’armée française, mais sans
surprise d’un cabinet de conseil
anglo-saxon. Tout occupé paraît-il à la
confection d’un uniforme original pour
lui, il n’aurait pas donné suite.
Toujours au conditionnel, sévère rappel
à l’ordre de la chancellerie par
l’intermédiaire du procureur de Paris
afin que l’école dépose une plainte
pénale (!!!). Ce qui fut fait, et le
parquet d’ouvrir immédiatement une
enquête préliminaire et de faire
convoquer le dangereux criminel par la
police.
Le même procureur,
vous savez celui qui donne
consignes à ses services de se
livrer à des détentions arbitraires et
protège scrupuleusement les amis de
Monsieur Macron comme le révélait
récemment le Canard enchaîné, le même
procureur donc, toujours soucieux de
réprimer et d’intimider a trouvé une
incrimination parfaitement inepte. Qu’à
cela ne tienne la fin justifie les
moyens, probablement. Il s’agit de
l’alinéa premier de
l’article 433-14 dont la simple
lecture démontre le caractère
fantaisiste de l’accusation dans la
mesure où l’uniforme des polytechniciens
n’est pas réglementé par l’autorité
publique.
Cela rappelle le
sort fait à ce professeur d’université
blanchi sous le harnais et convoqué,
toujours à la demande du parquet, par
une police agressive pour avoir sur
Twitter qualifié les blindés utilisés
par la gendarmerie contre les gilets
jaunes de « matériel obsolète ». Nul
doute que ses compétences techniques
témoignaient de sa volonté de répondre à
l’injonction de Macron et d’aller le
chercher à l’Élysée.
Tout ceci serait
parfaitement ridicule dans un pays où il
faut le rappeler près de 2 millions
d’infractions par an, avec auteurs
connus font l’objet tous les ans
d’absence de poursuites sur décision du
parquet. Mais ça ne l’est pas, parce que
le symptôme de cette volonté exprimée
sans fard par Emmanuel Macron lors de
ses vœux du nouvel an où il a fait
comprendre qu’il ne se considérait pas
comme le président de tous les Français
et qu’il réprimerait sans mollir ce
qu’il appelle la « foule haineuse ».
Et c’est comme cela
que le premier ministre vient
triomphalement revendiquer devant
l’Assemblée nationale un bilan de
répression de masse inconnu depuis la
guerre d’Algérie.
Le 12 février, le premier ministre,
Edouard Philippe, a déclaré devant
l’Assemblée nationale : « Depuis le
début de ces événements, 1796
condamnations ont été prononcées par la
justice et 1422 personnes sont encore en
attente de jugement » (…) « plus de 1300
comparutions immédiates ont été
organisées et 316 personnes ont été
placées sous mandat de dépôt ». Ce bilan
qui s’est aggravé depuis lors n’a pas pu
être établi dans le respect des règles
d’une justice normale, c’est
matériellement impossible.
Multiplication des procédures illégales,
peines hors de proportion,
incriminations fantaisistes ont été la
norme pendant quelques semaines. En
France on s’en est ému, à l’étranger
aussi où la presse américaine a été
jusqu’à dire
qu’Emmanuel Macron allait faire oublier
Poutine.
Et c’est comme cela
que cette répression judiciaire de masse
a été précédée d’une répression
policière de masse elle aussi, émaillée
d’un nombre invraisemblable et avéré de
violences indignes d’un pays
démocratique. L’utilisation de
techniques policières, de matériels
dangereux et de comportements
ouvertement violents revendiqués comme
tels ont abouti à un bilan humain
catastrophique. Partout sur les réseaux
on trouve des images qui en témoignent
et provoquent l’inquiétude sur l’état
des libertés publiques dans notre pays.
Et c’est comme
cela,
qu’un président de la république,
perdant tout bon sens profère des
phrases qui illustrent les dérives de ce
pouvoir allant jusqu’à dire « il est
inacceptable dans un État de droit de
parler de violences policières ».
Pardon ?
Une « violence
policière », c’est une violence commise
par un policier dans l’exercice de ses
fonctions, en violation du code pénal et
des règles qui organisent sa profession
et ses interventions. Vis-à-vis du code
pénal, les violences ne sont pas
traitées de la même façon si elles sont
commises par un particulier ou par un
policier. C’est le septième alinéa de l’article
222-13 du Code pénal qui aggrave les
condamnations des violences commises : «
Par une personne dépositaire de
l’autorité publique ou chargée d’une
mission de service public dans
l’exercice ou à l’occasion de l’exercice
de ses fonctions ou de sa mission ».
Lorsque l’on voit sur des vidéos des
violences incontestables et illégales,
commises par des policiers en uniforme
dans l’exercice de leurs fonctions, il
est inacceptable de parler de «
violences policières » ? Lorsque l’IGPN,
organe républicain de contrôle de la
police, enquête sur ce qu’elle qualifie
elle-même de « violences policières
», c’est inacceptable ? Lorsque le
parquet poursuit des policiers pour des
faits commis en violation du code pénal
français, qui qualifie spécifiquement
les « violences policières »,
c’est inacceptable ? Lorsque des juges
d’instruction mettent en examen des
policiers pour des violences commises en
violation de l’article 221–5 du code
pénal, c’est inacceptable ? Lorsqu’un
tribunal condamne des policiers en
application de cet article, c’est
inacceptable ? Lorsque la presse ou
n’importe quel citoyen utilisent la
liberté d’expression garantie par la
constitution et la déclaration des
droits de l’homme pour qualifier de «
violences policières », les
comportements violents et illégaux de
policiers dans l’exercice de leurs
fonctions, c’est inacceptable ?
Aurait-on
définitivement perdu Emmanuel Macron ?
En tout cas, lui n’a pas perdu le
soutien obstiné de certains journalistes
comme en témoigne
ce « débat » où quatre d’entre eux
crient au complot, certains allant
jusqu’à insulter l’ancienne présidente
chilienne Michelle Bachelet accusée
élégamment d’avoir « fumé la moquette »,
alors que comme haut-commissaire des
Nations unies aux droits de l’homme elle fait
son devoir en s’inquiétant, comme
d’autres institutions internationales
d’ailleurs, des dérives de la répression
en France. Pour ces gens-là, faire son
devoir et dire la vérité ne peut avoir
pour origine qu’un complot concocté avec
Maduro et tant qu’à faire, Fidel Castro
et Che Guevara. Au point où on en est
pourquoi se gêner ?
Ce qui est curieux,
c’est que pour ma part je suis aussi
très inquiet des dérives liberticides
que connaît notre pays présidé par
Emmanuel Macron. Et je le dis. Je n’ai
pourtant pas organisé de complot avec
Nicolas Maduro.
Ce doit être par ce
que je n’ai pas son numéro de portable.
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