Vu du Droit
Pétition Sarah Halimi :
fausse route et
initiative malvenue
Régis de Castelnau
Mardi 9 avril 2019
Malvenue. C’est le
premier mot qui vient à l’esprit pour
qualifier la démarche entreprise
par un certain nombre d’intellectuels de
publier une tribune demandant que
l’auteur du meurtre atroce de Sarah
Halimi ne soit pas déclaré irresponsable
par la justice pénale. Cette initiative
est effectivement pour le moins
intempestive et ce pour plusieurs
raisons. Tout d’abord, la
lecture du texte montre bien la cause
que les signataires entendent servir,
celle de la lutte contre l’antisémitisme
musulman. Combat nécessaire s’il en est
mais qui ne passe pas par une volonté
d’instrumentaliser la justice à son
service, meilleur moyen de ne pas poser
les vrais problèmes et en lui reprochant
une position de complaisance, vis-à-vis
des dérives islamistes, et un refus de
prendre en compte leurs dimensions
spécifiquement antisémites.
Rappelant que ce
n’est pas la première tentative de faire
pression sur la justice dans ce dossier,
le texte de la pétition contribue à
faire de la procédure judiciaire l’otage
d’un combat politique non seulement
légitime mais nécessaire. Il faut
rappeler que l’espace où doit se
dérouler impérativement une procédure
pénale est celui du prétoire, avec les
règles qui s’y appliquent et qui sont
destinées à faire émerger autant que
faire se peut une vérité judiciaire
support d’une décision rendue au nom du
peuple français et opposable à tous.
Prenant la forme d’un réquisitoire,
nécessairement unilatéral, choisissant
les détails, multipliant les
sous-entendus sur l’attitude des
magistrats et de la police de quartier
intervenue ce jour-là, la pétition nous
présente l’affaire pour soutenir une
cause : que Kobili Traoré soit déclaré
responsable de ses actes traduit et jugé
en cours d’assises. Ainsi «
existerait-il un espoir que justice soit
rendue à Sarah Halimi, victime d’un
crime antisémite barbare. » Toutes
les péripéties de la procédure, dont on
rappelle qu’elle est contradictoire et
qu’y interviennent le parquet autorité
de poursuite, la défense, et les parties
civiles, sont présentées comme autant de
tentatives pour ménager et exonérer
celui qui a tué Sarah Halimi. Il y a
même des détails étranges sur la façon
dont sont rapportées les expertises
psychiatriques pourtant essentielles.
Tout d’abord, le premier expert
intervenu est nommé par les signataires,
il s’agit de Daniel Zagury psychiatre
brillant et très médiatique, comme s’il
s’agissait de faire valoir à cette
occasion une forme d’argument
d’autorité. La pétition nous dit «
qu’une expertise réalisée par Daniel
Zagury rendue au bout de six mois
établissait que K.Traoré avait fait une
bouffée délirante aiguë (BDA) suite à
une consommation massive de cannabis. Il
conclut à l’altération du discernement,
mais à une responsabilité pénale ».
C’est l’article 122–1 du code pénal
qui traite la question et des conditions
dans lesquelles un accusé peut être
déclaré irresponsable. Parlant d’abolition
du discernement l’alinéa premier de cet
article nous dit « N’est pas
pénalement responsable la personne qui
était atteinte, au moment des faits,
d’un trouble psychique ou neuropsychique
ayant aboli son discernement ou le
contrôle de ses actes ». Le deuxième
alinéa quant à lui traite de
l’atténuation de la responsabilité et
par conséquent de la peine en cas d’altération
du discernement. C’est le choix de
l’altération qu’a fait en conscience le
Docteur Zagury. Le départ entre
l’abolition et l’altération est une
question très délicate à trancher,
surtout lorsque l’on instruit et ensuite
juge une affaire criminelle qui a par
surcroît a donné lieu à beaucoup de
passion. Les magistrats instructeurs ont
souhaité avoir un nouvel avis, et il
n’est pas très honnête de présenter
cette initiative de procédure comme
incongrue et probablement dictée par la
volonté d’épargner Kobili Traoré. «Cette
expertise n’a pas l’heur de plaire à la
juge d’instruction qui en ordonne une
seconde ; requête provenant usuellement
de l’avocat de la défense qui ici
n’avait rien demandé. » Une seconde
expertise a donc été ordonnée et
réalisée cette fois-ci par un collège de
trois experts, qui eux ne seront pas
nommés dans la pétition et ont tranché
en faveur de l’abolition. Face à deux
avis divergents, une troisième expertise
a été ordonnée et confiée à un collège
de quatre experts cette fois-ci qui ont
à nouveau choisi l’abolition du
discernement. Et pour disqualifier
l’avis de ces sept experts assermentés,
les pétitionnaires s’improvisent
psychiatres et nous expliquent à quel
moment on peut considérer que quelqu’un
est schizophrène.
Je ne peux pas dire
si Kobili Traoré avait son discernement
aboli ou seulement altéré au moment où
il accomplissait son immonde forfait, je
n’ai pas les compétences pour en savoir.
Je m’en remets au traitement par la
justice de mon pays de cette
épouvantable affaire. Il appartiendra
aux magistrats en charge de ce dossier,
le collège des juges d’instruction, la
collégialité de la chambre
d’instruction, et éventuellement la
collégialité de la cour d’assises, de
prendre leurs responsabilités et de
trancher la question de cette
responsabilité pénale. Parce que c’est
comme ça que cela doit se passer, et que
le lieu pour statuer sur cette question,
dans un pays civilisé, c’est le prétoire
et non pas l’espace médiatique aussi
prestigieux soit les signataires de
pétitions. Les règles du débat
contradictoire sont là pour ça, et il
n’est pas très heureux de se livrer à
cette pression sur une justice dont on
nous serine par ailleurs qu’elle doit
être indépendante et surtout impartiale.
Il faut rappeler encore et encore que
l’autorité judiciaire ne peut répondre
qu’aux questions qui lui sont posées, et
que dès lors qu’on lui assigne des
objectifs qui ne sont pas les siens cela
ne peut qu’aboutir à la détourner de sa
mission.
On ajoutera que
cette pression est aussi une façon de se
défausser sur la justice du traitement
et de la réponse à une question
particulièrement brûlante exprimée
d’ailleurs par le texte même de la
pétition : « Quatre experts ont rendu
mi-mars 2019 leurs conclusions
corroborant la seconde expertise. En
France, aujourd’hui, être juif serait-il
une incitation au meurtre pour des
déséquilibrés psychiatriques ? S’agit-il
de préparer l’opinion à une
réinterprétation de la dizaine
d’assassinats de Français juifs par des
islamistes ? La psychiatrisation
est-elle le nouvel outil du déni de
réalité ? » On répondra que oui il
est évident que les islamistes et leurs
pulsions barbares sont des
déséquilibrés. Et qu’il est
indispensable de s’interroger sur la
tournure pathogène et criminalisante
qu’a pris aux quatre coins du monde la
religion musulmane. Sur le rôle, dans le
passage à l’acte criminel, de
l’interprétation littérale du Coran,
recueil qu’on le veuille ou non
d’interdits et d’injonctions à respecter
sous peine de terribles punitions.
Et, plutôt que faire à grand bruit
pression sur la justice , il vaudrait
mieux prendre cette question à
bras-le-corps, sans se laisser intimider
par le « pas d’amalgame » et la crainte
de l’accusation « d’islamophobie ».
Parce qu’accuser
la justice d’utiliser la
psychiatrisation comme nouvel outil du
déni de réalité c’est se dispenser à peu
de frais de mener le combat là où il
doit l’être. Et le faire en présentant
l’application de l’article 122–1, ce qui
est un mensonge, comme un passeport pour
l’impunité n’est pas non plus très
reluisant. Comme laisser entendre que ce
serait cet objectif qui aurait amené les
sept psychiatres à émettre leur avis. Ce
n’est pas très glorieux non plus de
disqualifier également au passage ce qui
constitue un principe fondamental de la
responsabilité pénale : ne sont
responsables pénalement que les
individus conscients de leurs actes. Les
Romains l’appliquaient, et le fait qu’au
Moyen Âge on jugeait les animaux ne
constituait pas un progrès.
C’est aujourd’hui
un acquis de civilisation. Et il serait
raisonnable en ces temps difficiles
d’éviter la désinvolture lorsqu’il
s’agit du respect de principes
séculaires.
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