Vu du Droit
Sondage biaisé sur le complotisme
:
vers la mise en place de la police de la
pensée ?
Mathieu Morel
Jeudi 7 février 2019
D’après une enquête de l’IFOP – dont on
rappelle à toutes fins utiles qu’il
n’appartient pas à Brigitte Trogneux –
beaucoup trop de Français seraient
enclins à croire à n’importe quoi.
Rassurons-nous tout de suite : ceux qui
ont cru qu’Emmanuel Macron serait un
rempart contre le retour des fascismes
ne sont pas visés. L’enquête s’est juste
amusée à présenter à 1500 Français
« représentatifs » quelques échantillons
de théories rigolotes pour aboutir au
constat terrifiant que seuls 35% ne
croyaient à aucune. Ce qui permet
d’envisager que confier le droit de vote
à tous les autres procède d’un idéalisme
un peu angélique.
On notera d’abord, sans grande surprise,
que dans ce genre de gaudriole surgit
rapidement Rudy Reichstadt, qui est au
complotisme ce qu’Agnès Verdier-Molinié
est à l’économie : un expert
incontestable et au-dessus de tout
soupçon. De ces chevaliers blancs qui
combattent bec et ongles toute forme de
ce qu’ils nomment « simplisme » en y
opposant, à leur tour, un manichéisme et
une mauvaise foi contre lesquels, en
effet, il n’y a rapidement plus grand
chose à répondre. De guerre lasse.
Ce genre d’étude
permet en général de désigner à peu de
frais un ennemi aux contours vagues, ce
qui le rend d’autant plus effrayant et
permet aux gens raisonnables de
resserrer héroïquement leurs rangs
contre un péril aussi sournois que
nébuleux. On n’a toujours pas, aux
dernières nouvelles, donné de définition
précise au « complotisme », cette
maladie obsessionnelle qui frappe tant
d’esprits faibles et influençables
(suivez le regard). On y trouve,
pêle-mêle, les hurluberlus persuadés que
la Terre est plate quand bien même une
ministre nous rappelle que Galilée a
prouvé qu’elle était ronde (!), ou que
les extra-terrestres nous manipulent,
mais également les paranoïaques qui
voient dans tout attentat un complot du
pouvoir ou dans tout coup d’état une
ingérence étrangère (on oubliera pour
l’occasion ceux à qui les faits ont fini
par donner raison, c’est malheureusement
arrivé aussi), jusqu’aux sceptiques
compulsifs qui se demandent si on ne
nous raconte pas, ici ou là, parfois des
salades ou, enfin, les circonspects qui
se font assez peu d’illusions sur la
candide ingénuité des gens de pouvoir.
La Terre est ronde
La rotondité de la
Terre ne fait a priori plus beaucoup de
doute. Le grand complot Illuminati/Sionistes/Templiers/reptiliens
n’amuse qu’assez peu de monde. En
revanche, la poignée d’authentiques
dérangés qui y croient mordicus fait
l’objet de toutes les attentions de ces
nouveaux maccarthystes du Ministère de
la Vérité et il est amusant de noter
avec quelle malhonnêteté ils se livrent
à des raccourcis qui n’ont rien à envier
aux « simplismes » qu’ils prétendent
combattre. Ainsi, s’il est a priori
stupide de croire que l’attentat de
Strasbourg a été « commandité par le
pouvoir pour faire diversion aux Gilets
Jaunes » (encore que, rappelons-nous,
des hurluberlus ont probablement
prétendu à l’époque que l’incendie du
Reichstag était un complot – honte sur
eux !), le seul fait de se demander si
le pouvoir n’a pas « sauté sur
l’aubaine » pour espérer clore le
chapitre fait illico de vous un « complotiste ».
De même, imaginer qu’il ait pu
« profiter » des divers attentats qui
frappent le pays depuis environ 4 ans
pour renforcer un système de
« répression préventive » serait
complètement farfelu. Franchement ?
Comment peut-on raisonnablement penser
qu’ils auraient laissé passer de telles
« occasions » ? Ca serait, pour le coup,
les prendre vraiment pour des imbéciles.
Dans le même ordre
d’idée, alors que les Illuminati ne font
frissonner qu’une poignée infime de nos
congénères, oser évoquer une éventuelle
collusion d’intérêts qui rassemblerait
des cercles tels que « Bilderberg »,
« la Trilatérale », « le Siècle » (et
d’autres sans doute : peut-être
également le Lions ou Rotary Club du
coin) est forcément suspect. Suspect de
« complotisme », auquel on ne tardera
pas à adjoindre son inévitable
corollaire, « antisémitisme » (dans
Bilderberg, il y a « berg »… et Attali,
aussi). Comment peut-on sérieusement
imaginer que le fait que des gens du
même cercle, du même milieu, qui se
réunissent entre eux dans des machins
dont ils entretiennent sciemment et avec
une ostentation gourmande le caractère à
la fois secret, opaque, mystérieux et
tonitruant, peut produire chez ceux qui
en sont exclus autre chose que – dans le
meilleur des cas – de la méfiance ? Il
faudrait être singulièrement idiot ou
profondément pervers. Manque de chance,
même si quelques illusions commencent à
tomber depuis l’avènement de notre
prince-enfant-roi, on ne se résout
toujours pas à les croire suffisamment
idiots.
Lorsqu’un président
nouveau-né, vainqueur par effraction
d’un jeu de massacre organisé par ses
propres mécènes, se pique de célébrer
son Austerlitz, son « Paris outragé,
martyrisé mais libéré », sa marche
héroïque jusqu’au pied d’une pyramide,
que faut-il y déceler ? Rien ? La preuve
qu' »ils sont parmi nous » (les
reptiliens, les Illuminati, les
Pharaons, les Sionistes, les trucs et
autres machins) ? La maladresse
spontanée, la gaffe inopinée, l’erreur
de communication d’un débutant candide
qui pensait ingénument bien faire ? Ou
le calcul sournois d’une équipe de
« communicants » déterminés à faire feu
de tout bois, dussent-ils mettre
eux-mêmes le feu partout ? De cette
soirée éloquente, on n’a pas retenu
grand-chose du discours (mais peut-être
n’y avait-il pas grand-chose à en
retenir). En revanche, on a assisté à
une singulière guerre de tranchées,
abondamment commentée, entre ceux qui,
comme c’était à prévoir, voyaient le mal
partout et ceux qui, grands princes, ne
le voyaient évidemment nulle part. Les
uns accusant les autres à juste titre.
Et réciproquement.
Est-ce ça, le
progrès ?
De barrage en
barrage (« Faites ce que vous voulez
mais votez Macron », titrait tout en
nuance un journal sérieux dont le
directeur prononce avec délices des
fatwas contre quiconque approche
l’extrême-droite, tout en s’offusquant
qu’on lui rappelle parfois ses propres
intimités avec Le Pen), faut-il à ce
point renoncer à tout ce qui ressemble à
de l’esprit critique au motif que ça
pourrait « faire le jeu » du complotisme
? A quoi servent ces enquêtes, études et
autres « observatoires », qu’on ne
saurait évidemment accuser ni de bêtise
angélique, ni de rouerie machiavélique,
sur le « complotisme » ?
Constatant que tous
ceux qui doutent ou s’interrogent ne
sont pas forcément des imbéciles
paranoïaques, ces experts en
circonvolutions ont même inventé un
nouveau concept : le « confusionnisme »,
bidule ingénieux qui, à l’instar du
« point Godwin » ou de la « merveilleuse
construction européenne » confère
autorité à celui qui le brandit pour
stériliser d’avance toute discussion en
postulant que l’interlocuteur est
atteint d’une maladie mentale, au mieux
disqualifiante. Le « confusionnisme »
est au complotisme ce que le
« révisionnisme » est au négationnisme :
une forme pernicieuse de présomption de
culpabilité. Douter, chercher à
comprendre, est forcément suspect. Donc,
nécessairement, préventivement
répréhensible (en vertu du « principe de
précaution » sans doute). Les lois de
circonstance ne traduisent pas autre
chose. Et l’on sait où elles mènent. On
oublie, en revanche, un peu trop
rapidement d’où elles viennent.
La mise en place de
la police de la pensée
De façon rampante
et sous un label « libéral » de plus en
plus usurpé, se met doucement en place
une police de la pensée. Bien sûr, ses
milices ne tabassent plus (du moins pas
encore). Elles persiflent, susurrent,
suggèrent, excitent puis, lorsque le
fruit semble mûr, excommunient en bloc.
Le « monde libre » répète qu’il tolère
tout mais s’indigne qu’on puisse oser le
mettre en doute. Fatalement, ce
monde-là, au vocabulaire enflé de
« libéralités », finit par se retrouver
à son tour acculé par ses contradictions
et redécouvre les vertus de
l’autoritarisme le plus « illibéral ».
Il faudra, un jour ou l’autre,
réapprendre à appeler un chat un chat,
et à distinguer un « adversaire
politique » d’un ennemi. Un adversaire,
on peut au moins discuter avec lui,
parfois même s’engueuler vertement. D’un
ennemi, il n’y a rien à espérer. Et si,
par habitude, par conditionnement, par
confort ou frilosité, on se pique de le
traiter en adversaire loyal, on peut
être sûr d’une chose : il nous tirera
dans le dos à la première occasion.
La fameuse
« sécession des élites » est consommée,
constatée, et ce n’est que parce que les
gueux de bonne volonté hésitent toujours
un peu à en accepter toute la brutalité
qu’elle paraît encore feutrée. En
réalité, elle ne n’est plus : les élites
ont décidé de mettre au pas les
récalcitrants. Elles leur ont désormais
déclaré une guerre totale, sans merci.
Et ce, d’autant plus volontiers qu’elles
escomptent bien en avoir encore une
d’avance.
« Les complotistes »
constituent alors un adversaire idéal :
on ne va jamais avec plaisir s’exposer à
l’accusation savonneuse et infamante de
« complotiste », paranoïaque ou
illuminé. A leurs violences policées,
leurs aimables provocations et leurs
mensonges de plus en plus grossiers, ils
exigent encore que nous répondions
poliment, avec les éléments de langage
usuels et validés par eux-mêmes. Après
avoir soigneusement miné le terrain, ils
n’attendent qu’une chose : que nous
fassions le premier (faux) pas, que nous
tirions les premiers, pour nous en
rendre responsables.
Dans cette « drôle
de guerre », l’énergie dépensée à se
débattre, se défendre, à refuser de voir
ce qui crève les yeux nous rend toujours
un peu plus vulnérables.
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