Vu du Droit
Répression judiciaire des gilets jaunes
:
Edouard Philippe fait du chiffre
Régis de Castelnau
Lundi 11 février 2019
Condamnations de
Gilets jaunes : la curieuse approche
quantitative de la justice mise en avant
par Édouard Philippe
Les chiffres
dévoilés par le premier ministre
indiquent une instrumentalisation de la
justice et un mépris du droit.
Interview publiée dans Atlantico.
Atlantico : ce
mardi 12 février, le premier ministre,
Edouard Philippe, a déclaré devant
l’Assemblée nationale : « Depuis le
début de ces événements, 1796
condamnations ont été prononcées par la
justice et 1422 personnes sont encore en
attente de jugement » (…) « plus de 1300
comparutions immédiates ont été
organisées et 316 personnes ont été
placées sous mandat de dépôt ». Comment
comprendre de tels chiffres, faut-il y
voir une excessive sévérité, ou
traitement « juste » de la situation eu
égard aux événements ?
Régis de
Castelnau : Ces chiffres sont
proprement ahurissants. Il s’agit donc,
et c’est assumé comme tel, d’une
répression de masse. C’est-à-dire qu’on
a mobilisé l’appareil judiciaire depuis
trois mois pour faire ce qui ne peut
plus s’apparenter à une justice normale,
mais à une justice d’exception, à une
justice de masse.
La justice
française complètement en crise par
défaut de moyens, et qui a beaucoup de
mal à effectuer les missions qui sont
les siennes dans le cadre de son service
public vient d’être instrumentalisée au
service du pouvoir exécutif pour mettre
en place une répression sans exemple
depuis la fin de la guerre d’Algérie.
Soyons clairs, on ne peut pas rendre une
justice digne de ce nom, avec des
procédures régulières, des débats
contradictoires, des décisions
équilibrées dans ces conditions. 316
personnes placées sous mandat de dépôt,
dont une proportion considérable de gens
sans casier judiciaire, ce chiffre doit
être rapporté à ce que la presse nous
apprend tous les jours concernant la
délinquance des quartiers ou des gens
ayant jusqu’à 20 condamnations pour des
délits graves à leur casier n’ont jamais
fait un jour de prison. Cette
statistique est claire, c’est une
justice d’exception qui a été rendue
indigne d’un pays comme le nôtre. Le
président de la république a fait le
choix, non pas du maintien de l’ordre
mais celui d’une répression brutale du
mouvement des gilets jaunes. Que la
justice souvent parquet et juges du
siège ensemble ait accepté d’exécuter
les ordres de l’Élysée et de la place
Vendôme est une régression qui nous
renvoie des dizaines d’années en
arrière. Désormais lorsque les syndicats
de magistrats nous parleront
d’indépendance et d’impartialité ils se
feront rire au nez. Surtout que dans le
même temps, et l’affaire Benalla est là
pour le démontrer, la même justice est
d’une complaisance surprenante avec les
délinquants qui entourent le chef de
l’État.
Des groupes d’avocats se sont organisés
pour faire face à ce moment liberticide,
et les informations qui remontent sont
consternantes. Incriminations
fantaisistes, procédures bâclées, peines
exorbitantes infligées pour des
infractions imaginaires, mises en cause
systématique des droits de la défense.
Il y a aussi bien sûr les comportements
des parquets comme par exemple celui de
Paris par le Canard enchaîné, ou le
procureur du tribunal de grande instance
ordonne à ses substituts de violer la
loi et de conserver les gens garde à vue
en commettant des séquestrations
arbitraires. Il y a bien sûr également
les refus catégoriques malgré les
évidences de poursuivre les policiers
frappeurs, alors que les préfets en
saisissant l’IGPN font eux leur devoir.
Je dois reconnaître
que la façon dont l’appareil judiciaire
s’est comporté à l’occasion du mouvement
des gilets jaunes a quand même été pour
moi une surprise. L’image d’une justice
équitable, respectueuse de sa mission et
de la loi est détruite dans l’opinion
publique pour longtemps. Comment pour
complaire au pouvoir exécutif des
magistrats ont-ils accepté de prendre ce
risque ?
En tout cas cette
statistique établit que cet appareil
judiciaire, oubliant sa mission de
rendre la justice, a choisi de se
comporter en supplétif de la police pour
rétablir l’ordre. C’est complètement
déplorable.
Comment
interpréter cette vision quantitative de
la Justice de la part du premier
ministre ?
Que le premier
ministre revendique triomphalement de
telles statistiques qui n’établissent
qu’une chose, c’est la vision
instrumentale de la justice de ce
pouvoir, en dit long sur le mépris du
droit qui le caractérise. Il dirige un
gouvernement qui est en train de faire
voter une
nouvelle loi sur l’organisation de la
justice que tout le monde judiciaire
considère comme de pure régression, et
qui passe son temps à rogner sur le
budget de ce qui devrait être un grand
service public. Et maintenant il vient à
l’Assemblée nationale brandir des
statistiques que ceux qui savent ce que
doit être la justice, considèrent comme
déshonorantes. « Regardez, la justice
expéditive que nous avons ordonnée a
condamné 1796 de ces horribles gilets
jaunes. Elle en a mis 316 au trou. C’est
une magnifique victoire ! » A quand
le premier ministre venant de la même
façon triomphale brandir les
statistiques des gens éborgnés, des
mains arrachées, des blessés de toutes
sortes ?
Ce qui apparaît
dans ce comportement passablement
indigne, c’est cet aveuglement sur ce
qui se passe dans ce pays et sur le
rejet dont le président de la république
lui-même font l’objet. Persuadés d’être
plus intelligents que tout le monde lui
et ses équipes emmènent le pays dans une
impasse mortifère en continuant de
l’abîmer. Je ne sais pas comment tout
cela finira, mais il est sûr que la
trace que Monsieur Édouard Philippe
laissera dans l’histoire sera
particulièrement laide.
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