Vu du Droit
Jean-Paul Delevoye :
petits et gros arrangements du bénévoleur
Régis de Castelnau
Jeudi 12 décembre 2019
Jean-Paul Delevoye
rentré en politique en 1974 a
collectionné, mandats et fonctions,
étant successivement dans le désordre
conseiller général, maire, député,
sénateur, président d’intercommunalité,
ministre, président de l’Association des
Maires de France (AMF), Médiateur de la
République, président du Conseil
Économique, Social et Environnemental,
etc. etc. à quoi s’ajouteront
présidences et missions diverses. La
plupart de ces activités ont été
rémunérées et ont produit des retraites
spécifiques. Jean-Paul Delevoye
bénéficie donc d’un statut matériel
probablement très confortable, tant
mieux pour lui. Membre du RPR
devenu UMP il en partira en 2014 quand
il n’eut plus besoin de ses investitures
et rallia assez tôt Emmanuel Macron,
pour lequel il présidera la commission
des investitures LREM pour les
législatives de 2017.
Haut Commissaire
saison I
Le 14 septembre 2017 il est nommé en
conseil des ministres haut-commissaire à
la Réforme des retraites auprès
d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités
et de la Santé. Sous sa direction sera
établi un rapport remis au gouvernement
et le 3 septembre 2019, près de deux ans
plus tard, il est nommé haut-commissaire
aux Retraites, toujours déléguée auprès
d’Agnès Buzyn.
Dès cet instant,
nous sommes confrontés à la nécessité de
qualifier juridiquement ce poste de «
haut-commissaire », déjà utilisé assez
largement par les IIIe et IVe
républiques et à qui Nicolas Sarkozy
avait donné une nouvelle actualité
avec la nomination en 2007 de Martin
Hirsch. Le titulaire d’un tel poste
devient à l’évidence « agent public »
mais est-il membre du gouvernement, et
Jean-Paul Delevoye avait-il ce statut
dès le 14 septembre 2017 ?
Son décret de nomination est pris en
application de
l’article 13 de la Constitution,
celui qui fait référence au pouvoir du
président de la république de nommer aux
emplois publics. La qualification de
haut-commissaire est ambiguë, et les
prérogatives et attributions de
Jean-Paul Delevoye dès ce moment-là le
rapprochent singulièrement d’un poste de
ministre ou de secrétaire d’État. Et
pour le moins, un certain nombre
d’obligations qui s’imposent à ces
derniers devraient lui être applicables.
Si tant est que
l’on admet, ce qui mérite pourtant
discussion, que Jean-Paul Delevoye n’est
pas membre du gouvernement entre le 14
septembre 2017 et le 3 septembre 2019,
pèsent sur lui quand même un certain
nombre d’obligations liées à son statut
indiscutable d’agent public.
Or nous avons
appris que le haut-commissaire était un
étourdi. Pensez donc, il avait « oublié
» dans sa déclaration d’intérêts à la
Haute Autorité pour la Transparence de
la Vie Publique, de mentionner qu’il
occupait depuis 2016 le poste de
président de l’IFPASS, institut de
formation aux métiers de l’assurance qui
revendique de former 8000 personnes par
an ! Ce qui veut dire que
le haut-commissaire entretien à
l’évidence des rapports étroits avec
le monde de l’assurance, dont chacun
sait qu’il est particulièrement concerné
par la réforme qui se profile. Car comme
le disait le directeur général d’AG2R
approuvant la réforme des retraites
ouvre des perspectives pour les
assureurs. » Sans blague ! Pour toute
défense Monsieur Delevoye nous dit que
c’était une fonction « bénévole » et
ajoute « s’il y a incompatibilité, je
vais rectifier cela et démissionner de
ce mandat ». Certes, mais cette
démission ne va pas effacer la faute
commise entre le 3 septembre 2017 et
aujourd’hui. Et dans le droit pénal
français, cette faute s’appelle la prise
illégale d’intérêts prévue et réprimée
par l’article 432-12 du Code pénal
qui réprime le mélange des genres. Trois
conditions doivent être réunies pour
être condamné : être un agent public,
avoir eu l’administration d’une affaire
dans le cadre de ses fonctions
publiques, et avoir conservé des
intérêts privés mêmes purement moraux
sur le même sujet. L’objectif est
d’éviter que les décisions prises par
l’agent public, normalement dans
l’intérêt général, puissent être
soupçonnées de l’avoir été pour des
raisons privées. Alors, il est bien
évident que cette réforme n’est
absolument pas entreprise pour ouvrir un
marché de la retraite par capitalisation
vous assurance privée, qui pourrait
penser une horreur pareille ? Le
problème du haut-commissaire, est que ce
que réprime l’article 432–12 du code
n’est pas une intention mais une
situation.
A priori, jusqu’au
3 septembre de cette année, Jean-Paul
Delevoye n’était pas ministre, il est
par conséquents justiciable des
tribunaux ordinaires. Personne ne peut
douter que le PNF se saisisse prestement
de cette « atteinte à la probité »
(c’est le titre du chapitre du Code
pénal concerné) et sollicite en urgence
l’ouverture d’une information judiciaire
du Pôle d’instruction financier. Ceux
que l’on peut entendre ricaner jusqu’ici
sont de mauvais citoyens qui pensent
négatif. La Justice est indépendante on
vous dit ! Et surtout impartiale !
Haut Commissaire
saison II
Effet double lame
maintenant. Emmanuel Macron par décret
du 3 septembre 2019 pris en application
cette fois-ci de
l’article 8 de la Constitution nomme
le déjà haut-commissaire …au poste de
haut-commissaire, mais avec cette
fois-ci de manière explicite le statut
de « membre du gouvernement ». Nous
venons d’apprendre que le
haut-commissaire devenu …
haut-commissaire, et désormais sûrement
membre du gouvernement avait continué à
percevoir des revenus privés de 5300 €
par mois liés à un poste de
« président d’honneur » d’un « think
tank » nommée Parallaxe.
Voilà une
information particulièrement énorme
puisque le cumul d’un poste de membre du
gouvernement est radicalement
incompatible avec une fonction privée
rémunérée. C’est tout simplement,
excusez du peu, la Constitution de la
république qui le dit dans
son article 23 ainsi libellé : «Les
fonctions de membre du Gouvernement sont
INCOMPATIBLES avec l’exercice de tout
mandat parlementaire, de toute fonction
de représentation professionnelle à
caractère national et de tout emploi
public ou de toute activité
professionnelle ». Une ordonnance a
prévu un délai de deux mois au nouveau
ministre pour mettre de l’ordre dans ses
affaires et renoncer à ses fonctions
professionnelles privées
On observera que
dans la sphère publique,
tout le monde sait ça. Que Jean-Paul
Delevoye qui a fait cette longue
carrière politique, qui a été deux fois
ministre (!) puisse prétendre
aujourd’hui à l’erreur ou à la
négligence, c’est se moquer du monde.
Comme de penser s’en tirer en
remboursant les sommes perçues de ce
think tank en mode coquille qui sonne
creux.
Parce que là aussi
il faut se pencher sur les conséquences
juridiques de la situation créée par le
comportement très surprenant du
haut-commissaire. Il y a d’abord le
premier problème posé par le cumul
postérieurement au 3 novembre 2019
période où Jean-Paul Delevoye a donc
cumulé son poste de ministre et la
rémunération afférente et une
rémunération pour une fonction privée
impliquant évidemment un rapport de
subordination avec des personnes
privées. Il est clair que
l’incompatibilité est stipulée au profit
du ministre qui ne doit avoir d’autre
subordination que celle de l’intérêt
public pour le service il a été nommé.
Il n’est absolument pas excessif de dire
que depuis le 4 novembre 2019 Jean-Paul
Delevoye est démissionnaire de fait
de son poste de haut-commissaire aux
retraites, membre du gouvernement. En
application de l’article 8 de la
Constitution c’est le chef de l’État qui
met fin aux fonctions des ministres, on
voit difficilement comment Emmanuel
Macron peut faire autrement que de
prendre acte de cette situation et de
mettre fin aux fonctions de Delevoye à
compter du 3 novembre dernier. Toute
autre attitude viendrait à couvrir une
infraction pénale particulièrement
lourde. Celle prévue et réprimée par
l’article 432–10 du Code pénal qui
incrimine le fait par une personne
dépositaire de l’autorité publique, de
recevoir des sommes qu’elle ne sait ne
pas être dues, à savoir la rémunération
du haut-commissaire membre du
gouvernement. Et on conseillera au
directeur des services fiscaux de
suspendre cette rémunération publique de
Jean-Paul Delevoye et au passage
d’émettre un titre de recette pour le
remboursement des sommes déjà perçues.
Celles-ci étaient indues, du fait de
l’incompatibilité. Postérieurement au 3
novembre le support juridique du
règlement, à savoir l’occupation
illégale et irrégulière d’un poste de
membre du gouvernement ne peut plus
permettre la rémunération publique.
Une barque
lourdement chargée
Toutes les
démissions tardives, les remboursements
d’opportunités ne changent rien à cette
situation. Bénévolat ou pas, démission
ou pas, remboursement ou pas, les
infractions pénales semblent bien avoir
été commises, et il serait normal qu’une
juridiction ait à l’apprécier.
De la même façon,
il serait peut-être intéressant de
savoir en quoi consistait l’emploi privé
à 5300 € par mois qui sent quand même
l’emploi de complaisance à 100 km. Mais
on va s’en tenir là pour ne pas charger
la barque.
Dans tous les cas,
on voit mal comment Jean-Paul Delevoye
pourrait rester au gouvernement. Et l’on
doit se poser la question de savoir
comment une telle situation a pu se
produire. Ont pu exister une telle
désinvolture, un tel sentiment
d’impunité, ou une telle ignorance des
conditions de la responsabilité
personnelle des décideurs publics. Il se
trouve que lorsqu’il était sénateur à la
fin des années 90, Jean-Paul Delevoye a
conduit un groupe d’études sur la
responsabilité pénale des décideurs
publics. Praticien de la matière, que
j’enseignais également à l’université,
je fus donc plusieurs fois auditionné.
J’avais pourtant
gardé le souvenir de quelqu’un
d’attentif.
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